Autour de La Montagne noire
Autour de la « Montagne noire »
C’est ce soir qu’aura lieu, à l’Opéra, la répétition générale de la Montagne noire, le drame lyrique de Mme Augusta Holmès. Depuis la fameuse représentation de la Esmeralda, l’opéra tiré du célèbre roman de Victor Hugo, Notre-Dame-de-Paris, par Mlle Louise Bertin, fille du directeur du Journal des Débats, aucune femme auteur ne s’est fait interpréter sur la scène de l’Académie nationale de musique. Il va sans dire qu’en parlant ainsi nous ne prenons pas en considération le ballet indiqué par Thérèse Essler et joué en 1838 sous le titre de la Volière, pas plus que le ballet de Gemma, joué en 1854, dont le livret était de Théophile Gautier et auquel Mme Cerrito Saint-Léon collabora ; ni le ballet du Papillon, musique d’Offenbach, et dont le livret avait pour auteurs M. de Saint-Georges et Marie Taglioni.
Mme Augusta Holmes se distingue de ses devancières en cela qu’elle a non seulement composé la musique de la Montagne Noire mais qu’elle en a écrit ce poème. D’ailleurs, l’exemple qu’elle offre est d’autant plus remarquable, que l’œuvre lyrique que l’Opéra s’apprête à représenter est assurément la plus considérable qu’une femme auteur ait jamais fait interpréter à la scène.
L’histoire de cette pièce est assez curieuse par elle-même pour qu’on la raconte. La genèse de la Montagne Noire remonte à près de quinze ans. Ce fut en 1881 que Mme Augusta Holmès écrivit le poème. Deux ans après, à la fin de 1883, elle terminait la partition. L’auteur dut attendre trois ans pour faire accepter son œuvre par une de nos scènes lyriques. Cette scène était l’Opéra-Comique, alors place Boëldieu, car la réception de la Montagne noire par M. Carvalho remonte à l’année 1886.
— Votre œuvre est extrêmement intéressante, avait dit le sympathique directeur à Mme Augusta Holmès ; elle est malheureusement un peu touffue pour une scène de l’importance de l’Opéra-Comique. Voulez-vous en atténuer certaines parties ? Si oui, je vous promets de la jouer l’hiver prochain.
— Tous mes remerciements et tous mes regrets, fit Mme Augusta Holmès. L’œuvre sera jouée telle que je l’ai écrite ou elle ne sera pas jouée du tout.
Et l’éminente musicienne reprit son manuscrit. L’année suivante, la Montagne noire était reçue, à Bruxelles, par MM. Dupont et Lapissida, les directeurs de la Monnaie. Mais un changement de direction, survenu l’année suivante, forçait Mme Augusta Holmès à reprendre sa partition.
Bien elle fit, car l’œuvre non encore offerte à la direction de l’Académie nationale de musique était destinée à séduire MM. Bertrand et Colonne à la première de cette audition. Cette audition, qui remonte à trois ans, eut lieu à la salle Pleyel, et obtint le plus franc succès. Le lendemain, la Montagne noire appartenait à l’Opéra.
Maintenant que l’œuvre nouvelle de Mme Augusta Holmès est sur le point d’être représentée, il est curieux de rappeler le nom des artistes qui interprétèrent la Montagne noire au cours de cette audition décisive qui se fit, d’ailleurs, avec les chœurs de la Société des concerts du Conservatoire. Mme Augusta Holmès, qui tenait le piano, chanta le rôle de Yamina, qui sera interprété à l’Opéra par Mme Bréval.
Quant au rôle de Mirko, confié à M. Alvarez, il fut chanté par M. Eugène Cougoul, qui s’est fait déjà entendre dans plusieurs concerts, à Paris, sous le nom de Mondeville. Le rôle de Dara (Mme Héglon) fut interprété par Mlle Baldi, celui d’Héléna (Mlle Berthet) par Mme Levasseur, celui d’Aslar (M. Renaud) par M. Henri Stamler, et enfin celui du grand-prêtre Sava (M. Gresse) par M. Dubut, de l’Opéra. Un an après, lors de sa rentrée comme directeur de l’Opéra, M. Gailhard, ayant demandé à connaître la partition, ratifiait avec joie la décision prise par son associé, M. Bertrand.
Nous nous occuperons des répétitions l’année prochaine, dit-il à Mme Augusta Holmes.
Le directeur de l’Opéra a tenu parole, car les répétitions de la Montagne noire ont commencé au mois d’octobre dernier, au lendemain de la première représentation d’Othello.
Si ce drame lyrique est la première œuvre de Mme Augusta Holmès qui soit interprétée au théâtre, cette œuvre n’a pas moins été précédée dans les concerts et les festivals par toute une suite d’œuvres remarquables dont le succès fut inauguré par les Argonautes, la cantate célèbre qui valut à l’auteur le prix de la Ville de Paris. À propos de cette œuvre, il nous semble piquant de reproduire la lettre suivante de Leconte de Lisle adressée à Mme Augusta Holmès, et qu’un collectionneur d’autographes a bien voulu nous permettre de copier
« Paris, 24 avril 1881
Mademoiselle,
Soyez assurée de ma sincère gratitude pour l’envoi que vous avez bien voulu me faire de votre poème les Argonautes. Je souhaite vivement que vous ayez eu la prévision du grand succès réservé à votre œuvre en écrivant ces deux beaux vers.
Ses rameurs sont des rois, des héros, des poètes,
Au retour, ils seront des dieux.
Agréez, je vous prie, mademoiselle, l’hommage des meilleurs respects de votre tout dévoué confrère.
LECONTE DE L’ISLE. »
Au nombre des œuvres de Mme Augusta Holmès, il faut citer : Ludus pro patria, l’Ode triomphale, exécutée pendant l’Exposition universelle de 1889, l’Hymne à la Paix, exécutée l’année suivante à Florence, et enfin Au Pays bleu, sa dernière œuvre importante, jouée aux Concerts Colonne.
C’est à propos de l’exécution d’une de ses œuvres orchestrales que Pasdeloup écrivit cette jolie lettre à Mme Augusta Holmès
« 6, rue de Babylone.
Mademoiselle,
C’est en venant passer quelques heures à Paris que je trouve votre lettre. J’irai chez vous cette semaine pour causer de ce que nous ferons cet hiver. Avant d’aller retrouver les maîtres que j’aime, dans les Champs-Élysées, je désire contribuer à vous donner la place que vous méritez dans le royaume de la musique de cette terre.
Recevez, mademoiselle, l’assurance de mes sentiments dévoués.
J. PASDELOUP
Il faudrait que votre œuvre d’orchestre fût prête dans les premiers jours d’octobre. »
D’ailleurs cette place que, selon la spirituelle expression de Pasdeloup, Mme Augusta Holmès mérite dans le royaume de la musique de cette terre un autre musicien, illustre celui-là et poète à ses heures, Camille Saint-Saëns, l’exaltait naguère en des vers éclatants, à propos de son Ode triomphante :
La patrie adorée, au tout puissant génie,
Te presse avec amour sur son cœur glorieux.
Sois par nous acclamée et par elle bénie,
Et puisse ton étoile illuminer les cieux !
C’est le souhait que nous formons aujourd’hui pour l’œuvre nouvelle et pour l’artiste.
TOUT-PARIS
Personnes en lien
Œuvres en lien
La Montagne noire
Augusta HOLMÈS
/Augusta HOLMÈS
Permalien
date de publication : 26/09/23