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Premières représentations / Soirée parisienne. Les P’tites Michu

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PREMIÈRES REPRESENTATIONS
Bouffes-Parisiens. — Les P’tites Michu, Opérette en 3 actes, de MM. A. Vanloo et Georges Duval, musique de M. André Messager.

Avez-vous remarqué que toutes les fois qu’une pièce jouée sur un de nos théâtres de genre s’intitule pompeusement opéra-comique, on est sûr d’y rencontrer les motifs les plus éhontés, orgueil de nos barrières, et que, contrairement, quand on la dénomme opérette, elle affecte des façons musicales susceptibles de faire rêver l’homme qui, non au coin d’un bois, mais au coin d’un quai, veille aux destinées de plus en plus douteuses de « l’éminemment français ? »

Tel est le cas des P’tites Michu, en ce qui touche la partition écrite par M. A. Messager sur le canevas suivant, de MM. Vanloo et Georges Duval :

La marche belliqueuse des armées du grand Napoléon, arrache à ses foyers le général des Ifs au moment même où il vient de goûter les douces joies de la paternité.

Le brave soldat confie la garde de la petite fillette que le ciel lui a envoyée au ménage Michu. Pendant le séjour que fera en Espagne le général, pendant qu’il prendra une part active aux opérations du siège de Saragosse, les Michu, marchands de fromages dans le voisinage des Halles, élèveront son enfant, concurremment avec leur propre fillette née à peu près au même moment que celle du valeureux soldat.

Or, il advient que, dans leur double et vigilante sollicitude, les Michu baignent simultanément les deux enfantelets ; dans la nudité, leur similitude est telle que les marchands de fromage ne peuvent plus, après le bain, distinguer leur progéniture de celle du général des Ifs.

Ils en prennent leur parti et élèvent les fillettes de manière à leur laisser croire qu’elles sont toutes deux issues de Michu, en attendant le jour lointain, où une circonstance providentielle désignera chaque enfant à ses parents respectifs.

Telle, dans un tout autre ordre d’idées, Azucena, du Trouvère ayant par erreur brûlé son propre enfant, élève le fils du comte de Luna, dans la croyance qu’il est son fils à elle.

Une suspension d’hostilités permet plus tard au général de s’occuper enfin de sa fille.

Mandés auprès de lui, les Michu se trouvent en proie au plus grand embarras, ils présentent au général Marie-Blanche et Blanche-Marie déjà grandes, nubiles même et vous voyez d’ici l’imbroglio qui, comme on dit aujourd’hui « n’est pas dans une cornemuse ! »

Un double projet de mariage permettra heureusement à la vérité de sortir de son puits : le général veut marier Marie-Blanche qu’il prend pour sa fille, au capitaine Gaston Rigaud, tandis que les Michu ont résolu d’unir lesjours de Blanche-Marie, à leur employé Aristide, jeune homme plein de candeur. Or, l’exultation des premiers instants calmée les jeunes fiancées ne tardent pas à comprendre, chacune de leur côté, qu’elles font fausse route, car Blanche aime le capitaine ! Marie-Blanche s’en aperçoit ; aussi, quand arrive le moment psychologique, s’inspirant du portrait de la marquise des Ifs qu’elle a envoyé quérir par Bagnolet, ordonnance du général, elle procède à la toilette de sa sœur et la poudrerize si bien que le doute n’est plus permis. C’est bien là la fille du général, la ressemblance avec le portrait de la défunte marquise est frappante ! Blanche-Marie épouse le beau capitaine et Marie-Blanche convole en justes noces avec Aristide.

Comme le fromage à la crème, ils ne formeront qu’un seul « cœur » et, comme le brie et le camembert, ils couleront des jours heureux.

 Sur cette donnée anodine mais divertissante en somme, M. Messager a écrit une musique dont il est loin de ma pensée de vouloir nier les mérites, mais, je le disais plus haut, qui appartient beaucoup plus au domaine de « l’éminemment français » ou de l’opéra-comique vieux-jeu, si vous préférez, qu’à celui de l’opérette.

Ce que je ne puis m’expliquer chez un musicien comme M. Messager, épris de modernisme, c’est la forme poncive donnée par lui à sa partition, c’est la répétition surannée de mots, voire de phrases entières qu’on y rencontre trop fréquemment ; ce sont encore des ensembles vocaux qui, dans ce genre comme dans tout autre – et plus encore peut-être que dans tout autre – paraissent parfaitement démodés. C’est en somme l’allure bourgeoisement « coco » qu’il a donnée à sa partition.

Ces réserves qui s’imposent, une fois faites, je dois reconnaître que la musique des P’tites Michu, est claire, mélodique, assez bien écrite pour les voix et même, parfois, non dépourvue d’élégance. Le public a paru goûter pas mal de morceaux de la partition, pas mal de « couplets bien troussés. »

J’ai éprouvé, quant à moi, un vrai plaisir à l’audition du duo en ré bémol du 3e acte « Rassurez-vous monsieur Gaston » avec son joli parti-pris de clarinette doublant, deux octaves au dessous, la jolie phrase mélodique des violons. Ce 3e acte tout entier est, du reste, de beaucoup, « le plus heureux des trois. »

Mais, encore un coup, tout cela manque d’invention, de drôlerie et de cette fantaisie abracadabrante qu’exige impérieusement le genre… Oui, l’opérette moderne qui doit être à notre temps ce que celle d’Offenbach et d’Hervé fut à la fin de l’Empire, reste toujours à trouver et je continue à prédire un fier succès à celui qui, en une œuvrette désopilante, en fixera la formule.

Sans contredire d’irresistibles éléments d’attirance, l’intérprétation des P’tites Michu est fort acceptable :

Mmes Alcie Bonheur, Odette Dulac, L. Lapporte, Vigouroux, MM. Barral, Regnard, Maurice Lamy, Brunais et Manson défendent assez bien la nouvelle pièce des Bouffes.

L’orchestre de M. Thuibaut sonne joyeusement et ne demanderait qu’à agiter les grelots de la folie absents dans la musique de M. Messager.

Après cela, sur tant de fromages qui encombrent la boutique des Michu, gageons que pas mal d’entr'eux doivent marcher tout seuls… Alors ?... Je ne vois pas pourquoi, suivant un si bel exemple, Les Petites Michu ne marcheraient pas aussi et pourquoi auteurs et directeur ne feraient pas leur beurre.

G. SALVAYRE.

SOIRÉE PARISIENNE
LES P’TITES MICHU

16 novembre.

Cette fois les Bouffes sont bien revenus à l’opérette classique. Le blond Thibeaud trône au pupitre de chef d’orchestre, et nous revoyons le couvent, le départ pour le mariage, la fête directoire, et la boutique d’épicerie, auxquels nous ont habitué Mamzelle Nitouche, la Fille de Madame Angot, la Belle Parfumeuse, sans oublier Giroflé-Girofla. Là, il n’y avait qu’une fille pour deux ; ce soir il y a deux filles pour une. Mais n’anticipons pas.

Le premier acte se passe dans le jardin d’une pension dirigée militairement suivant la mode de l’empire et où tous les exercices sont réglés par des roulements de tambours. La directrice Mlle Herpin (Laporte) a un amusant chapeau cabriolet et les pensionnaires sont très gentilles avec leur costume lilas coupé par des rubans verts. À signaler spécialement Marie-Blanche (Alice Bonheur) et Blanche-Marie (O. Dulac) les petites Michu, toutes deux roses, blondes, avec des tailles sous les bras et des gestes mignards.

Il y a aussi un capitaine de hussard rouge (Manson) qui a pris la succession baytonnante de Piccaluga, mais qui a le seul défaut de ne pas savoir se tenir en scène. Madame Michu (Vigouroux) est une avenante fruitière ; quant à l’excellent Regnard il a arboré une casquette de loutre, et un ventre postiche, trouvant sans doute que le sien n’était pas suffisant.

Le directeur n’a reculé devant aucun sacrifice.

Quant à Brunais, voué décidément aux jocrisses, il nous a montré en Bagnolet une silhouette d’ordonnancé naïve, en petite veste, culotte blanche, hautes guétres noires et bonnet de police que n’eut pas désavouée Charlet.

Au second acte, salon empire éclairé à la lumière électrique (!) Déjà ! Buste du premier consul, en bronze. Méli-mélo toujours amusant d’officiers en uniforme du temps, et de belles dames, en taille courte, laurées d’or, avec des panaches et des aigrettes sur les turbans à la Staël. Au milieu de ce milieu mondain et militaire, voici Barrai, en général des Ifs, habit brodé, ceinture bleue, plaque sur la poitrine et culotte courte. Sachons lui gré de ne pas en avoir fait une ganache, suivant le dogme théâtral, mais peut-être aurait-il pu moins le vieillir. Il est vrai que le général a une fille de dix-huit ans, mais ces gens là vivent tellement en dehors des lois ordinaires ! Manson apparaît avec un shako immense qui paraît beaucoup le gêner. Il y a un soupir de soulagement dans la salle quand il se décide à le mettre sous son bras.

Au troisième acte, nous sommes dans la boutique d’épicerie des Michu, et Bagnolet qui fait les commissions, y revient de plus en plus ruisselant. Les deux petites Michu sont en mariées avec des robes en mousseline de soie brodée sur dessous de satin, et le général apparaît en grande tenue de service avec le chapeau ferré à plumes blanches. Le capitaine est en pelisse écarlate ; et toujours ce diable de shako surmonté d’un plumet gigantesque ! Enfin, après avoir hésité, Manson le campe sur la pomme de l’escalier. Ouf !

Ensemble de noce, rondes de la halle et gentil dénouement, Mme Dulac poudrée, ressemblant tout à coup à la marquise des Ifs, sa mère. Il faut si peu de chose.

Entendu à la sortie : – Que pensez-vous de la musique ? —C’est Mamz'elle Trois-Sous.

RICHARD O’MONROY

Personnes en lien

Compositeur

Gaston SALVAYRE

(1847 - 1916)

Homme de lettres, Journaliste

Richard O'MONROY

(1849 - 1916)

Chef d'orchestre, Compositeur, Organiste

André MESSAGER

(1853 - 1929)

Œuvres en lien

Les P'tites Michu

André MESSAGER

/

Albert VANLOO Georges DUVAL

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date de publication : 31/10/23