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Premières représentations / Soirée parisienne. Lancelot

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M. Joncières a écourté le titre de son opéra, qui va être prochainement représenté à l’Académie Nationale de Musique. Au lieu de Lancelot du Lac l’œuvre sera simplement intitulée Lancelot. Souhaitons pour lui, qu’en effet, elle n’ait rien à faire avec Le Lac. C’est peut-être aussi par fétichisme ? 

[…]

PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS
OPÉRA
Lancelot. Drame lyrique en quatre actes et six tableaux ; Poème de MM. Louis Gallet et Édouard Blau, musique de M. Victorin Joncières.

On sait que Lancelot est le héros d’un célèbre roman du moyen-âge, lequel roman, primitivement écrit en latin, par un anonyme, pour faire suite à celui du Saint-Graal, fut traduit en langue romane, au douzième siècle, par Gautier Mapes, chevalier du roi.

Fils de Ban, roi de Brucie, la paladin Lancelot fut élevé par la fée Viviane, la Dame du Lac, et devint l’un des douze chevaliers de la Table Ronde. La passion qu’il conçut pour la belle Genièvre ou Guinèvre, femme du roi Arthus, attira sur sa tête toutes sortes de malheurs, en le poussant à dédaigner les séduisantes avances de la fée Morgane, élève de l’enchanteur Merlin et sœur d’Arthus, roi de Bretagne. C’est donc d’une source essentiellement romanesque et légendaire que Louis Gallet et Édouard Blau ont tiré le livret par eux fourni à M. V. Joncières et dont nous allons suivre les péripéties diverses.

Le début de l’ouvrage nous montre des groupes de seigneurs s’agitant à propos de l’élection prochaine d’un chevalier de la Table ronde et célébrant tour à tour les vertus belliqueuses de leur candidat respectif : Le comte Alain de Dinan et le baron Markhoël.

Khadio, humble ménestrel, tout en essayant de modérer la noble ardeur qui porte ces braves, leur fait entrevoir un juste et prompte décision, car le roi a désigné comme arbitre souverain Monseigneur Lancelot, c’est-à-dire le plus renommé de ceux qui peuvent s’asseoir autour de la Table ronde.

Accompagné de sa femme Guinèvre, le roi Arthus vient, en personne, ouvrir la solennelle audience.

Tandis que le monarque prodigue à la reine les témoignages de tendresse, celle-ci ne cesse de penser à Lancelot qu’elle aime et dont elle redoute l’abandon, le roi lui ayant annoncé le prochain mariage du fameux paladin avec Élaine, fille du comte Alain de Dinan.

Or, Markhoël a surpris, dans les bois de Brocéliande, les tendres entretiens de Lancelot avec sa souveraine. Il veut abuser de sa découverte et menace le chevalier de dévoiler ses deux secrets s’il ne le choisit pour occuper la place libre devant la Table ronde.

Lancelot ne tient nul compte des insinuations de Markhoël et, bravant les menaces, il nomme chevalier pair Alain de Dinan, que l’on acclame.

Insoucieux de dangers qu’ils courent, aussi bien que du mariage projeté pour le chevalier, Guinèvre et Lancelot caressent longuement de nouveaux projets amoureux, quand ils sont surpris par Arthus, prévenu, naturellement, par Markhoël, lequel espère pouvoir ainsi se venger du dédain de Lancelot.

Irrémédiablement perdue, la reine ne s’abaissera pas à d’inutiles supplications, elle appellera simplement sur celui qu’elle aime le secours divin et ira, dans un couvent, attendre l’arrêt de son royal époux.

Markhoël blesse Lancelot en un combat singulier ou, pour mieux dire, en un guet-apens.

Relevé par Alain, dans les bois de Brocéliande, le chevalier est recueilli au château de Dinan où les soins à lui prodigués par le châtelain et sa fille Élaine le font, au bout d’un mois « fort et dispos ».

Bien que le comte ait soigneusement caché à sa fille le nom et les aventures du malade, Élaine ne tarde pas à éprouver pour celui-ci un sentiment de vive tendresse encore vaguement partagé par Lancelot. Son père s’empresse de créer une diversion en lui disant d’oublier le projet d’union avec le chevalier Lancelot, dont il avait été question, pour ne penser qu’à un prochain séjour à la cour de Bretagne où plus d’un chevalier cherchera, sans nul doute, à la retenir.

Surviennent les seigneurs qui, largement accueillis au château, nous ramènent à pleine actualité.

Un seul manque à l’appel, disent-ils, c’est Lancelot, mort, déshonoré, traître au Roi son bon maître.

Protestation d’Alain. Quant à Lancelot, il saura bien prouver la fausseté de ces allégations.

Le ménestrel Kadio vient annoncer, de son côté, que le roi Arthus tient toujours Guinèvre prisonnière, en un cloître, loin de Kerléon.

Il n’en faut pas plus pour enflammer l’ardeur chevaleresque de Lancelot. Prenant congé de ses hôtes, il se décide à partir le soir même pour délivrer la reine cloîtrée.

Atterrée pour cette soudaine résolution, Élaine, que son père veut conduire au palais, demande à être enfermée en un couvent.

Au 3ᵉ acte, Lancelot, harassé de fatigue, s’assied dans la forêt, au bord du lac où il vécut si heureusement les jours de son enfance. Sur l’obscure feuillée s’épand une lueur surnaturelle ; des voix s’élèvent imprécises. Des taillis, comme des flots du lac, surgissent des formes vaporeuses. On l’a deviné : c’est le ballet. Apparition de la Dame du Lac, dont les mystérieuses voix appellent les consolations sur la tête du malheureux chevalier, etc., etc.

Le jour relève enfin. Lancelot s’éveille peu à peu, charmé par les chants féeriques. Le couvent où fut enfermée Guinèvre, sert, fort à propos, de refuge à la désolation d’Élaine. Celle-ci fait à la reine cloîtrée de troublantes confidences. D’après les bruits qui courent, Lancelot serait mort, justement châtié par Arthus. Une religieuse annonce à Guinèvre la visite prochaine du Roi.

Il vient en effet, non terrible et menaçant, comme on pourrait s’y attendre, mais touché par la voix du pardon. Le souvenir de ses amours avec la belle reine hante encore son esprit… Il en évoque les heures enchanteresses.

Sur le point de livrer de nouveaux combats, Arthus laisse encore à la reine l’espoir suprême de le retrouver dans les cieux…

Guinèvre prend alors la résolution de mourir dans le remords et l’expiation.

Mais la voix de Lancelot se fait entendre ; il vient arracher la reine à sa trop longue captivité. Arthus le croyant mort, les amants pourraient retrouver un bonheur que Guinèvre refuse.

Élaine, survenant à l’improviste, apprend ainsi que c’est pour la reine que Lancelot a reçu la blessure par elle soignée et guérie. C’est encore pour elle que le chevalier a brisé un avenir qui s’annonçait heureux.

Elle apprend enfin, la pauvre jeune fille !, que ce chevalier n’est autre que Lancelot lui-même. On entend alors le Requiem æternam chanté par les voix des religieuses ; Guinèvre va prier avec elles, pour ceux qu’on ne reverra plus.

Évanouissement d’Élaine qui, sous le coup de tant d’émotions, fait à la reine l’aveu de son amour pour Lancelot.

Le dernier tableau, où Épilogue, nous amène au bord du Lac des Fées, près du château de Dinan. C’est là que Kadio a ramené le chevalier, lui exposant que, en cet asile, comme celles de son corps, les blessures de son âme pourraient trouver la guérison.

Pâle, brisé par la douleur un vieillard erre en ces lieux : C’est le comte Alain. Il attend la barque qui va lui ramener le corps inanimé de sa fille.

L’esquif paraît, enfin, portant Élaine, morte, drapée de blanc, sur un lit de fleurs.

Guinèvre se tient près d’elle.

Lancelot comprend, alors, et désespère.

Quant à Guinèvre : il lui reste Dieu, cette dernière passion des femmes.

Nous le disions plus haut : la donnée de ce livret appartient au domaine du roman et de la légende. Pourquoi faut-il que MM. Louis Gallet et Édouard Blau ne l’aient pas mieux compris ! Pourquoi faut-il qu’écartant, pour ainsi dire soigneusement, l’élément susceptible de poétiser leur adaptation et de donner des ailes au musicien, ils ne nous aient servi qu’un gros tas d’incidents assez décousus et, circonstance aggravante, peu rehaussés par une réalisation littéraire souvent obligeante et facile. Nous n’aurons pas le mauvais goût d’insister sur l’analogie « Lohengrinesque » que renferme un pareil sujet ; mais, du moins, fallait-il tirer parti de ces affinités, en offrant au compositeur, par une exploitation du côté féerique adroitement disséminée dans l’œuvre, mais non spécialement concentrée dans le ballet, l’occasion de mettre en relief la somme éventuelle de ses dons musicaux, comme les richesses présumables de sa palette orchestrale.

En agissant d’autre sorte, MM. Louis Gallet et Édouard Blau se sont trompés ; ils ont mal servi la cause du musicien car, dans ces conditions, il n’a pu écrire qu’une partition amorphe, hybride, dépourvue de netteté dans son plan, dans ses grandes lignes et ne pouvant satisfaire ni les réactionnaires, ni les opportunistes, ni les… « arrivistes ».

Peu portée, en effet, ou, même, pas portée du tout, par un sujet embarrassé dans la forme bâtarde que lui donnèrent les librettistes, la Muse de M. V. Joncières a lutté de son mieux, s’étalant ou se traînant péniblement en des pages trop nombreuses de récitatifs mesurés.

Si l’on trouve dans ses quatre actes, la marque d’une honnête tranquillité musicale, vainement y chercherait-on de belles envolées lyriques, des morceaux franchement, solidement et surtout courageusement édifiés, et, plus vainement encore, quelque manifestation esthétique conforme aux légitimes aspirations des contemporains militants.

Moins asservi dans le ballet, le compositeur de Lancelot a pu placer, là, d’aimables et sveltes phrases et prouver qu’il savait accoupler agréablement les divers timbres de son orchestre.

MM. Vaguet et Fournets défendent vaillamment l’ouvrage.

La jolie voix de M. Renaud et la souplesse de son style, font de lui un excellent roi Arthus.

Nous ignorons si Mlle Delna est une grande artiste, mais, sa belle voix une fois admise, nous savons qu’elle attaque constamment les sons en dessous et qu’elle ampoule singulièrement sa diction donnant à de futiles détails une importance exagérée.

Mme Bosma, se montre fort gracieuse et cantatrice distinguée dans Élaine.

Les chœurs ont bien donné, encore que leur justesse ait parfois laissé à désirer.

L’orchestre de M. Vidal a fait son devoir, tout son devoir.

G. Salvayre

Soirée parisienne

Ce chevalier casqué, ce Père du Lac.. serait-ce une nouvelle alliance du sabre et du goupillon ? Non. Il s’agit, tout simplement, d’un opéra de M. Victorin Joncières, reçu depuis bien longtemps par M. Bertrand, dont M. Gaillard s’est montré le pieux légataire.

Je ne sais pas si le sujet, en l’analysant, est beaucoup plus convenable que celui de l’Homme à l’oreille coupée, et la reine Guinèvre est certainement une gaillarde qui passe du baryton au ténor avec une déplorable facilité. Elle cherche des voix… pardon, sa voie. Mais la musique est là pour tout excuser avec un orchestre sonore conduit tantôt par M. Vidal et tantôt par M. Taffanel ; et l’amour n’a certainement pas maigri tous ces héros qui me semblent bien nourris. Madame Delna est plutôt potelée, Madame Bosman est bien en chair ; Monsieur Renaud est rondouillard et M. Bartet grassouillet. Seuls MM. Fournets et Vaguet (qui ressemble de plus en plus à J. Dupuis) ont conservé, à travers toutes ces émotions adultérines une certaine sveltesse.

Palais de l’époque gothique, intérieurs meublés de simples banquettes, châteaux forts mirant leurs tourelles crénelées dans le miroir des eaux profondes, couvents fleuris et ensoleillés, tels sont les cadres où se meut tout un peuple de seigneurs bardés de fard et de fer, et de belles dames en robes de velours, de damas et de brocart.

Le décor du « rêve de Lancelot » est particulièrement réussi ; Lancelot s’endort au bord du fleuve, et immédiatement du sein des eaux émergent des lucioles en robe de tuile bleu électrique avec des étoiles lumineuses dans les cheveux, des fées vêtues de blanc et armées de lances, telles les guerrières de Sigurd ; tout cela évolue autour de Lancelot enfant, – la gracieuse Robin – et lui apprend l’escrime, la courtoisie, la force qui fait un aimable chevalier et tout ce que Robin sait de naissance. Mme Vangœthen, J. Régnier, Beauvais, Ixart, Morlet, Couat, etc. pirouettent à qui mieux mieux : Mme Mante frappe sur son bouclier, et Mme Soubrier personnifiant la fée du Lac, après nous avoir émerveillés par son ballon et son élévation finit par disparaître, avec ses sœurs, dans les eaux, en entraînant avec elle le jeune chevalier. Elle lance l’eau du lac ; c’est très gracieux et très poétique. Nous avions le Robin des bois. Voilà le Robin des eaux.

Après l’acte du couvent où l’on entre comme dans un moulin, l’on nous a servi la mort de Mme Bosman, sans laquelle il n’y aurait pas de bon ouvrage lyrique. Et l’Opéra passe pour un endroit gai ! Nous l’avons vu passer à l’horizon, la pauvre Élaine, étendue rigide et pâle au milieu des orchidées. Que c’était comme un bateau de fleurs !

En chœur : Que c’était comme un bateau de fleurs !

En chœur… Ah ! non assez ! 

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date de publication : 31/10/23