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Première représentation. La Montagne noire

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À L’OPERA — PREMIÈRE REPRÉSENTATION
« La Montagne Noire », drame lyrique en quatre actes, poème et musique de Mme Augusta Holmès

L’ouvrage représenté hier, à l’Académie nationale de musique, est un opéra en quatre actes d’un caractère guerrier, patriotique et amoureux. Il est l’œuvre, poème et musique, de Mme Augusta Holmès, l’auteur d’Irlande, — une partition d’un beau souffle musical, — et de la célèbre Ode triomphale, que nous applaudîmes en 1889, l’année de la grande Exposition.

L’action de la Montagne Noire se passe vers 1657, aux temps héroïques où le Monténégro luttait contre les Turcs pour son indépendance.

Au premier acte, un beau décor nous montre les fameux « monts noirs », un amas de ruines, fortifiées, avec des pics neigeux en perspective dans un ciel d’azur. Au fond, on aperçoit à droite un autel taillé en plein roc, et que surmonte une statue de la Vierge.

La scène s’ouvre par un combat très animé avec tumulte, cris belliqueux, coups de canon, — tout cela exprimé ou plutôt paraphrasé par l’orchestre.

Mirko et Aslar, deux fiers montagnards, deux chefs de l’armée nationale, sont allés prendre part au combat. Ils reviennent vainqueurs et reçoivent les embrassements de leurs parents et de leurs amis. Mirko, fils de la vieille Dara, est fiancé à Héléna, qui paraît être la sœur de son ami Aslar. Pendant les réjouissances chorégraphiques destinées à fêter la victoire des montagnards, et qu’exécutent les femmes du village, des sentinelles surgissent, poussant devant elles une femme turque, une captive, Yahmina.

Des cris de mort se font entendre ; mais au grand déplaisir d’Aslar et d’Héléna, Mirko prend Yahmina sous sa protection et lui sauve la vie en en faisant son esclave. On devine que la musulmane réussira à se faire aimer et que la fiancée sera délaissée pour elle.

Le deuxième acte nous conduit au milieu d’un village, dans la montagne. La chaumière de Mirko est là. Deux chemins se détachent du décor et vont se perdre dans les monts, sur les flancs desquels le village s’étend à perte de vue.

Les femmes travaillent et humilient à plaisir Yahmina en lui imposant les durs labeurs de l’esclavage. Yahmina s’irrite, car elle se devine aimée de Mirko et, en effet, quand le beau montagnard se présente, il n’a pas de peine à écouter son langage ensorceleur.

Ce Mirko donc, être indécis, vague, sans caractère, consent à abandonner sa patrie pour suivre la captive, l’amoureuse que les hasards de la guerre lui ont donnée. Vers la fin de l’acte, la pauvre Héléna a le cruel déplaisir de voir s’esquiver les amoureux.

Troisième acte. Un site pittoresque dans la montagne. (Trop de montagnes, décidément.) Le paysage est sauvage, parsemé de sapins et de bouleaux. À gauche, un calvaire d’un très beau style se détache sur un monticule de rochers. Mirko et Yahmina sont en route pour gagner la plus prochaine ville turque. Ils vont passer la frontière, lorsque Aslar se présente à eux. Le loyal jeune homme supplie son ami, son frère, de n’abandonner ni la patrie ni Héléna, qui l’aime et n’a pas cessé d’être digne de lui. À un moment, l’explication est si chaude qu’une lutte va s’engager.

Mais Aslar laisse tomber son poignard. Yahmina s’en empare, frappe Aslar, le blesse dangereusement. Et cependant, quand les Monténégrins se présentent, Aslar a la générosité de leur dire que sa blessure lui vient de l’ennemi.

Quatrième et dernier acte. Décor superbe, d’un Orient tout à fait lumineux. Nous sommes dans une ville turque de la frontière, avec remparts, créneaux, jardins pleins de palmiers. La nuit est parsemée d’étoiles, et des danseuses, aux formes les plus voluptueuses, célèbrent par des danses et des chants l’arrivée de Mirko et de son amante.

Cependant la ville ne tarde pas à être attaquée par les compatriotes de Mirko. Victorieux, les montagnards mettent le feu aux maisons. Les danseuses s’esquivent, les murs flambent, s’écroulent, la canonnade retentit, les palmiers s’agitent, de rouges lueurs empourprent l’horizon. Aslar, à la tête de ses soldats, apparaît, rejoint Mirko et, cette fois, le tue net, sans autre forme de procès. Quant à Yahmina, elle a disparu, ce qui symbolise admirablement le caractère de son amour fantasque.

Ce poème manque d’élan et d’envolée. Il a, de plus, le grand défaut de nous rappeler le Pour la Couronne de M. François Coppée. Enfin, il ne donne matière à aucune situation vraiment émouvante. Reste la musique. Ici encore l’attente générale a été déçue. Mme Holmès a trop de talent pour qu’on lui cache, non point la vérité, — la Vérité est absolue, et nul, hélas, ne peut se flatter de la connaître, — mais des impressions qui sont sincères, et que nous inspire l’examen attentif et impartial de la partition.

On a dit de Mme Holmès qu’elle adorait Wagner, mais qu’elle le trompait fréquemment avec Massenet. Cette boutade de chroniqueur parisien nous paraît juste : la Montagne Noire relève plutôt de l’école de Thaïs que de celle de Lohengrin. Nous ne voyons à citer, en dehors des chœurs, que le récit de Yahmina, au premier acte : Parmi les fleurs…, quelques mesures de la danse chantée, la très jolie cantilène de Yahmina au deuxième acte (on l’a applaudie), le duo d’amour entre Mirko et son esclave, et qui ouvre le troisième acte. Il y a là du talent, sous forme de phrases charmantes, mélodiques, de nuances musicales très habilement exprimées.

Quant au quatrième acte, il nous a paru d’une trame trop incolore pour que nous en signalions la moindre partie.

En revanche, presque tous les chœurs de la Montagne Noire sont réussis, surtout ceux du deuxième acte. Ils ont de l’éclat, de l’élan, de la force, de la couleur parfois. Ils indiquent que Mme Holmès a l’entente des masses vocales, des effets de puissance.

Mais nous voudrions que sa partition, dans son ensemble, eût ce caractère vraiment dramatique, théâtral, qui nous semble lui manquer. L’ouvrage a des fragments réussis, mais point l’unité et le souffle.

L’Opéra a monté cette œuvre avec soin et conscience. Décors et costumes ont un caractère grandiose, pittoresque, vraiment artistique. L’interprétation ne laisse que peu à désirer. Le mérite des artistes est d’autant plus grand que Mme Holmès a écrit ses parties de chant presque sans médium. Les notes sont haut perchées, ou se précipitent dans le registre grave : il n’y a pas de milieu. MM. Alvarez et Renaud, qui jouent et chantent Mirko et Aslar, ont su triompher de cet écueil. Seul, M. Gresse a paru gêné dans son rôle du pope Sava… Ça n’allait pas du tout.

Mme Bréval mérite de vifs éloges pour son interprétation du rôle de Yahmina, le plus long du drame. Elle est en progrès ; sa voix a plus de force et de souplesse. Mme Héglon est irréprochable sous les cheveux blancs de la vieille Dara. Quant à Mlle Berthet, en dépit de son réel talent, elle nous a paru un peu trop pleureuse dans le personnage d’Héléna. Il est vrai que, tout comme celui de Mirko, ce rôle manque de caractère.

Tous nos compliments à Mlle Torri, qui anime très crânement le ballet turc.

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Compositrice, Pianiste, Librettiste

Augusta HOLMÈS

(1847 - 1903)

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date de publication : 22/09/23