La première / La Soirée parisienne. Cinq-Mars
La première de « Cinq-Mars »
[Note : l’article est précédé d’un long texte sur Charles Gounod]
Nous sortons trop tard de cette première représentation pour pouvoir dire notre pensée avec les développements nécessaires sur l’œuvre que nous venons d’entendre. D’ailleurs, on n’improvise pas la critique d’un opéra de M. Gounod. Notre collaborateur Fourcaud a consacré son article à ce maître compositeur. Il a jugé son talent en des termes que nous n’hésiterons pas à signer.
Mais si nous sommes le très sincère admirateur du musicien de Cinq Mars, il faut bien reconnaître que la soirée d’hier soir était bien faite pour nous affliger. En dépit des qualités de facture qui brillent dans cette partition, elle est inférieure à tout ce que M. Gounod a produit jusqu’à ce jour, et, par endroits, indigne de lui. Quelque peine que nous éprouvions en écrivant cette impression, qui a été celle du public, nous croyons devoir le faire. La haute situation qu’occupe le compositeur dans l’école contemporaine nous fait une loi d’être franc à son égard. Ce n’est pas impunément qu’on est l’auteur de Faust, de Roméo, de Mireille. En musique, comme en tout, noblesse oblige.
Bien des réserves sont à faire sur le livret. Il manque de cette poésie sans laquelle la musique n’est qu’un bruit vide de sens. Cinq Mars à notre avis, n’est rien moins qu’un sujet lyrique. Mais ceci nous entraînerait trop loin.
L’introduction a été applaudie. C’est une marche funèbre d’une sonorité singulière. Le petit chœur d’entrée du premier acte a paru joli. L’air de la Nuit, chanté par Mlle Chevrier, est encore une aimable page, bien que l’idée y soit pauvre. Le duo finala de l’ardeur et de la couleur. Cet acte, assez court, pouvait annoncer quelque chose. On l’a écouté avec une déférence qui est allée deux ou trois fois jusqu’au plaisir.
Le second acte, coupé en deux tableaux, est, néanmoins, ou paraît bien long. Le public a bissé les couplets de Fontrailles, bien enlevés par M. Barré, et souligné d’un applaudissement le chœur des courtisans. Il aurait pu souligner aussi la petite marche royale. Mais tout le reste est complètement vide. Des amis avaient beaucoup parlé à l’avance du ballet Louis XIII : il s’est trouvé que ce n’est qu’un remaniement rococo de Cendrillon. La scène des conspirateurs était également célèbre avant le lever du rideau. Ce n’est hélas ! qu’une pastiche de la bénédiction des poignards à l’usage des orphéons de province. La phrase du chœur est bien, mais voilà tout !
Le chœur des chasseurs, très-tambouriné, a passé presque inaperçu, malgré la claque. Le tableau de la forêt est vraiment d’un ennui mortel. Les chanteurs font bien ce qu’ils peuvent. Que voulez-vous ? Ils n’ont rien à chanter. Ça et là une mélodie s’ébauche et puis brusquement l’idée avorte.
Le duo de la prison et le finale avec marche funèbre sont venus heureusement réveiller l’attention. Ici M. Gounod se retrouve. Le finale est ample, sonore, solennel. Il clôt non sans vigueur cet opéra où l’improvisation se sent à toutes les pages.
Les décors et les costumes sont superbes. Mlle Chevrier est une débutante agréable et bien douée. Nous n’aimons que modérément la voix de M. Dereims, mais beaucoup en revanche, la basse de M. Giraudet. À demain tout le reste. Il suffit de donner aujourd’hui l’impression générale du public de la première représentation.
Georges.
[…]
La Soirée parisienne
LA PREMIÈRE DE CINQ-MARS À L'OPÉRA-COMIQUE
— L'Opéra-Comique avance d'un mois, faisait, hier soir, un monsieur arrêté devant une affiche placardée à la porte de ce théâtre.
Quelques badauds de s'attrouper.
— Comment cela ?
Et le monsieur de répliquer, en se tenant les côtes, pour faire rire son auditoire, sans doute.
— Voyez plutôt l'affiche. On y a inscrit la date on grosses lettres Cinq Mars ! et nous sommes le 5 avril. Quand je vous disais que l’Opéra-Comique avançait d'un mois !
Si M. Carvalho eût entendu ce farceur, il l'eût certainement fait mettre au poste ; car, depuis qu'il a reçu le Cinq Mars de M. Gounod, il est aux genoux du maître.
Aussi fallait-il l'entendre s'extasier, dans les coulisses, sur l'œuvre de ce soir.
— Avez-vous entendu cette musique ? Disait-il à tout venant… Est-ce assez beau. La critique
peut s'en donner à cœur joie, impossible de faire le moindre tort à la pièce.
Puis, en guise de conclusion, il répétait à qui voulait l'entendre
— C'est plus fort que Faust,
Mon confrère Georges vous dira, avec sa rude franchise, s'il est de l'avis du directeur, qui lui, entre nous, était tout à fait dans son rôle. Il a, du reste, monté la pièce en véritable admirateur de l'œuvre de M. Gounod : décors et costumes sont fort réussis, et les derniers d'une grande exactitude.
Les costumes ont été copiés sur des aquarelles du temps, provenant de la collection du peintre Gérôme.
Tous ces dessins, que j'ai eu le soin de feuilleter, sont accompagnés d'une légende datant également de l'époque. Jugez-en plutôt :
Au-dessous d'un costume de femme Louis XIII, rigide de coupe et de couleur grise, ou lit
Vestement d'une dame veuve allant en visite sans pourtant trop s'éloigner de sa maison.
Puis au bas d'un dessin, représentant un seigneur en toilette du matin
Port, marcher, et vestement d'un jeune seigneur se rendant au lever du Roy, pour présenter ses devoirs à son seigneur et maître.
Et celle-ci :
Vestement d'action et attitude d'un jeune seigneur, répondant à quelqu'un qui le rencontre au jeu de Paume ou allieures.
Le ballet chez Marion Delorme est encore une véritable page Louis XIII, mais il a le tort d'arriver après celui de Cendrillon qui date à peu près de la même époque.
Il est fort bien réglé, ma foi, et a produit, malgré tout, un certain effet.
J'ai entendu des amateurs du théâtre aller jusqu'à reprocher aux costumes d'être trop exacts, uniquement au point de vue décoratif.
Le Louis XIII, en effet, n'est pas fort seyant. Mais M. Carvalho nous répondra à cela que, lorsqu'il peint une époque, il tient à être exact.
Il n'était bruit dans les coulisses que de la répétition générale, où M. Gounod n'a voulu qu'un tout petit nombre d'intimes. On cherchait les privilégiés, et, à chaque instant, on entendait un critique demander à un autre
— Y étiez-vous ?
Mon confrère et ami Aurélien Scholl, aussi distrait qu'il est spirituel, s'est laissé prendre à cette question en répondant « Oui » à un voisin qui la lui posait.
À cause môme de cette distraction, il a dû quitter l'Opéra-Comique après le troisième tableau.
À toute minute, un voisin lui demandait des renseignements sur la pièce.
— Que va-t-il se passer maintenant ? faisait l'impitoyable curieux, Barré-Fontrailles revient-il
à la fin de la pièce avec le traité ? Exécute-t-on Cinq Mars et de Thou en scène ?
Criblé de questions auxquelles il ne pouvait répondre, Scholl a préféré prendre la fuite.
Il y a dans Cinq Mars un rôle peu difficile, mais qui demande de la tenue, c'est celui de Louis XIII.
Le roi traverse la scène en saluant ses courtisans, mais comme il faut un port majestueux, un certain air de noblesse, ce rôle n'a pas été le moindre à distribuer. Un de mes confrères me rappelait, à ce propos, une amusante anecdote qui date la première du Verre d'eau, – s'il m'en souvient bien. Dans la comédie de Scribe, il y a également un figurant qui représente un grand seigneur est appelé à faire la partie du roi.
Aux répétitions, on songea bien à régler l'entrée de ce grand personnage, à lui apprendre à marcher, à saluer, à se tenir en scène ; mais on oublia complétement la partie de cartes.
— Tout le monde sait jouer aux cartes, s’étaient dit l'auteur et le metteur en scène !
Notre figurant savait jouer, en effet mais, en homme qui avait fréquenté les marchands de vin plutôt que les cours étrangères, il mouillait son pouce chaque fois qu'il donnait une carte tout comme au cabaret.
Le Louis XIII de l'Opéra-Comique est des plus comme il faut et n'a pas commis la moindre bévue.
Hier soir, du reste, M. Carvalho, qui affirme tenir un chef-d'œuvre et un succès paraissait indifférent aux accrocs qui auraient pu se produire.
Comme on lui reprochait, à l'acte du ballet, d'avoir oublié d'éclairer le salon de Marion Delorme avec des lustres, et qu'on lui demandait d'où pouvait venir la lumière ? Il s'est contenté de hausser les épaules.
— Ce sont les actionnaires qui éclairent, a fait une mauvaise langue !
Et quelqu'un de la maison s'est empressé d'ajouter
— Depuis qu'il a mis la main sur Cinq Mars, M. Carvalho se moque de tout.
Parisine.
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date de publication : 31/10/23