Théâtre de l'Opéra-Comique. Le Pré aux clercs
THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE;
Le Pré aux Clercs, opéra en trois actes de M. Planard, musique de M. Hérold.
Le bon temps est revenu pour les paroles d’opéra-comique : M. Planard est rentré dans la carrière. Il est revenu avec ses scènes découpées à jour, sa fable facile à comprendre, ses personnages insignifiants et toujours prêts au milieu de l’action à rengainer leur épée ou à mettre leur chapeau sur leur tête, et à vous dire : Attendez, je vais chanter ! Le nouvel opéra-comique, qui a beaucoup réussi avant-hier, est taillé tout-à-fait sur ce vieux et facile patron, avec lequel on a construit tant de chefs-d’œuvre. Si cette fois le moyen-âge arrive là, il n’arrive là que pour obéir à l’usage de notre temps. C’est d’ailleurs tout-à-fait du moyen-âge, comme le moyen-âge de Joconde, en bottes jaunes, en habit de chevalier et en éperons d’or. Ne vous inquiétez donc pas du titre et du sujet de l’opéra-comique de M. Planard ! N’ayez peur cette fois ni de l’histoire ni de la couleur locale, choses si fausses et si ennuyeuses dans les drames ; comme je vous dis, le Pré aux Clercs est un véritable opéra-comique, ni plus ni moins.
Marguerite de Navarre, la première femme de Henri IV, est venue à la cour de Henri III, accompagnée d’Isabelle de Mortagne, tendre et simple Béarnaise, que Catherine de Médicis retient en otage à l’hôtel de Nesle, pour la faire servir à sa politique. Isabelle de Mortagne, véritable huguenote, regrette à la cour de Henri son château des Pyrénées et son amant Mergy-le-Huguenot, un des compagnons du Béarnais. Justement Mergy-le-Huguenot, député à Henri III par Henri de Navarre, vient réclamer Marguerite de Navarre, la femme de son maître, et en même temps Isabelle, sa bien-aimée. L’introduction du jeune ambassadeur, que vous avez déjà vu dans une auberge, au premier acte, se fait dans un bal au second acte. C’est là que le jeune Mergy se rencontre face à face avec le terrible comte de Cominges, spadassin achevé, ferrailleur indomptable, qui chaque matin va se rafraîchir d’un coup d’épée au Pré-aux-Clercs ; véritable pourfendeur d’hommes en gants jaunes, aussi redoutable que redouté. Justement ce terrible Cominges est amoureux d’Isabelle ; c’est même à lui que le roi Henri III donne Isabelle en mariage. Vous concevrez sans peine que Cominges donne rendez-vous pour le lendemain matin, sur le Pré-aux-Clercs, à ce pauvre Mergy, son rival ; vous avez vu pareille scène dans la Chronique de Charles IX.
Le troisième acte est d’un grand effet ; la comtesse Isabelle s’est enfuie du château pour suivre Mergy ; son amant, son époux. Elle est là, sur la scène, à attendre pendant que Mergy s’escrime avec Cominges. Dans le lointain, vous voyez passer lentement une barque recouverte d’un drap noir ; l’un des combattants a succombé. Pleurez Mergy ! Isabelle pousse un cri. C’est un cri de joie. Le compagnon d’Henri IV est vainqueur ; Cominges est percé de part en outre ; c’est son corps que vous avez vu passer là-bas dans la barque, recouvert d’un voile noir.
L’opéra-comique finit là.
La pièce est égayée par un rôle de bourgeois très niais et d’Italien très poltron, et de jeune fille très égrillarde. C’est une pièce très bien faite, opéra-comiquement parlant.
Quant à la musique, elle est de M. Hérold, c’est tout-à-fait aussi une musique d’opéra-comique, et, comme telle, sujette à de grandes critiques ; L’ouverture qui commençait comme une œuvre de conscience, indépendante de toute imitation, avec une grande velléité de formes fuguées, m’avait d’abord donné bon espoir, non pas que j’aime la fugue en elle-même et pour elle-même, grand Dieu ! mais d’ordinaire elle annonce l’envie de nous débarrasser des copies rossiniennes, des rhythmes sautillants, des notes pointues et des éternels triolets. Malheureusement, M. Hérold n’est pas resté longtemps dans cette velléité d’indépendance et d’originalité. Tous ceux qui, l’entendant commencer ainsi, ont pu craindre le pédantisme, ont été bientôt et tout-à-fait rassurés. Les formes rossiniennes ont prévalu dans tout le morceau qui n’a plus été que ce que l’on entend tous les jours, de l’excellent Adam, et rien de plus. Sans nul doute, ce besoin d’imitation est une chose affligeante. Mais quand donc, je vous prie, les hommes du talent de M. Hérold viendront-ils à reconnaître que les rhythmes et les procédés rossiniens, si tranchés, si arrêtés, frappés d’un coin si net, rappellent nécessairement aux oreilles qui les entendent des mélodies tout entières, déjà toutes faites depuis longtemps, et que les imiter c’est s’exposer, comme cela arrive à chaque nouvel essai de ce genre, à s’entendre dire à chaque phrase : « Ceci est pillé, j’ai entendu cela quelque part ! » Et pourtant non, cela n’était pas pillé ; non, vous n’avez pas entendu cela auparavant ; la cantilène est originale à coup sûr, mais elle s’est maladroitement produite sous une harmonie d’emprunt. Quand on revêt la livrée d’un homme, on n’a que ce qu’on mérite quand on est pris dans la rue pour son laquais. L’ancienne manière, ou si vous aimez mieux, la manière différente, avait du moins, vous en conviendrez, ce grand avantage qu’elle laissait chacun libre de se faire une originalité qui lui fut personnelle, si, toutefois, il était capable d’en avoir une. Ceci soit dit une fois pour toutes : à quoi bon s’enrouer pour se faire comprendre de ceux qui ne veulent pas comprendre ? Continuons notre analyse.
Après une introduction qui ressemble à toutes celles de Feydeau, nous arrivons au duo de Nicette et de Gorod, qui commence, il est vrai, d’une manière commune, mais qui bientôt prend une tournure originale et qui, je crois, surnagera dans la musique de M. Hérold. La cavatine de Mergy, toute rossinienne, est coupée en trois rimes féminines, dont les e muets vont, suivant l’usage, placer invariablement un eu, sonore comme vous savez, sur des notes aigües ; c’est tout ce que je puis dire de ce morceau. Vient ensuite un chœur de soldats d’un très bon effet. Le public a trouvé fort bons les couplets en style montagnard, chantés par Mme Casimir. Je ne veux pas gêner le public, c’est son affaire, à chacun son goût, même au public. Quant au finale du premier acte, il y en a beaucoup au Vaudeville de tout semblables, autant du moins que l’on peut en juger par les voix qui le chantent. Quand le tour de ce finale est venu les chœurs arrivent sur le théâtre ; tout ce monde est à sa place, bien en ordre, l’orchestre joue, il ne manque plus rien pour exécuter ce finale, chanté. On dirait d’un régiment rangé en bataille pour passer la revue et qu’on renvoie à la caserne, attendu que le temps menace e que l’affaire est remise à un autre instant.
Au deuxième acte, le musicien se livre à de grands préparatifs, à des frais énormes. Cette fois ce sera sans doute notre faute si nous ne sommes pas enchantés. Grande ritournelle avant le lever du rideau ; la ritournelle est coupée en deux par un solo de violon ; la toile se lève enfin, et tout de suite Mme Casimir chante un andante concertant avec le violoniste solo. Vous savez tout ce qu’il y a de nouveau dans une concertante. Il y a toujours entre l’andante et le presto quelques phrases insignifiantes pendant lesquelles chanteurs et auditeurs reprennent haleine ; c’est à ce moment de l’air de Mme Casimir que j’allais bonnement m’accrocher pour trouver quelque chose, quand tout à coup est venu le déluge ordinaire de gammes chromatiques, de trilles, et surtout de casse-cou que Mme Malibran a mis si fort et si malheureusement à la mode ; mauvais tour de force en ah ! ah ! ah ! ah ! bien pointus, mis ensuite en tyrolienne à l’usage de la petite propriété vocale et de la musique bourgeoise et qui, aux grands jours, après diner, à nuit close, quand vous espérez un moment de repos, font irruption dans votre domicile, afin que le détestable soit à la portée de tout le monde. Ici Mme Casimir concertait avec la flûte, et, à la rigueur ; la chose n’est pas défendue ; seulement je conseille à Mme Casimir quand elle voudra faire des gammes chromatiques, de ne pas les faire répéter par un instrument de l’orchestre, attendu que les sons obtenus par le doigté, sortent toujours plus ou moins nets. J’ai en grande et sincère estime le public de l’Opéra-Comique ; cependant je ne serais pas fort étonné quand bien même cet air serait cité par les amateurs comme le morceau de résistance de la partition.
Mais enfin, voici un grand dédommagement à tous ces morceaux prétentieux. Voici un trio fait avec soin, habilement conduit, convenablement développé et disposé à merveille pour les voix telles qu’elles sont. Féréol luttant de toutes ses forces contre sa voix absente, chante deux passages charmants avec une excellente volonté musicale. Le public s’aperçoit du naïf désir de Féréol, et il répute l’intention pour le fait ; il applaudit ; et soit fait ainsi que le veut le public ! Il y a, je crois, avant ou après ce beau trio quelque chose qui ressemble au finale du premier acte, mais qui malheureusement est tout aussi bien chanté.
Vous voyez que je ne recule devant aucune critique. Je ne sais pas ce que c’est que de faiblir, surtout devant les noms d’une certaine importance ; être sans indulgence et sans pitié, c’est une preuve d’estime que je suis toujours très prêt à leur donner, et qu’ils recevront de moi toujours. Je ne dissimule donc pas tout ce qu’il y a de faible, et de trop inerte, et de maladroit, et de prétentieux dans ces deux premiers actes du Pré aux Clercs ; en revanche je rendrai toute justice au troisième acte que je puis louer sans restriction, et le cœur soulagé d’un grand poids. Je ne parle pas ici de la ronde stéréotypée de Mlle Massy, pâture quotidienne de méchants et faciles couplets qu’on jette sans façon à l’assemblée : mes éloges commencent au trio qui est d’un très joli effet non pas parce qu’on la fait répéter, mais quoiqu’on l’ait fait répéter. J’arrive ensuite sans interruption jusqu’à la fin, en passant par un vigoureux exorde d’une scène de duel, au chœur de joueurs très original et à la belle et touchante scène nocturne ; presque tout cela est de très bon aloi, très original, inspiré, sans manière, et tout à fait du véritable fonds de M. Hérold.
Là est tout à fait le succès de la pièce, qui promet d’être durable, quelles que soient mes critiques, parce qu’il me paraît avéré, à voir l’enthousiasme du parterre, que le public veut absolument de ce théâtre, que c’est un plaisir qui lui est nécessaire, et auquel il arrive avidement, aussitôt qu’on lui en fournit un prétexte ; et quel meilleur prétexte en effet, pour les amateurs d’opéra-comique, trois actes de l’auteur d’Emma, et une partition de l’auteur de Zampa ! Le succès a été complet. On a redemandé M. Hérold. M. Hérold a fait dire qu’il était malade, et qu’il ne pouvait se rendre à l’empressement du public ; vous verrez qu’il aura entendu chanter ses chanteurs.
Il est impossible en effet de se figurer un assemblage de chanteurs plus médiocres. Voix éteintes, poitrines haletantes, véritables chœurs d’opéra-comique, qui n’ont rien perdu de leur ancienne réputation d’il y a dix ans, si ce n’est qu’elle est plus méritée et qu’elle a dix ans de plus. Le moyen d’être musicien avec de pareils instruments ! Ces tristes chœurs n’ont pas été trois fois en mesure. Il faut excepter de notre anathème Mme Casimir, Mme Ponchard, et peut-être aussi, avec un peu de bonne volonté, Etienne Thénard, qui chante avec beaucoup de goût, ne pouvant chanter avec beaucoup de voix.
J. J. [Jules Janin]
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Le Pré aux clercs
Ferdinand HÉROLD
/Eugène de PLANARD
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date de publication : 03/11/23