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Hulda de C. Franck

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Théâtre de Monte-Carlo. — 1re représentation de HULDA, opéra en 4 actes et 1 épilogue. — Légende scandinave d’après Bjœrnstjerne Bjœrnson, poème de Ch. Grandmougin, musique de César Franck.

C’est la dernière œuvre de César Franck, celle qu’il achevait à peine au moment de sa mort, et c’est en même temps la seule qu’il ait jamais faite pour la scène : double attrait de curiosité. Comment l’austère artiste aurait-il compris sa tâche nouvelle, comment l’auteur des Béatitudes, de Rédemption, de la sévère et aride symphonie qu’on connaît, aurait-il traité la passion, l’amour, l’action scénique ? On se défie toujours un peu des œuvres suprêmes, jouées après la mort de l’artiste... On a été si souvent déçu !

Ici cependant, s’il y a surprise, ce ne sera peut-être pas celle qu’on attendait. Hulda est une belle œuvre, pleine de poésie, pleine de mélodie, très scénique, très claire aussi, en somme un véritable opéra dans toute son acception moderne, c’est-à-dire mettant à profit toutes les ressources du drame lyrique wagnérien sans renoncer aux formes consacrées par l’école classique. Ce n’est pas nous qui lui en ferons un reproche. Quand la trame symphonique et mélodique se déroule conforme au sujet, aux personnages, aux sentiments à exprimer pourquoi nous plaindrions nous des ensembles immobiles, des grands airs, des grands duos, etc. qu’elle comporte ? Il y a de tout cela ici, et ce n’est pas ce qu’il y a de moins intéressant, mais on pourra le traiter de vieux jeu, et ce sera bien singulier à propos de César Frank.

Le sujet est noir, par exemple, comme il arrive souvent avec les légendes scandinaves. Cependant on y trouve parfois une ou deux figures sympathiques, éthérées : ici, rien. — La scène est en Norvège, vers le XIe siècle. Hulda est la fille d’un chef en guerre avec un sien rival, Aslak. Elle et sa mère attendent avec angoisse l’issue d’une lutte sans merci qui peut leur apporter l’esclavage ou la mort. Justement les fils d’Aslak arrivent vainqueurs, chargés de dépouilles, pour emmener avec eux les femmes laissées au logis. Hulda, terrible, les maudit et jure de leur faire pleurer longtemps leur victoire.

L’inflexible vengeance est incarnée en moi !…
Souviens-toi ! Pour ta race infâme
Je serai la ruine et je serai la mort ? 

C’est là toute la pièce. Hulda, en effet, objet de convoitise et d’amour pour chacun, commence par causer la discorde entre les frères ; de plus réclamée par Gudleik, l’ainé elle trouve moyen d’exciter une querelle entre lui et un chevalier de la cour du roi, Eïolf, qui le tue en duel. Hulda aime cet Eïolf, qui peut servir sa vengeance contre les meurtriers de son père. Mais celui-ci était fiancé à une autre fille, Swanhilde, et finit par lui revenir. Hulda, toujours implacable, sert alors la haine des frères de Gudleik et fait par eux assassiner Eïolf au moment où celui-ci la repousse définitivement. Il ne lui reste plus qu’à se précipiter dans les flots : c’est ce qu’elle fait.

La partition de César Franck est scénique, nous l’avons dit, mouvementée, variée, presque sans longueurs, et si bien faite pour l’Opéra (où on nous la promet), qu’elle comporte même un grand ballet ! ! — Nous attendrons le jour où le public Parisien sera admis à en juger, pour en parler en complète connaissance de cause ; car n’ayant pu y aller voir, à Monte-Carlo, nous n’avons pu étudier que la partition. Du moins espérons-nous en avoir pris une impression assez précise — et personnelle. Ce qui paraît lui manquer le plus, c’est l’envolée, le large et robuste élan dramatique. Mais c’est plein de jolis détails, d’une orchestration extrêmement intéressante, et d’une note partout très sincère, très ferme.

Nous citerons comme une des pages les plus réussies, tout le début : la scène d’attente d’Hulda et sa mère, interrogeant avec inquiétude les échos lointains. Une très belle prière la couronne, et de gracieux chœurs de pêcheurs sur la mer lui donnent une teinte très poétique. L’arrivée des Aslaks, et surtout la malédiction finale de Hulda ont beaucoup de sauvage grandeur. — Au second acte, il faut signaler la charmante chanson de « l’hermine » que disent les femmes en cousant des peaux, « le grand air de Hulda », méditant sa vengeance, et le très bel hymne funèbre après la mort de Gudleik. L’acte qui suit, tout entier consacré aux amours d’Hulda et d’Eïolf (air et grand duo), est une page chaude et colorée, la plus large de l’œuvre entière.

L’acte 4 débute par le « ballet allégorique de l’hiver et du printemps ». Il est inutile de l’analyser ici : c’est une charmante page musicale, qui, d’ailleurs, comme tous les ballets, est d’une contestable utilité dans l’action. Elle a déjà été exécutée dans les concerts, du vivant de C. Franck. — Puis c’est un duo entre Eïolf et Swanhilde, mais qui ne vaut pas l’autre, comme toute cette fin, du reste, ne vaut pas les premiers actes. N’oublions pas cependant les très jolis chœurs de paysans de l’épilogue : les pages pittoresques, de paysage en quelque sorte, sont très réussies ici. César Franck sentait profondément, si l’expression ne lui venait pas toujours autant.

Les échos de la représentation, tels que nous les apportent les dépêches, retentissent d’unanimes acclamations. Comme on voit que C. Franck n’est plus là pour les entendre ! L’interprétation a été excellente aussi, paraît-il, avec Mme Deschamps-Jehin (Hulda), Saléza (Eïolf), Mlle d’Alba (Swanhilde) et Lhérie (Gudleik). Souhaitons à l’œuvre de garder longtemps et jusqu’à notre Opéra inclusivement, ce succès enthousiaste.

Henri de Curzon.

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(1822 - 1890)

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date de publication : 21/09/23