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Revue musicale. Psyché

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REVUE MUSICALE
Théâtre de l’Opéra-Comique : Reprise de Psyché, opéra en quatre actes, paroles de MM. Jules Barbier et Michel Carré, musique de M. Ambroise Thomas.

M. Carvalho vient d’atteindre le point culminant. Il n’ira pas plus loin. Psyché, dans sa forme nouvelle, avec les récits ajoutés, est un véritable grand opéra. Les auteurs, en vue de la représentation qui devait avoir lieu au Théâtre-Lyrique, l’avaient même augmenté de quelques morceaux de chant et airs de ballets. À l’Opéra-Comique où les ressources chorégraphiques sont fort restreintes on a commencé par couper le divertissement ; puis peu à peu, avec tontes les précautions oratoires, tous les ménagemens usités en pareil cas, on a supprimé plus d’une page que le musicien eût été très désireux de conserver. Les rôles bouffes d’Antinoüs et de Gorgias ayant eux-mêmes disparu, on ne trouve plus maintenant dans Psyché le plus petit mot pour rire. Bien des gens vous diront que cela est fort regrettable et que l’Opéra-Comique, du moment qu’il n’est plus comique, est un théâtre perdu. Cela s’est dit pour la Statue, cela se dira pour Psyché. Je ferai remarquer seulement, en ce qui concerne le premier de ces ouvrages, qu’il n’a pas tenu bien longtemps sur l’affiche la place d’un opéra où l’on parle, d’un opéra où l’on rit. Et je souhaite bien sincèrement une meilleure fortune à Psyché. L’opéra de M. Ambroise Thomas a d’ailleurs plus d’une compensation à offrir à ceux qui regrettent le dialogue, les lazzis de Gorgias et d’Antinoüs : il a la valeur musicale de la partition d’abord, puis l’intérêt du poëme ; enfin et surtout le luxe, la richesse des costumes, la magnificence des décors. Ah ! sous ce rapport-là on n’a rien épargné. Malheureusement, dans Psyché il n’y a pas de ténor. Deux rôles de femme, un baryton et c’est tout ou à peu près tout ; les autres rôles étant fort secondaires. Sans doute M. Ambroise Thomas eût pu faire pour Mercure le contraire de ce qu’il a fait pour Hamlet ; mais on ne le lui a pas demandé et il s’est bien gardé d’y songer. Autrefois, Mercure c’était Bataille aujourd’hui, c’est M. Morlet, un jeune chanteur dont les débuts dans les Surprises de l’Amour avaient été fort remarqués. Ce rôle du messager des dieux a dû subir pourtant certaines modifications, la voix de Bataille étant beaucoup plus grave et beaucoup moins haute que celle de M. Morlet. Si Psyché eût été donnée à l’Opéra, comme il en a été question un moment, c’est M. Faure qui aurait chanté le rôle de Mercure, du moins c’est à lui qu’on le destinait.

Mais il est advenu de la reprise de Psyché à l’Opéra ce qui est advenu de la reprise d’Armide. On a longtemps hésité, et, pendant qu’on hésitait, M. Faure est parti. Alors les auteurs ont porté leur œuvre au Théâtre-Lyrique, et comme après la fermeture du théâtre de la Gaîté ils se disposaient à la porter ailleurs, à la salle Ventadour je suppose, M. Carvalho l’a saisie au passage et il a bien fait. Seulement, il s’est trouvé, comme pour la Statue, en présence d’un veto de la commission des auteurs, laquelle est chargée de veiller à ce que chaque théâtre se renferme dans son genre respectif et n’empiète pas sur les attributions de son voisin. M. Carvalho a eu à lutter contre des orateurs très éloquens et très convaincus qu’ils employaient leur éloquence à conjurer un péril. « Je vous demande, Messieurs, s’est-il contenté de leur dire, de vouloir bien m’accorder pour Psyché la même exception que pour la Statue. Les exceptions confirment la règle, vous le savez bien. Et d’ailleurs, ne suffit-il pas que je mette sur mon affiche Psyché, opéra-comique, pour que tout soit sauvé ? » En quittant la commission des auteurs, M. Carvalho est allé chez le ministre. Je ne crois pas que ce soient les objections de M. Bardoux qui l’aient beaucoup tourmenté. 

Je suis entré dans ces détails, qu’il n’y a aucune indiscrétion à faire connaître, pour calmer les craintes de ceux qui pourraient s’imaginer que M. Carvalho s’engage dans une voie funeste et qu’il est tout prêt à recommencer l’expérience qu’il vient de faire avec la Statue et Psyché

Si Psyché n’obtint pas, à l’origine et dans sa forme primitive, la faveur persistante du public, c’est bien plus à cause de la couleur poétique et mythologique du sujet que de la sévérité du style musical, tempérée alors comme aujourd’hui par des cavatines, des romances et des chansons. C’était la première fois que des dieux et des déesses de l’Olympe descendaient aussi solennellement sur une scène destinée aux simples mortels. Depuis, on a tant et si indignement bafoué ces pauvres divinités, qu’il ne serait pas impossible qu’une réaction s’opérât en leur faveur.

Un journal [Le Ménestrel] qui s’est beaucoup occupé de la reprise de Psyché publiait dernièrement la liste des pièces de différens genres, opéras, cantates tragédies lyriques et ballets, inspirées par la célèbre fable d’Apulée. Puis un bibliophile distingué, M. Gustave Chouquet, venait à son tour, dans le même journal, apporter son contingent d’érudition sur le même sujet et y ajouter de précieux renseignemens.

En même temps paraissait chez l’éditeur Michaélis une nouvelle édition de la Psyché, de Thomas Corneille et Jean-Baptiste Lully.

J’estime que le lecteur aimera mieux que je lui parle de M. Ambroise Thomas que de Lully, ou du noble Alexandre Striggio, gentilhomme de Mantoue, le premier compositeur, s’il faut en croire le docte M. Chouquet, qui ait mis en opéra la fable de l’Amour et Psyché.

Cette fable est fort connue. Ceux qui n’ont pas lu l’Âne d’or, d’Apulée, connaissent du moins les Amours de Psyché et de Cupidon telles que le bon La Fontaine les a racontées, ainsi que la tragédie-ballet que Molière, Pierre Corneille, Quinault et Lully écrivirent en quelques jours pour l’inauguration de cette vaste salle des machines que le grand roi avait fait construire aux Tuileries « pour les divers spectacles et pour les délassemens de son esprit et le divertissement de ses peuples. » Cela ne doit pas nous empêcher de dire quelques mots du poëme de MM. Michel Carré et Jules Barbier, d’autant plus qu’il y a eu vingt et un ans le 20 janvier dernier que fut donnée à l’Opéra-Comique la première représentation de Psyché. C’était sous la direction de M. Émile Perrin, un directeur dont on pourrait faire l’éloge en disant que dans sa carrière déjà longue il a toujours su se montrer habile sans dépasser jamais les bornes de l’habileté. Les détails plastiques l’intéressent, le passionnent ; il s’en occupe en artiste, en connaisseur, et l’on se souvient encore à l’Opéra-Comique des soins et du bon goût qui présidèrent à la mise en scène de Psyché.

Au premier acte, le peuple invoque Vénus ; le roi, suivi de ses filles Daphné, Bérénice et Psyché, vient déposer des offrandes aux pieds des autels pour calmer le courroux des dieux. À la vue de Psyché, le peuple croit que c’est Vénus elle-même qui a pris la forme d’une mortelle ses sœurs, jalouses des hommages rendus à sa beauté, pressentent autant qu’elles la désirent la colère de la déesse :

Par un brusque retour,
Tant de gloire a parfois quelque suite fatale !
Il est vrai que Vénus pourrait bien quelque jour
Punir l’orgueil de sa rivale. 

En effet, Vénus irritée a chargé Mercure et Éros du soin de la venger. Le « messager des dieux », prenait la figure du grand-prêtre, prononce l’arrêt par lequel Jupiter ordonne que Psyché sera « plongée au sein des flots amers. » On conduit la victime sur une roche escarpée ; mais Éros, à qui les grâces de Psyché ont fait oublier les ordres de sa mère, sauve la jeune fille en envoyant Zéphire à son secours.

Va, sur ton aile, 
Messager fidèle, 
Porte ma belle
À travers les airs

« Les théâtres, est-il dit dans la partition, qui éprouveraient quelque difficulté à exécuter la mise en scène de l’enlèvement de Psyché dans les airs, peuvent se borner à faire apparaître Zéphire sur le rocher ; il attirera Psyché rapidement vers une barque conduite par lui et l’emportera sur les eaux ; pour cela, il suffira de remplacer dans les chœurs, et les rôles les mots : « à travers les airs » par ceux-ci « à travers les mers. » En effet, dans les théâtres même les moins favorisés sous le rapport des accessoires, il y a toujours une barque, puisqu’on a coutume de dire : Tel directeur mène bien sa barque, tel autre la conduit fort mal. On le voit : il est bon de tout prévoir.

Le décor du second acte représente les jardins du palais d’Éros, où des nymphes ; venues tout exprès du Conservatoire chantent ce joli chœur auquel la Société des Concerts fait de temps en temps les honneurs de son programme, tout comme au chœur des Génies d’Obéron, dont il rappelle la grâce mystérieuse et les élégans contours. C’est là qu’Éros attend Psyché, tandis que Mercure lui fait un bout de morale et lui dicte la volonté de sa mère Vénus.

Elle veut, pour tenir caché
Cet amour qui l’outrage,
Que vous dérobiez à Psyché
Votre nom et votre visage.

Mais Psyché est femme, et sa curiosité, excitée par les conseils de ses sœurs qu’elle a appelées auprès d’elle, la poussera bientôt, pendant le sommeil d’Éros, à pénétrer le mystère dont s’entoure son époux. Nous la verrons ensuite, errante et désolée, éviter les pièges que lui tend Mercure caché sous le masque d’un vieux devin, puis mourir du premier baiser d’Éros, et ressusciter enfin illuminée par les splendeurs de l’Olympe et pardonnée par Vénus : 

Éros, apaise-toi ; Psyché, Psyché plus belle,
Va rouvrir sa paupière au jour ;
Vénus lui pardonne et l’appelle,
Jupiter la fait immortelle
Par ton immortel amour.

Les auteurs du poëme de Psyché ne pouvaient toucher d’une main plus discrète à la délicieuse allégorie d’Apulée, ni en exprimer avec plus d’élégance le sens poétique et charmant. Je préfère de beaucoup la seconde version à la première ; elle est plus complète, et la forme bien mieux appropriée au sujet. Malheureusement, elle exigeait un cadre que les dimensions de l’opéra-comique n’ont pu lui fournir. Alors il a fallu la ramener à peu près aux proportions qu’elle avait autrefois, et, tout en laissant à l’âme sa pureté immaculée et son parfum virginal, rogner sans trop de mesure les ailes du papillon.

Quand M. Ambroise Thomas composa, il y a vingt ans, sa partition de Psyché, il était fort enclin aux formules italiennes, particulièrement à celles que le style de Verdi essayait de rajeunir ; l’influence du mouvement moderne, très combattue à cette époque, ne l’avait pas encore pénétré. II en résulte un contraste frappant entre certaines pages de son œuvre primitive et celles qui tout récemment sont venues la compléter et l’agrandir. Les musiciens s’en rendront plus exactement compte à la lecture de la partition, l’édition nouvelle reproduisant fidèlement le travail du compositeur, très altéré, je l’ai déjà dit, par les exigences de la représentation. Cette différence de style était un écueil bien difficile à éviter, et sur lequel devait infailliblement donner le musicien ingénieux qui venait d’écrire Mignon et Hamlet. Si dans ces deux ouvrages M. Ambroise Thomas n’a pas absolument répudié ses attaches naturelles, du moins s’y montre-t-il atteint par les doctrines d’une école qu’un esprit aussi judicieux, aussi distingué que le sien ne pouvait condamner que dans ses excès. Dès ce moment il était entré dans une voie où allait grandir sa renommée, où ses nouvelles convictions devaient se développer et s’affermir sous l’influence de légitimes succès. Pour encourager les conversions, même les plus sincères, il n’est rien de tel que la faveur du public.

Psyché, Mignon et Hamlet, voilà donc les trois œuvras qui, en attendant Francesca di Rimini, peuvent être considérées aujourd’hui comme l’expression la plus élevée et la plus personnelle du talent de M. Ambroise Thomas. Ce progrès, sans cesse poursuivi par un musicien qui presque à ses débuts avait reçu les caresses de la fortune, est moins encore l’indice d’une imagination tourmentée, inquiète, que le signe évident d’une nature impressionnable, toujours ouverte à de nouvelles aspirations vers un idéal plus parfait. Et s’il est vrai, ainsi qu’on le dit, que M. Thomas considère le Caïd comme un péché de jeunesse et n’y veut plus songer, il a tort. Le Caïd est son Barbier de Séville à lui. Si haut que l’on soit arrivé, c’est par le point de départ que la distance parcourue s’établit. N’est-ce pas d’ailleurs une douce consolation que d’évoquer le souvenir de ses péchés de jeunesse quand on a atteint l’âge où l’on ne peut plus pécher ? M. Ambroise Thomas, quelles que soient la verdeur de son esprit et la gaîté qu’il a conservée, écrirait-il le Caïd aujourd’hui ? 

Je ne vais pas prendre la nouvelle partition de Psyché page par page et la comparer à l’ancienne. Le public ne me saurait aucun gré de lui dire que tel morceau chanté autrefois avec des bémols se chante aujourd’hui avec des dièses, et j’estime que, n’ayant pas perdu le souvenir des morceaux anciens, il aimera mieux que je lui parle de ceux que le compositeur a ajoutés.

Le premier acte est resté le même à peu de chose près : l’air de Mercure a été sensiblement modifié ; le duo entre Psyché et Éros également ; un quatuor a disparu, un air a pris sa place. Cet air a été spécialement écrit pour Mlle Heilbronn.

J’aime beaucoup le chœur d’introduction qui a bien la simplicité et la couleur voulues, la phrase du roi, dans le style italien, ne manque pas de noblesse ; l’air de Psyché, dont la première partie est écrite dans le même style et qui se termine par un allegretto « mollement cadencé », est sobre d’ornemens parasites et trouve un effet réel dans l’adjonction du chœur. Quant à la romance bien connue et toujours applaudie que chante Éros, ce n’est après tout qu’une romance, et je ne crois pas devoir, malgré le succès qu’elle obtient devant le public, insister sur cette bluette échappée à la plume de M. Ambroise Thomas. J’ai retrouvé dans le final la même puissance, la même habileté dans l’art de faire sonner l’orchestre et de grouper les voix.

C’est le joli chœur des nymphes dont j’ai parlé plus haut qui ouvre le second acte ; les couplets que Mercure chante à Éros :

Et la reine de Cythère
En secret se désespère
D’avoir un si grand garçon

rentrent un peu trop peut-être dans le véritable genre de l’Opéra-Comique. À l’Opéra, on les eût bien certainement supprimés. Le récit qui suit a un tout autre caractère. Éros jure par le Styx, et l’orchestre accompagne avec une solennité pleine de terreur et de mystère le serment du jeune dieu.

Aucun changement n’a été apporté au beau duo que chantent Éros et Psyché, ni au trio des trois sœurs dans lequel on sent passer comme un souffle de l’enfer de Gluck.

De monstres affreux vous serez la mère ! 

Je glisse légèrement sur la bacchanale et sur la chanson de Mercure pour arriver plus vite à l’épithalame, Hymen, Hyménée, page d’un sentiment exquis et très délicatement instrumentée, qui termine le second acte.

Il faut chercher le troisième acte presque tout entier dans l’édition nouvelle et regretter les piquans effets d’orchestre que la partition au piano vous laisse deviner. La pantomime, le chœur nuptial, l’arioso de Psyché et la romance du Sommeil ont été rejoindre les coupures faites aux actes précédens. Il ne reste donc guère que l’Invocation à la Nuit, mélodie écrite dans la demi-teinte et d’un style excellent ; l’entrée de Mercure ; quelques phrases du chœur Hymen, Hyménée, qui se chantent dans la coulisse, et la scène de l’outrage dont l’inspiration élevée et la forme toute moderne sont une des pages capitales de l’œuvre.

La chanson du pâtre, au début du quatrième acte, ne se chante pas. J’y trouve, dans la première partie, un vague souvenir de celle du Tannhauser qui fit tant rire il y a vingt ans les habitués de l’Opéra.

La bacchanale, morceau plein de verve et d’entrain, coupé par les plaintes de Psyché et la chanson bachique de Mercure, le duo entre Mercure et Psyché, l’air d’Éros et les imprécations du fils de Vénus qui étaient dans l’édition primitive ont été conservés. On peut considérer comme un morceau inédit le grand trio très dramatique et très habilement développé dans lequel Mercure combat avec la fureur jalouse d’un mauvais génie l’amour d’Éros et de Psyché. Quant à l’évocation de Mercure, elle rappelle autant par le rythme que par le caractère sombre et fantastique des harmonies et de l’instrumentation l’apparition du spectre dans Hamlet. Ceci n’est point une critique assurément.

Les principaux rôles de Psyché, je l’ai dit en commençant, sont confiés à des artistes de premier choix : M. Morlet, Mlle Heilbronn et Mme Engally, très capables tous les trois de bien servir les intentions du maître et d’assurer le succès de l’œuvre de M. Ambroise Thomas. Ce succès se présente, du reste, dans les meilleures et les plus favorables conditions. 

Heureuse Psyché ! elle a pour elle les dieux et la pluie !

E. Reyer.

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date de publication : 03/11/23