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Revue littéraire et dramatique. La Princesse jaune

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REVUE LITTÉRAIRE ET DRAMATIQUE 
OPÉRA-COMIQUE : La Princesse jaune, opérette en 1 acte, paroles de M. Louis Gallet, musique de M. Saint-Saëns. – Bonsoir voisin, un acte, paroles de M. de Leuven, musique de M. Poise, reprise. […]

Cette Princesse jaune est un composé de chinoiserie et de berquicade. Un y voit le jeune Cornélis, sinologue hollandais, amoureux fou – c’est le mot d’une de ces grandes femmes pâles, enroulées de robes tournoyantes, où les griffons serpentent parmi les pivoines, qui vous regardent avec des yeux de Pierrot rêveur, sur les panneaux japonais. Sa petite cousine Léna essaie vainement de lui faire entendre que sa Japonaise est bien loin et qu’elle est tout près, il reste en extase devant cette Dulcinée de paravent, comme un bonze devant son idole. Tant de folie entre-t-elle dans le cerveau flegmatique d’un savant batave ! Ce n’est pas d’un simple bonnet à grelots, mais d’un large chapeau chinois que maître Cornélis mériterait d’être coiffé. Un beau soir, il avale un philtre qui doit pygmalioniser sa princesse. Le charme opère en effet : au coup de sifflet du machiniste, son laboratoire se transforme en kiosque, sa table de travail passe du chêne au laque, son lustre de cuivre à branches se change en lanterne de couleur, et ses faïences de Delft se métamorphosent en potiches du Satsouma le plus pur. Pour compléter l’enchantement, sa Japonaise arrive en trottinant sur ses hautes sandales de paille tressée. Elle ressemble à Léna comme deux gouttes de thé, ce qui n’empêche nullement Cornélis de chanter avec elle les bateaux de fleurs et les reflets de la lune sur les nénuphars. « Si c’est un songe, ne le réveillez pas ! » comme aurait dit M. Scribe, à qui cette simple phrase, trois millions de fois répétée en vers et en prose dans son répertoire, rapporta, d’après des calculs authentiques, mille écus de rente. C’était bien un songe, et Cornélis se réveille, mais pour retrouver sa princesse jaune dans sa cousine blonde, et l’épouser ainsi qu’il convient.

Sur ce petit poème prétentieux où l’enfantillage se mêle à l’entortillage, M. Saint-Saëns a distillé une partition à l’opium. M. Saint-Saëns a une réputation de cénacle. Il appartient à l’école qui rature de la musique le rhythme, l’idée, la mélodie, le motif, pour y substituer une mélopée vague et trouble, insipide comme une eau dormante. La voix humaine, dans ces grimoires wagnériens, se rapetisse au rôle d’un imperceptible bonhomme tachant les terrains d’un grand paysage : l’orchestre l’étouffe sous un fouillis d’accords divagants. La passion, le sentiment, la gaieté n’existent pas pour ces inventeurs de l’opéra inarticulé. L’amour se réduit, dans leurs scènes, à une pâmoison extatique : il fond en soupirs lorsqu’il ne pousse pas des cris inhumains. C’est le derviche qui hurle ou qui tourne selon l’occurrence, mais sur un mode également monotone. – Je ne trouve rien à citer dans la partition de M. Saint-Saëns ; aucune ligne ne dessine les pâles couleurs qui la teignent. Dès qu’elle conçoit une petite idée mélodique, l’orchestre la fait immédiatement avorter. Comment définir ces bruits sans contours qui n’expriment aucune pensée appréciable, et s’amalgament dans un terne ensemble ? Tel le nuage en mouvement qu’Hamlet montre à Polonius, par la fenêtre du château d’Elseneur.  « C’est un chameau » dit Hamlet. — « C’est une belette » reprend Polonius, – et tous les deux ont raison.

Savez-vous le danger de ces œuvres amphigouriques ? C’est qu’elles vous rejettent dans l’excès contraire ; c’est que l’ennui dont elles vous accablent vous ferait chérir la vulgarité, Oui, au sortir de la Princesse jaune, un se dit que Jeannot et Colin de M. Étienne – paroles et musique – est une chose lumineuse et rafraîchissante. Un fredonne des couplets de vaudeville ; ou regrette le temps où la musique bêlait et où l’orchestre d’un opéra aurait tenu sur le tonneau d’un ménétrier. On se reporte à l’âge d’or où Rameau gardait le troupeau de Fontenelle en soufflant dans son galoubet. – Oh ! la coudrette ! oh ! la fougère ! oh ! les dix moutons que Lubin dormait à Philis, pour un baiser, sur un refrain de pinson ! – C’est ainsi que le public de l’Opéra-Comique a entendu avec délices, après la partition de M. Saint-Saëns, le Bonsoir voisin de M. Poise. Musiquette sans doute, mais cette musiquette est agréable et scénique ; son petit langage est intelligible ; s’il entre par une oreille et s’il sort par l’autre, il ne les fatigue pas du moins au passage. Un flageolet qui dit quelque chose vaut mieux qu’un orgue gonflé de vent, qui ronfle à vide dans ses cent tuyaux. […]

Paul de Saint-Victor

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Camille SAINT-SAËNS

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Louis GALLET

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date de publication : 31/10/23