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Autour de Namouna

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AUTOUR DE NAMOUNA

« Le sofa sur lequel Hassan était couché. »

Il n’y a pas d’Hassan dans la Namouna de l’Opéra, et, à part le nom, rien du nouveau ballet ne ressemble à la Namouna du poète. Rien, je me trompe peut-être. Mlle Sangalli a les yeux noirs et le joli sourire de l’héroïne de Musset. Mais voilà tout, et M. Mérante lui-même ne peut espérer d’être confondu avec Hassan.

Namouna (le ballet) est de M. Nuitter pour le livret, de M. Petitpa pour la danse et de M. Charles Lalo pour la musique.

M. Lalo est de taille moyenne. Âgé de quarante-deux à quarante-cinq ans, il a de larges épaules. Nul embonpoint. La tête est longue, les yeux bleu-clair regardent droit devant eux. Les cheveux blonds commencent à se raréfier au sommet du crâne. Le front est haut, dégagé, superbe.

M. Lalo a déjà composé beaucoup : un Concerto pour violoncelle, ses opéras de Fiesque et du Roi d’Ys, son Concerto russe pour violon.

Voilà le musicien, voyons son œuvre.

M. Lalo, depuis longtemps, est fort ami de M. Vaucorbeil. Quand, il y a deux ans, celui-ci fut nommé directeur de l’Opéra, le lendemain même du jour où sa nomination devint officielle, il écrivit à M. Lalo qu’il l’attendait chez lui, et là, il commanda au compositeur un grand ballet en deux actes.

Ce fut le premier ouvrage demandé par M. Vaucorbeil. Le Tribut de Zamora, Ia Korrigane faisaient partie de l’héritage de M. Halanzier. Namouna appartient au nouveau directeur.

M. Lalo fut très ému quand M. Vaucorbeil lui demanda un ballet. M. Lalo a sans cesse étudié la musique dramatique. Aussi ne songeait-il guère à écrire « des mélodies pour pirouettes », selon son expression pittoresque.

Il essaya de faire à M. Vaucorbeil des remarques à cet égard. « J’ai passé quatre années, dit-il, les meilleures de ma vie, à composer le Roi d’Ys. C’est bon ou c’est mauvais, ce n’est pas à moi d’en décider, mais j’y suis tout entier. Cette partition me résume et me contient. Plutôt que de me demander des pas de danse, prenez le Roy d’Ys. »

— C’est un ballet qu’il me faut, répondit M. Vaucorbeil.

M. Lalo se résigna, et il attendit son scénario.

Il se passa un an et demi. Puis, le 25 juillet dernier, M. Lalo fut convoqué à l’Opéra, et M. Vaucorbeil lui remit Namouna, en lui disant :

« Il faut absolument que vous, soyez prêt le 1er octobre prochain. — Le 1er octobre ? — Parfaitement. — Mais je travaille lentement d’ordinaire, — Mon cher ami, je n’y puis rien, il me faut votre partition complète le 1er octobre. »

— Je serai prêt, dit-il.

— Je le savais bien, fit M. Vaucorbeil. Demain je vous enverrai Petitpa [sic].

M. Lalo ne se doutait guère de la façon dont la musique d’un ballet se compose. Il s’imaginait qu’il n’avait qu’à développer musicalement les scènes et les épisodes fournis par le librettiste. Il se trompait du tout au tout. Dans la composition d’un ballet, le musicien est aux ordres du maître de danse, qui lui indique ce dont il a besoin, comme rythme et comme caractère.

De sorte que la scène suivante se renouvelait à chaque instant entre M. Lalo et M. Petitpa :

— Je viens de trouver pour ici un six-huit dont vous me direz des nouvelles.

— Un six-huit ? Pardon, c’est un deux-quatre qu’il me faut.

— Pourquoi cela ?

— Parce que mon pas va par quatre, et non par six. Tenez ; écoutez (chantant sur l’air du Pont d’Avignon) : Un, deux, trois, quatre, un, deux, trois, quatre, un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit…

— Mon six-huit était pourtant en situation.

— Pas du tout. Il ira pour le troisième tableau.

— Mais le troisième tableau est triste, et mon six-huit est gai.

— Vous l’arrangerez un peu. Il va admirablement sur mes sauts-de-cuisses.

— Ah ! il va sur vos sauts-de-cuisses ?

Quels tracas ! quels tourments ! N’importe, le compositeur s’allumait. Du 26 juillet au 10 novembre, il, a travaillé seize heures par jour, comme un manœuvre, sans sortir de son appartement.

Ce fut le 10 novembre que la congestion cloua M. Lalo sur son lit. Atteint au bas du visage et dans le bras droit, il perdit pendant trois jours l’usage du mouvement, et durait, une quinzaine, celui de la parole.

Le cerveau n’a jamais été touché. Toujours M. Lalo a perçu nettement, vivement, ce qui se passait autour de lui. Sa partition est complète, absolument complète, toute de sa main et l’orchestration aussi, à part les cinq derniers morceaux, que M. Gounod a consenti à orchestrer. Mais ces cinq derniers morceaux sont de lui malgré cela, mélodie et harmonie. Il y insiste fièrement. On devine que, tout en sachant à M. Gounod un gré infini de son dévouement, il tient à ce qu’on ne puisse pas penser qu’il a demandé qu’on l’aidât à parachever son œuvre.

Je n’ai pas ici à parler du talent de M. Lalo. Son dieu est Beethoven. Il a étudié à fond le grand Allemand, il le sait par cœur, il en possède jusqu’à la moindre note, jusqu’à l’accord le plus ignoré.

Venons maintenant aux collaborateurs de M. Lalo.

M. Nuitter, l’auteur du libretto de Namouna, est, comme on sait, le sympathique archiviste de l’Opéra. Vous le retrouverez tous les jours dans l’ex-pavillon impérial du théâtre, où l’on est en train de classer sous sa direction les merveilles possédées par le théâtre.

Quant à M. Petitpa, il est grand et maigre, avec une vive allure. Après avoir dansé vingt ans à l’Académie de danse (l’Opéra n’existe pour lui que sous ce nom), il compose maintenant tous les ballets que l’on monte.

Il ne me reste plus qu’à vous donner une idée de l’intrigue même de Namouna.

*

Le ballet a deux actes et trois tableaux.

1er acte. – Un Khani (maison de jeu) à Corfou.

2e tableau. – Place publique à Corfou (décors de MM. Rubé et Chaperon).

2e acte. – Une île de l’Archipel (décor de M. J.-B. Lavastre).

L’action se passe au dix-septième siècle.

Don Ottavio (M. Mérante) est un jeune gentilhomme viveur, joueur, grand séducteur de femmes. Dans un khani, à Corfou, il joue avec Adriani (M. Pluque), un marin passablement pirate, et il lui gagne tout ce qu’il possède, y compris une esclave que l’on amène voilée, à laquelle il fait don de tout ce qu’il a gagné à Adriani, et qu’il laisse partir sans s’informer de son nom, sans même regarder son visage. Or, cette esclave, c’est Namouna (Mlle Rita Sangalli) qui s’éprend soudain d’Ottavio.

Au tableau suivant, une place publique à Corfou, nous retrouvons Ottavio donnant une aubade à une belle dame. Survient Adriani, qui cherche querelle à celui qui l’a ruiné. Ils se battent, et sont séparés par une bouquetière, qui leur offre des fleurs. Puis, Adriani étant parti, Ottavio fait l’aimable avec la belle dame qu’il courtise. Mais une femme survient qui détourne l’attention d’Ottavio.

Cette femme, c’est toujours Namouna, qu’Ottavio ne reconnaît pas pour l’avoir délivrée et enrichie, puisqu’au prologue, il n’a point vu ses traits. C’est à ce moment que se place le pas de la Charmeuse, où Mlle Sangalli fumera la célèbre cigarette. Enfin, plus tard, Ottavio, étant attaqué par des bandits, soudoyés par Adriani, voit accourir une troupe d’hommes à son aide. Puis, ces hommes, quand ils l’ont délivré, le désarment par surprise et l’entraînent, sur l’ordre d’une dame masquée qui se montre. Enlevé par une femme, morbleu ! Don Ottavio, vous ferez des envieux ! Car cette femme, c’est toujours Namouna. C’est au début de cette scène que nous aurons le Joueur de Mandore, avec les sauts prodigieux de M. Vasquez, puis la Roumaine, par Mlle Sangalli.

Enfin, au 2e acte, Namouna amène Ottavio dans une île de l’Archipel, où elle délivre ses anciennes compagnes de captivité, puis se fait connaître d’Ottavio, qui ne peut s’empêcher de répondre à son amour, d’autant qu’elle est jeune et jolie, dit le livret. Je crois bien, mademoiselle Sangalli !

Cependant, Adriani survient avec une troupe de forbans. Mais les compagnes de Namouna séduisent les pirates, Namouna elle-même danse le Pas de la Coupe, on grise les bandits, et Ottavio s’échappe en jetant de l’or à ceux qui voudraient tenter de le poursuivre. Et lorsque Adriani veut s’élancer pour se venger lui-même, Totis, un jeune serviteur de Namouna, se dresse devant lui et lui plonge son poignard dans la poitrine. Ah ! ce jeune Totis ! l’ange de la fatalité ! Pourvu que son bras ne tremble pas ! II ne tient qu’à vous, mademoiselle Subra !

Théodore Massiac

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date de publication : 31/10/23