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Les premières représentations / La Soirée parisienne. La Vivandière

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Les Premières Représentations
Opéra-Comique. – La Vivandière, opéra-comique en trois actes, prose rythmée, de M. Henri Cain, musique de Benjamin Godard. 

Les soldats de la République, les demi-brigades de Vendée, notamment les « Mayençais », formés de volontaires parisiens gardèrent à l’armée une âme de gaieté et d’indépendance faubouriennes. La discipline qui les assujettit peu à peu ne leur ôta entièrement ni l’originalité native, ni la franchise du ton, ni le cynisme du verbe, et ils maintinrent sous les aigles le tutoiement sans-culotte. C’était un ramas d’éléments hétérogènes où, à côté d’enthousiastes, de missionnaires armés de l’idée révolutionnaire, se trouvaient nombre de chenapans, violents et sans scrupule, capables de tout. Mais les fatigues, les dangers, les batailles, le voisinage continuel de la mort purifièrent ces gaillards, créant en eux le point d’honneur militaire, établissant le respect des chefs. 

Les imagiers militaires, Charlet et Raffet, emplis d’un souffle épique, ont reproduit en traits superbes la légende de ces guerriers. Par eux, on vit exalter les vainqueurs de la Vendée, de l’Italie, de l’Égypte, de l’Allemagne et de la Russie avec d’autant plus de plaisir que leur héroïsme linéaire formait contraste avec les bourgeois pacifiques de la Restauration et de Louis-Philippe. La popularité acquise aux maîtres du crayon provoqua la descente de volontaires de la République et de la Grande Armée à travers les théâtres du boulevard. Alors ce fut une épidémie de prouesses et de batailles, conformes à ce que le public attendait de ses héros, à l’idée simpliste qu’il s’en était faite ; mais les beaux mots, les morales en actions, les victoires et conquêtes des maréchaux français sur les scènes à grand spectacle finirent par la déroute des spectateurs. Une belle ferblanterie de grognards, un unique étal d’uniformes, un tissu d’aventures d’avaleurs de sabres ne pouvait intéresser à une époque où les ouvrages dramatiques doivent être empreints de vérité, où les Mémoires, les récits authentiques nous restituent la réalité des périodes glorieuses de la Révolution et de l’Empire. Pour mieux posséder le jeu des passions, des haines, des ambitions, infiniment petites et mesquines, – pour mieux discerner le hasard, grand maître des batailles, nous ne tiendrons pas moindre compte des hommes ni des événements. Mais entre les souvenirs précis, parmi les matériaux de vérité humaine, l’auteur ne trouvera ni le mythe, ni la légende, ni les types au caractère générique contenant des affections essentielles, des passions éternelles. S’il tente de mettre en œuvre la tradition légendaire, s’il croit copier les figures célèbres de maîtres imagiers, il ne fera que suivre, et comme fatalement, la carrière des mélodrames. Avec le culte de l’histoire nationale, il aboutira au poncif fastidieux, au jeu de soldats de plomb, au patriotisme de café-concert. Ainsi en est-il advenu à M. Henri Cain, un peintre d’indéniable talent dont je ne puis goûter ni le poème ni la langue dramatique. Assurément il admire Charlet et Raffet ; il est tout plein d’enthousiasme républicain, mais il n’y paraît point dans sa vivandière, ni dans ses volontaires qui, pour se rapprocher de figures divulguées appartiennent à la chromolithographie. 

Du moins le sujet se développe-t-il en toute clarté et simplicité. Marion, la vivandière d’une demi-brigade de Mayençais, bonne et brave luronne s’il en fut, a recueilli Jeanne, une jolie fille des fermes du ci-devant marquis de Rieul. Ce vieil aristocrate, d’un royalisme intransigeant, chassa en même temps son fils Georges, coupable de sentiments républicains, et Jeanne, orpheline élevée auprès du jeune homme, et qui s’est prise d’amour pour lui. 

Nos deux jeunes gens se retrouvent au tour de la carriole de Marion, car Georges a couru, s’engager dans les rangs des bleus, parmi les Mayençais où Marion est vivandière. Comme l’action s’accomplit en Vendée, il est évident que le marquis de Rieul commandera un parti de chouans auxquels la demi-brigade donne la chasse. Mais Marion s’oppose à une rencontre parricide entre le père et le fils ; elle a soin que Georges soit envoyé en mission au moment de l’assaut du château fort où s’est réfugié le marquis. Quand le ci-devant a été fait prisonnier, que son arrêt de mort est prononcé, que son exécution est proche, voici que la bonne vivandière, pour assurer le bonheur de ses deux enfants, concourt à l’évasion du rebelle. Ainsi elle se dévoue à la fusillade, – stoïquement ; mais par bonheur, la pacification de la Vendée achevée, on a conclu la paix aussitôt. Marion échappe aux conséquences funestes de son dévouement ; Georges et Jeanne seront unis et l’admirable cantinière bénira leur mariage. 

On ne reprochera certes point au parolier de n’avoir pas prêté de situations à la veine du musicien : chansons de marche, chants militaires, duo, récit, choral patriotique, danse bretonne abondent au cours des trois actes. Ces sujets à morceau ne sont pas tous utilement placés. Il n’y faut chercher ni une âme de vérité ni un lien bien solide avec l’action, mais le mélodrame s’accorde avec la musique pour l’effet, – de gros effets. L’enveloppe qui contient toutes ces choses n’est pas la poésie ; c’est un compromis entre la forme rythmique et la prose, une prose bonne enfant où l’auteur immisce bizarrement le glossaire argotique cher à Bruant : Je vous ai assez vus... « Et si je trinque un peu, tu viendras me soigner », dit le capitaine à la vivandière. 

La musique de Benjamin Godard se conforme naturellement à l’esprit du livret. Elle prétend aux couleurs naïves et archaïques ; elle adopte les rythmes faciles, les chansons à forme déterminée, les ensembles choraux d’une tournure mélodique accoutumée. Si elle manque le plus souvent d’originalité, elle atteint à l’effet plastique, au morceau brillant, à l’air populaire. C’est une opérette militaire écrite dans un style suffisant, appuyée sur une orchestration habile et sonore, sans substance, mais non pas sans éclat. Je noterai au premier acte un duo d’amour d’assez bonne façon ; au second acte, le plus réussi en ce genre, le récitatif du balafré, la prière à la Vierge, l’ensemble choral final, sorte d’hymne orphéonique large, vigoureusement rythmé, de couleur véhémente. Tous ces passages ont été redemandés d’acclamation.

Car si cette composition patriotique, et militaire est d’esprit, de forme et de musique absolument contraires non seulement à mes préférences, mais à un intérêt général, elle a trouvé auprès des auditeurs du premier soir un accueil d’enthousiasme. Librettiste et parolier s’accordent avec le public à tel point qu’on pouvait craindre d’assister au succès d’une Cavalleria rusticana française. 

La Vivandière a été visiblement inspirée de la volonté de tailler un rôle de première grandeur à Mlle Delna. L’interprète y a été suivie d’un succès retentissant. Sa déclamation énergique et vibrante, son geste et sa mimique produisent une vive impression. Mais l’épreuve est-elle également heureuse pour sa voix ? Il est permis d’en douter. La partie est écrite souvent dans un registre trop élevé pour son organe ; elle s’y meut avec effort et les intonations ne sont pas toujours d’une justesse irréprochable. Voilà, je le crains bien, une artiste de don merveilleux qui perdra tout style et compromettra ses moyens vocaux dans des ouvrages sans portée et sans durée. 

Bien que le timbre de la voix de M. Fugère commence à s’altérer, l’artiste vaut par sa franche diction, par son action scénique, et le rôle du sergent La Balafre lui a valu de chaleureux applaudissements. Avec le ténorino généreux et frais de M. Clément, avec Mlle Laisné, MM. Badiali et Mondaud, l’interprétation vocale vaut efficacement. 

HENRY BAUER. 

LA SOIRÉE PARISIENNE 

Je commence par vous déclarer que la musique de Godard, reCainquée par l’ami Paul Vidal, a obtenu autant de succès qu’en aurait pu avoir la Fille du régiment ou même celle du tambour-major. Dire que j’en suis folle, c’est autre chose.

Le décor du premier acte représente l’entrée d’un castel des environs de Nancy, qui a fort grand air, – on dirait un château de Nancy… Martel. Sensation quand arrive une compagnie de soldats républicains qui semblent descendus d’un cadre de Rafflet ; sales, déguenillés, poudreux sous « leurs habits bleus par la Victoire usés », comme pindarisait l’autre Béranger, ils entonnent une chanson de route (sur le vieil air de Larifa) dont les paroles ont un certain charme poétique :

C’est l’adjudant Tue-Mouches
Qui en guerre est parti ;
Il avait des cartouches,
Mais n’avait pas d’fusil !

Le président de la République rit de bon cœur et s’amuse comme un jeune homme, ce qui fait chuchoter à une jolie anglaise, Faure est vert !

Successivement, nous faisons connaissance avec le sergent Fugère-La Balafre qui à l’âme droite et la bouche de travers ; puis avec le vivandière Marion-Delna, traînée par un petit âne gris dont l’aspect a enthousiasmé le Tout-Bourri des premières ; enfin, avec le jeune ténor Clément, l’amoureux de la chose, culotté de clair, guêtré, sans moustache, l’air d’un travesti presque ; la Vivandière lui chante une petite marche en fa (c’est incroyable ce qu’il y a de marches en fa !), alerte, « Viens avec nous petit » dont les brusques oppositions de nuances enthousiasment non seulement le jeune homme, mais aussi le public qui a voulu l’entendre deux fois.

Cela vous intéressait-il d’apprendre que le début du motif d’amour de M. Clément ressemble beaucoup à la 2e mélodie en de l’Adagio de la Neuvième ? Non ? Je n’insiste pas. Sachez alors que Mlle Delna se fait cribler de bravos pour sa manière câline de murmurer quelque chose qui n’a rien de beethovenien, « Do, do, l’enfant do » sur les paroles « T’as pas connu ta mère… » adressées à l’infortunée Mlle Laisné, marrie du départ de M. Clément, que son père a maudit pour lui apprendre à crier la Marseillaise : « Vous n’êtes plus mon fils, vous ne verrez plus jamais que Mon daud ! »

Immense succès pour le Duetto-Carmagnole que chantent, en Vendée, au deux, La Balafre et un autre bleu : C’est Stofflet qu’avait promis De fair’ de nous un salmis. La salle en redemande, malgré M. Danbé, qui n’éprouve qu’une joie danbérée. Succès aussi pour la Prière des deux femmes (en 1794 !), un peu bien déplacée, ce me semble, de même que la croix de Mlle Laisné. Il est vrai que nous sommes en pleine Convention. On se pâme à la romance de la Lettre : Ces deux brins de jasmin, agréable et diantrement banale, avec son dessin obstiné de cor qui sonne l’appel des pompes à incendie, sol la, sol la, sans doute pour nous rappeler que la musique est de feu Godard.

Mlle Laisné (après le retour du thème de la Cardiaque signalé plus haut) dit gentiment une phrase où il est question de petits oiseaux ; n’empêche que le jour où j’entendrai une réflexion sur les nids qui ne sera pas enjolivée de trilles de flûtes imitatives, je serai bien contente.

Pour prouver qu’il est digne d’avoir reçu un fusil d’honneur, La Balafre nous raconte, en musique, sa première affaire, avec un entrain de tous les diables ; le piccolo siffle la charge, la grosse caisse imite les coups de canon, le public bave de délire patriotique, il en bisse. Et, pour l’achever, on lui sert un Hymne orphéonique avec harpes, Rends notre âme douce et clémente Au désespoir des malheureux. Alors, c’est de la frénésie !

Après, c’est des chœurs bachiques et des danses entre Vendéens et Républicains ; je ne me serais jamais figuré qu’il y eût, à cette époque, tant de sympathie entre les fiancées des chouans et les patauds qu’elles devaient souhaiter à tous les diables : « Vendée retro, Satanas ! »

La Balafre danse « la Fricassée », est applaudi par le public qui crie, comme les belges congophobes « L’Afrique assez ! » Il danse de nouveau, est applaudi de plus belle, sue comme Eugène, s’éponge, etc. Les bravos ne s’arrêtent que pour permettre l’audition d’un intermezzo, genre Cavalleria rusticana, un tantinet mascagneux.

Le marquis de Rieul s’évade, je fais comme lui, navrée de songer que l’orchestration impitoyable de la Vivandière va peut-être tuer le magnifique organe de Delna, encore si vivant hier (pardon !), mais incapable de lutter contre ces trompettes Delnaturées.

Cependant, aux cuivres, tonne le Chant du Départ. Pourvu que Marion n’ait pas à déplorer bientôt le départ du chant !

L’Ouvreuse.

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(1851 - 1915)

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date de publication : 02/11/23