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Renaud de Sacchini

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On a donné hier la première représentation de Renaud, Tragédie en trois actes, parles de M. le Bœuf, musique de M. Sacchini. Tout le monde connaît l’épisode d’Armide dans la Jérusalem délivrée ; nous la connaissons plus particulièrement encore par le fameux Poëme du célèbre Quinault, dont les représentations ont été de nos jours si multipliées. Quinault laisse Armide en proie à toutes ses douleurs après la retraite de Renaud. M. Le Bœuf suppose Renaud de retour. Ce Héros s’est signalé par plusieurs exploits éclatants, mais singulièrement par la prise du Solime. Les différents Rois & Chevaliers amoureux d’Armide & ligués contre les Chrétiens, se plaignent de l’abandon où les laisse Armide ; découragés par les succès de Renaud & l’absence trop prolongée de celle qu’ils aiment, ils demandent la paix. Hidraot, père d’Armide, s’y oppose, mais ils persévèrent tous à demander Armide ou la paix. Renaud est député vers les Sarrasins pour l’offrir ; il est reçu avec acclamation ; elle est prête à se jurer lorsqu’Armide se présente. Elle éclate en reproches sur les dispositions où elle trouve ses Amans ; elle reconnait Renaud, & devant lui, demande sa tête & promet sa main à qui la lui apportera. Renaud se retire ; Armide, pour mieux assurer sa vengeance, exige un serment qu’elle obtient. Tranquille à cet égard, elle leur apprend qu’elle amène avec elle de nouveaux Vengeurs : ces Vengeurs sont les Amazones, commandées par Antiope leur Reine. Ces Guerrières arrivent, se mêlent avec les Circassiens, & forment un divertissement qui n’est interrompu que lorsqu’Armide se reproche, avec raison, de perdre le temps en d’inutiles fêtes, & leur demande des combats, au lieu de jeux. Ce divertissement termine le premier Acte.

Armide, toujours flottante entre son amour & sa gloire, ne sachant jamais si elle doit aimer ou haïr, servir Renaud ou le perdre, apprend par Antiope que les Rois & Chevaliers ses amans ont attaqué Renaud à la sortie du camp, & qu’ils profitent de l’avantage du nombre pour l’immoler. Elle s’irrite, s’arme, court à sa défense & le délivre. Renaud reconnait, avec surprise, Armide pour son défenseur ; mais il n’en résiste pas moins aux empressements d’Armide, qui lui déclare enfin qu’elle le hait [sic]. C’est dans ce moment qu’elle apprend que les Rois, indignés de sa conduite à leur égard, se disposent à venir attaquer Renaud & l’immoler à ses yeux. Le danger de Renaud détermine les sentiments d’Armide. Elle lui ordonne de fuir & le fait accompagner par les Amazones. Renaud, de retour au camp des Chrétiens, se met à la tête de ses Guerriers & combat les Sarrasins. Hidraot vient reprocher à sa fille d’avoir causé ce malheur. Armide ne répond qu’en évoquant [sic] les Démons. Hidraot mêle sa voix à la sienne. Les Démons répondent enfin qu’ils ne peuvent lui obéir. Hidraot, malgré les efforts d’Armide qui combat peut être trop longtemps les dispositions de son père, part pour s’opposer aux fureurs de Renaud.

Le troisième Acte commence par différents combats entre quelques troupes de Sarrasins & de Chrétiens. Le Théâtre représente un champ de bataille jonché de morts, de mourants & d’armes brisées. Armide arrive sans casque, échevelée, elle est le témoin du massacre des siens. Adraste, l’un des plus puissants des Rois ses Amans, est apporté mourant de ses blessures ; il lui impute son désastre & meurt en lui annonçant la mort prochaine d’Hidraot son père. Enfin, Armide entend les chants victorieux des Chrétiens sur la victoire de Renaud ; elle saisit un fer sur le champ [de] bataille & veut se percer lorsque Renaud arrive, & lui retient le bras. Armide lui reproche sa cruauté, suppose qu’il ne veut conserver ses jours que pour l’amener à la suite de son triomphe. Hidraot se présente, apprend à sa fille que Renaud lui a sauvé la vie. Il offre son trône à ce Guerrier. Renaud le refuse, & demande Armide qui lui est accordée. Armide s’adresse aux esprits soumis à son empire ; elle exige qu’ils partagent sa joie. Les Génies changent le champ de bataille en un palais magnifique. La pièce se termine par une fête présidée par les Génies.

Nous ne parlerons point du Poëme de Renaud, donné en 1722 par Pellegrin & Desmaret. M. le Bœuf, dans un avertissement qu’il a fait imprimer à la tête du sien, a soin de la rappeler lui même & prévient qu’il s’est rapproché de Pellegrin le plus qu’il lui a été possible. Il convient de s’être approprié plusieurs morceaux entiers qu’il désespérait de mieux faire. Nous sommes loin de blâmer la conduite modeste de M. le Bœuf ; forcé de changer la coupe des scènes pour réduire l’action en trois Actes, on ne peut que le louer d’avoir conservé les morceaux de Pellegrin qui pouvaient produire quelqu’effet ; mais s’il a profité avec Pellegrin des beautés du Tasse, il a partagé avec lui les défectuosités du plan.

On a trouvé que l’amour d’Armide n’avait pas assez d’énergie, que le caractère de Renaud n’était pas décidé, que les Amans d’Armide sont représentés sous des couleurs trop odieuses, qu’aucun d’entre eux ne répond à l’attente d’Armide, au moment où elle se propose pour prix au vainqueur de Renaud ; qu’il est étonnant qu’ils se liguent pour assassiner ce Héros. On aurait désiré qu’Armide fût véritablement incertaine entre son amour & sa gloire ; la délivrance de Renaud des mains de ses assassins, & sa retraite assurée par les Amazones, ne présentent rien que de naturel. Ces deux actions, qui partent du même principe, ne peuvent étonner, surtout lorsqu’elle dit elle-même, qu’elle a voulu des vengeurs & non des assassins. Enfin la résistance de Renaud aux vœux d’Armide n’est assez motivée. Si l’Auteur avait établi le caractère d’Armide dans une scène avec Antiope, peut être, sans rien changer à son plan aurait-il pu rendre l’action plus intéressante & éviter le murmure, qui s’est fait entendre au moment où Renaud demande la main d’Armide. Cependant cet Ouvrage, tel qu’il est, n’est pas sans mérite ; il y a des situations touchantes, & des vers de sentiments ; les Chœurs sont assez bien amenés ; ils sont, pour la plupart, d’un grand effet, parce qu’ils sont en situation.

Le nom du Compositeur de la musique a une célébrité qui ne permet pas de douter de la supériorité de ses talents dans ce genre. Cette supériorité nous est connue par un grand nombre de chefs-d’œuvre, dont quelques-uns ont été joués sur l’un de nos Théâtres ; aussi son Ouvrage est-il plein de morceaux qui doivent servir de modèles ; il a été généralement applaudi. On a remarqué dans l’ensemble une variété toujours nécessaire dans la musique dramatique, & que l’on obtient que difficilement. Les deux Duos entre Armide & Renaud ont paru d’un chant plein d’expression. Le morceau où Armide & Hidraot évoquent les Furies, a paru faible & d’un style peu propre au sujet ; mais les Chœurs ont pour la plupart beaucoup d’effet. On a surtout applaudi avec transport celui du Serment & celui des Démons qui se refusent aux désirs d’Armide. Le monologue d’Armide, Barbare Amour, a produit le plus grand enthousiasme ; mais ce qui a été remarqué avec le plus de satisfaction, c’est le récitatif. L’Auteur, quoiqu’étranger, parait avoir parfaitement saisi l’esprit de notre langue. Il y a peu de fautes de prosodie. Il est rapide & ne manque pas de chaleur & d’énergie lorsque les situations le permettent. Quel que soit, au surplus, le succès de ce premier Ouvrage, le Public parait attendre beaucoup de ce Compositeur. Les beautés lui appartiennent ; & les fautes légères, qu’on a pu remarquer, disparaîtront, lorsque l’expérience lui aura appris & le génie de la langue & ce qu’exigent chez nous les convenances théâtrales.

L’exécution de cet Ouvrage ne laisse rien à désirer ; le rôle de Renaud est chanté par M. le Gros, dont la voix brillante & fraîche, paraît toujours nouvelle. On a vu avec plaisir Mllele Vasseur faire le rôle d’Armide ; cette Actrice réunit à la voix la plus expressive, le jeu le plus noble & le plus vrai. Ce rôle est très fatiguant, puisqu’elle ne quitte point la scène. Les efforts, nécessaires pour rendre avec énergie les morceaux d’effet, n’ont point altéré sa voix dans le Cantabile. M. Laïs, dans le rôle d’Hidraot, & M. Chéron, dans celui d’Adraste, ont obtenu les plus grands applaudissements. Nous ne devons pas omettre deux rôles secondaires, dans lesquelles brillent Mlles Maillard & Lebeuf. Ces deux jeunes Actrices donnent l’une & l’autre, chacune dans leur genre, les plus grandes espérances ; elles ne peuvent manquer de parvenir, l’une comme Actrice, & l’autre comme Cantatrice, si elles savent cultiver les dons naturels qu’elles ont reçus, & si l’Administration cherche à en tirer avantage. Mlle Lebeuf, en particulier, a paru étonner par la légèreté de sa voix & la fraîcheur de son chant. Les deux Ariettes qu’elle chante, l’une au premier, l’autre au dernier Acte, ont été applaudies universellement.

Les deux Ballets sont de la composition de M. Gardel l’aîné. On connait assez les ressources de ce Compositeur & sa fécondité dans ce genre. Il a su parfaitement caractériser tous les personnages dont fait usage, & déployer toute la richesse de son art pour animer les esprits soumis à la puissance d’Armide. À l’égard de l’exécution, il suffit de nommer ceux qui y remplissent les premiers rôles. M. Frédéric & Mlle Gervais dansent à la tête des Asiatiques. M. Nivelon & Mlle Dorival conduisent les Plaisirs. M. Gardel le jeune et Mlle Dupré ouvrent le Ballet au troisième Acte. M. Vestris & Mlle Guimard dansent ensemble en Bergers ; & M. Lefebvre & Mlle Paulin, en Pâtre & Pastourelle.

La décoration qui représente le champ de bataille & d’action du combat au milieu de la nuit qui n’est aperçu qu’au feu des éclairs, a produit beaucoup d’effet & a été fort applaudi.

Personnes en lien

Compositeur

Antonio SACCHINI

(1730 - 1786)

Soprano

Mademoiselle MAILLARD

(1766 - 1818)

Œuvres en lien

Renaud

Antonio SACCHINI

/

Jean-Joseph LE BŒUF

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date de publication : 15/09/23