Rapport sur les envois de Rome
Dans le rapport publié par le secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, Cte Henri Delaborde, sur les envois de MM. les pensionnaires de l’Académie de France à Rome, nous remarquons les appréciations caractéristiques suivantes sur trois prix de Rome de ces dernières années.
M. Savard (4e année). L’envoi de M. Savard consiste dans la troisième et dernière partie d’une grande Symphonie dont les deux premiers ont été antérieurement présentées à l’Académie. Les défauts déjà signalés dans ces deux premières parties se retrouvent malheureusement dans la troisième.
M. Savard, on doit le reconnaître, a beaucoup de talent ; mais l’Académie ne peut approuver l’usage qu’il en fait. Elle a, au contraire, le devoir de lui signaler les dangers de la voie dans laquelle il s’est engagé. Sa Symphonie est un résultat de la triste influence que peuvent avoir sur des natures bien douées, mais sans expérience encore, les idées répandues par des gens qui, en matière musicale, prennent pour de l’originalité ce qui n’est en réalité qu’une banalité prétentieuse. Ici, l’orchestration, si savante en apparence, est lourde et monotone, la forme incohérente. Des modulations volontairement désagréables, un chaos harmonique prétendant à la richesse, voilà tout ce qui caractérise cet ouvrage. Comme l’auteur sait très bien son métier et qu’il n’est pas d’une intelligence ordinaire, l’Académie espère que, instruit par l’expérience, il écrira plus tard d’un autre style et qu’il recevra de l’avenir d’utiles conseils.
M. Charpentier (3e année). M. Charpentier a soumis à l’examen de l’Académie une Symphonie pittoresque en cinq parties, c'est-à-dire une suite d’impression de voyage, de tableaux détachés : À la Fontaine, À mule, Sur les cimes, etc., que relie un sentiment persistant de mélancolie.
Cet envoi est des plus remarquables. On y trouve des inspirations vraiment poétiques, de l’originalité sans bizarrerie, de l’habileté dans la facture et dans le maniement des modulations, une ingéniosité singulière, excessive peut-être par moments, dans l’instrumentation. S’il y a des défauts dans l’œuvre de M. Charpentier, ils sont de ceux qui tiennent à la jeunesse et qui, en raison de cela même, ne justifieraient guère ici les reproches. Il convient d’ajouter que, dans sa Symphonie pittoresque, M. Charpentier a utilisé plusieurs thèmes populaires mais que, quand ces thèmes manquent de distinction, il réussit à en relever les formes par des perfectionnements inattendus et par des finesses de haut goût.
M. Erlanger (2e année). Le prologue et le premier acte d’un opéra intitulé Eliane forment l’envoi de M. Erlanger. C’est là un travail considérable qui atteste de la part de l’auteur des efforts dont l’Académie lui sait gré, mais qui, à côté de réels mérites, trahit de l’inexpérience dans le maniement des voix et de l’orchestre, et même une certaine insuffisance de l’instinct scénique.
Le prologue débute d’une manière saisissante par un chœur funèbre d’un beau caractère, où l’on remarque un arrangement ingénieux des voix. Ce commencement est très supérieur au reste de l’ouvrage.
Le premier acte s’ouvre par un assez joli chœur pour voix de femmes qui semble, comme le début du prologue, donner des promesses que la suite ne tient pas. Le compositeur abuse des modulations et aussi des mouvements lents, dangereux au théâtre. En outre son œuvre est souvent alourdie par des longueurs.
En résumé, l’envoi de M. Erlanger révèle beaucoup de travail, beaucoup de bonnes intentions et un tempérament d’artiste qui autorise de sérieuses espérances. Il sera nécessaire toutefois, que M. Erlanger, dans ses futurs ouvrages, s’applique à développer ses idées mélodiques et qu’il recherche soigneusement la justesse de la déclamation.
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date de publication : 13/09/23