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Namouna

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NAMOUNA

Vendredi prochain, le ballet nouveau de MM. Nuitter, Petipa et Lalo, Namouna, sera représenté pour la première fois sur la scène de l’Opéra.

Fidèle à nos habitudes, nous donnons, dès avant la représentation, un résumé complet de l’ouvrage.

Les interprètes d’un ballet parlent aux yeux du spectateur et nullement à son oreille. — Les yeux sont souvent de mauvais traducteurs.

Le public ne comprend pas toujours les mimiques de convention de nos danseuses et de nos danseurs.

C’est pourquoi je veux — dans l’intérêt même des auteurs — expliquer la pièce au lecteur.

De cette façon, on saura de quoi il retourne, et quand M. Pluque provoquera M. Mérante au premier tableau de Namouna, on ne risquera pas de comprendre qu’il lui propose de lui dire la bonne aventure.

*

Cela dit, je commence sans autre préambule.

L’ouvrage se divise en deux actes et trois tableaux.

ACTE Ier

PREMIER TABLEAU

Un casino à Corfou. — Au fond, par de larges fenêtres, on aperçoit la mer et le pavillon d’un vaisseau. — Il fait nuit, les étoiles scintillent.

Des cavaliers et des dames dansent des pavanes, des sarabandes.

D’un autre côté, des joueurs sont attablés et jouent un jeu d’enfer.

Une partie est engagée entre un jeune et brillant gentilhomme, un Français, Ottavio, et un seigneur italien, Adriani.

Adriani a déjà beaucoup perdu ! Il perd encore.

Il envoie un serviteur chercher une cassette pleine d’or dans la tartane qui est amarrée sous les fenêtres du casino. Cette tartane est la sienne. Ses serviteurs sont marins.

Ottavio gagne toujours.

Adriani, affolé, joue la tartane et l’équipage.

Il perd encore.

Ottavio parait confus de cette veine constante. Son adversaire n’a plus rien à jouer, mais il a donné des ordres à un esclave noir, qui revient bientôt ramenant une femme.

C’est une des esclaves d’Adriani. Sous son voile on devine qu’elle doit être charmante.

Adriani offre à Ottavio de jouer cette jeune esclave contre tout ce qu’il a perdu !

Ottavio hésite. L’offre est étrange, mais il ne peut refuser à un joueur malheureux la chance de regagner ses pertes.

La partie recommence donc. Les danseurs interrompent les danses pour y assister. La curiosité de tous est vivement excitée.

Ottavio gagne encore.

Adriani cesse de jouer, il n’a plus rien à risquer.

Ottavio s’approche de l’esclave, qui lui appartient désormais. Il la prend par la main et l’amène sur le devant de la scène. Il va pour lever son voile, mais il se ravise…

« Va ! dit-il à l’esclave. Tu es libre !... Pars et emporte avec toi cette cassette et tout ce que j’ai gagné à ton ancien maître. Tu dois être belle. Si je te voyais, je n’aurais peut-être pas le courage de te laisser partir ! »

L’esclave met un genou en terre, prend la main d’Ottavio et l’embrasse, puis offre à son bienfaiteur une fleur qu’elle portait à son corsage.

Ottavio ordonne aux matelots d’Adriani de la suivre et de lui obéir. Zilda s’éloigne avec eux, accompagnée du petit esclave indien que son maître a perdu aussi et qui s’en va, portant la cassette, présent d’Ottavio.

Ottavio regarde la jeune femme partir. Il a un moment la pensée de la rappeler, mais il reste maître de lui-même.

On voit disparaître les mâts de la tartane, qui s’éloigne.

Les joueurs et les danseras font fête à Ottavio et gaiement l’emportent en triomphe.

Adriani, qui est resté, accablé de son désastre, refuse toutes les consolations et part désespéré, jurant de se venger !

DEUXIÈME TABLEAU

Une place publique, à Corfou. Au fond, la mer. — À droite, un palais. — À gauche, quelques masures. Une hôtellerie avec une terrasse et un portique.

Le jour naît.

À droite, sous le balcon de Rosalinde, des musiciens donnent une aubade.

Héléna paraît à sa fenêtre.

L’homme qui paye les musiciens se détache alors du groupe. C’est Ottavio.

II monte sur un banc. Il envoie des baisers à Héléna et lui dit qu’il l’aime. Hélena se penche et lui tend sa main, qu’il parvient à embrasser en grimpant.

À ce moment, un homme parait. C’est Adriani. Il reconnaît Ottavio, le joueur heureux qui l’a dépouillé, l’homme qu’il déteste et dont il veut se venger. Il saisit avec empressement cette occasion de lui chercher querelle. II commence par chasser et disperser à coups de canne les musiciens.

À cette algarade, Rosalinde rentre chez elle.

Ottavio saute lestement à terre ; il se trouve en face d’Adriani, qu’il reconnaît.

— Eh quoi ! lui dit-il, sommes-nous donc rivaux ? Êtes-vous donc épris d’Héléna ?

— Moi ? Non ! peut-être… Mais peu importe. Ce que je sais, c’est qu’il me déplaît que vous lui fassiez la cour et que je vous défends de lui parler.

Pour toute réponse à cet insolent défi, Ottavio tire son épée. Adriani en fait autant.

Tous deux commencent à se battre.

Au moment où les épées ont été tirées, un petit mendiant, espèce de Bohémien ou d’Indien, qui paraissait dormir dans un coin, s’est prestement sauvé.

Il réparait bientôt au fond, ramenant une femme à laquelle il montre les deux combattants.

Cette femme le congédie du geste et s’avance.

C’est Namouna la bouquetière, la plus jolie fille de Corfou, venue on ne sait d’où depuis quelque temps.

Elle s’approche des deux combattants ; d’une main elle retient un voile de dentelle qui lui cache en partie le visage ; de l’autre main, sans paraître s’inquiéter de la querelle, elle offre des fleurs aux combattants sur un rythme de danse. Les deux hommes veulent se débarrasser d’elle, mais elle trouve toujours moyen de se glisser entre eux, et plus ils paraissent furieux, plus elle met de grâce à leur offrir des roses ou des œillets.

Héléna, derrière le rideau de sa fenêtre, regarde avec inquiétude ce qui se passe.

Le petit mendiant, qui, à ce qu’il parait, a reçu des instructions de Namouna, amène d’autres bouquetières ; elles entourent les deux hommes.

Namouna disparaît.

Le jour est venu. La foule envahit peu à peu la place. Le duel est désormais impossible. Les deux rivaux se séparent en se promettant de se retrouver plus tard.

Héléna, rassurée, quitte sa fenêtre.

Les musiciens reparaissent. Ils montrent à Ottavio leurs mandolines brisées ; celui-ci a un bras malade, celui-là boite d’une jambe, cet autre se frotte les reins.

Ottavio leur donne de l’argent, ils partent gaiement.

La foule des marchands et des masques encombre la place.

C’est jour de carnaval.

Divertissement.

Au milieu du divertissement apparaît un jeune cavalier de fort bonne mine. Il est masqué. Quand par moments il ôte son masque, il ressemble à s’y méprendre à Namouna la bouquetière.

II se rapproche d’Ottavio, dont l’attention est eu ce moment attirée par une jeune bohémienne qui lui dit la bonne aventure. Il lui dit qu’il la trouve charmante… Le jeune cavalier parait désirer déranger le tête-à-tête. Il passe fièrement entre Ottavio et la jeune bohémienne, qu’il invite à danser avec lui.

La jeune fille accepte.

Ils dansent un pas de caractère. Ottavio a eu un moment l’idée de chercher querelle à ce jeune inconnu, mais le carnaval a ses privilèges, et le couple des deux danseurs est si charmant qu’Ottavio applaudit comme les autres et oublie la jeune bohémienne.

Les danses recommencent. Après la fin du divertissement, Ottavio aperçoit Héléna qui sort de chez elle, accompagnée d’une camériste, d’un petit négrillon qui porte son ombrelle, et suivie d’un laquais.

Zilda vient de reparaître sous son premier costume, Ottavio lui fait signe. Il lui demande son plus beau bouquet.

Namouna l’apporte, tout en considérant Héléna. Elle semble se dire :

— Ne suis-je pas aussi jolie qu’elle ?

Ottavio regarde tour à tour les deux femmes, et lui aussi semble s’en dire autant.

Adriani est là, observant toujours Ottavio ; celui-ci passe fièrement devant lui, offrant le bras à Héléna, et s’éloigne avec elle, la conduisant vers le rivage, où un char rempli de masques vient de s’arrêter. Des musiciens placés sur le char font retentir leurs plus joyeux concerts.

La foule se porte vers le fond pour écouter.

Namouna revient, cherchant Ottavio.

Adriani, alors, s’approche de Namouna.

— Je t’ai bien reconnue, lui dit-il, sous ce déguisement. Naguère tu étais mon esclave, tu m’appartenais !... C’est toi que j’ai perdue par ma faute ; mais, depuis que tu n’es plus à moi, je t’aime avec passion, avec délire. Ne consentiras-tu pas à m’aimer ? Je ne commande plus, je t’implore, je suis à tes genoux.

Et il se jette à ses pieds.

Mais Namouna lui répond quelle elle ne l’aimera jamais !...

— Tu m’as jouée, tu m’as livrée à un inconnu ! Celui que j’aime maintenant, c’est l’homme qui m’a délivrée… qui, sans rien exiger, sans même me connaître, m’a rendu la liberté. S’il le veut, je me ferai avec joie son esclave ! Je ne serai jamais à toi !

Et elle part, cherchant à se rapprocher d’Ottavio, qu’on aperçoit au fond.

Adriani est reste seul, furieux. Il appelle deux individus de mauvaise mine ; il leur parle bas en leur désignant Ottavio, puis il va se mêler à la foule.

Mais ce qui vient de se passer n’a pas échappé à Zilda. Elle se méfie d’un piège.

Elle a fait signe au petit mendiant. Celui-ci va frapper sur l’épaule de deux hommes qui sont restés devant l’hôtellerie, prenant des sorbets.

Les deux hommes s’approchent respectueusement de Namouna, que personne n’observe en ce moment. Namouna leur donne des ordres. Ils s’inclinent.

En ce moment, les musiciens du char jouent un air national auquel se mêle le bruit des tambours, qui battent la retraite. La foule se disperse et s’éloigne en dansant sur le rythme de la musique.

La nuit vient.

Ottavio reconduit Héléna jusqu’à sa porte.

Il reste un moment rêveur, regardant la porte d’Héléna, le balcon facile à escalader… Il respire en même temps le parfum d’une fleur que Namouna lui a donnée. Il semble hésiter entre une double pensée.

Il va pour s’éloigner. Il se trouve en présence de gens de mauvaise mine qui lui barrent le passage.

Il dégaine.

Mais il est seul contre quatre spadassins.

Presque aussitôt les hommes auxquels Namouna a parlé viennent à son secours.

Namouna elle-même surveille ce qui se passe.

Deux des bandits sont blessés, les autres se sauvent.

Ottavio remercie chaudement ses défenseurs. Ceux-ci alors, tout en se confondant en politesses, lui retirent prestement son épée, Ottavio est surpris, mais sa surprise redouble quand ces deux hommes, tirant des pistolets de leur ceinture, l’en menacent, s’il résiste.

— Que veut dire cela ?

— C’est l’ordre de la signora !

Et on lui montre une celle dame masquée qui vient de paraître. Elle monte dans une barque que quatre solides rameurs viennent d’amener au fond. Les sauveurs d’Ottavio lui font signe d’y monter à son tour.

Il hésite un moment, mais les pistolets sont toujours là, et puis il considère cette inconnue. Puisque une femme qui parait jeune et jolie est l’héroïne de l’aventure, Ottavio se prête gaiement à l’enlèvement.

Au moment où la barque s’éloigne, Adriani, qui accourt suivi de quelques sbires, arrive juste à temps pour assister à la fuite de son rival.

Acte II

TROISIÈME TABLEAU

Une île de l’Archipel appartenant à la domination turque… Vaste pavillon dont les arcades, largement ouvertes, laissent voir le rivage de la mer. Aux colonnes sont accrochées des panoplies, des armes orientales, des étoffes, des tapisseries, etc.

Cette île pittoresque est la demeure et le bazar d’un riche marchand d’esclaves, un des principaux fournisseurs des harems des pachas et des beys des environs.

Au lever du rideau, des esclaves de tout pays sont couchées sur des coussins. Les unes jouent de divers instruments, les autres dansent des pas de différents caractères.

Les danses sont interrompues par l’arrivée d’une tartane portant le pavillon vénitien.

Ce sont les fugitifs du premier acte qui apparaissent au fond.

Le marchand d’esclaves, en apercevant des étrangers, se hâte d’ordonner aux femmes de mettre leurs voiles.

Namouna, toujours masquée, – car c’est encore elle, – indique aux rameurs l’endroit où ils doivent aborder. Le petit esclave saute à terre, et fait sortir de la barque Ottavio et Namouna.

Les femmes, en apercevant Ottavio, le trouvent un charmant cavalier. Le marchand d’esclaves, espérant faire avec lui quelque bonne affaire, court au devant de lui avec empressement. Il l’invite à entrer dans l’habitation et à s’y reposer.

Ottavio, toujours très surpris de l’aventure, regarde les femmes qui l’entourent. Elles sont voilées, mais leurs yeux paraissent les plus beaux du monde. Il interroge du regard la femme masquée qui l’a fait enlever. — Ici, dit-elle, tu es eu sûreté, tu peux suivre cet homme.

Ottavio et le marchand entrent dans l’habitation.

La femme voilée retire alors son masque. Les esclaves la reconnaissent. C’est Namouna, naguère leur compagne, qui un jour a été achetée par un aventurier et emmenée dans son vaisseau.

— Ce vaisseau, le voilà, dit Namouna, en montrant la tartane. Il est à moi…, je suis libre maintenant, je suis riche et j’ai voulu revenir auprès de vous, mes compagnes d’esclavage, pour vous délivrer à votre tour.

Joie bruyante des femmes. Elles embrassent Namouna. Elles font mille folies. Le marchand d’esclaves parait. Il leur recommande le silence. Le seigneur Ottavio était épuisé de fatigue, il s’est endormi.

— Retirez-vous, leur dit-il, obéissez.

— Non ! Elles n’obéiront pas, dit Namouna au marchand, fort surpris de la reconnaître. Namouna appelle ses serviteurs, qui apportent des cassettes pleines d’or et de pierreries.

Le marchand d’esclaves est ébloui.

— Que veut-on faire de tant de richesses ? demande-t-il.

— Rendre la liberté à ces captives. Fais ton prix et tu vas être payé.

L’honnête marchand, qui ne s’est jamais vu à si belle fête, se hâte de conclure le marché. Il emporte or et diamants.

Ottavio réparait. On l’invite à assister à la fête. Tout dans cette île étrange est pour lui surprise et enchantement. Namouna danse un pas oriental d’un caractère particulier. Ottavio l’admire.

Tout à coup, on signale l’arrivée d’étrangers. Ce sont des hommes, des soldats. On aperçoit leurs embarcations.

Namouna reconnaît les gens qui sont à la poursuite d’Ottavio. S’interrompant à peine de danser, elle donne rapidement des ordres.

Ottavio est tout prêt à recevoir bravement Adriani, mais Namouna a d’autres projets. Il faut que ces audacieux soient faits captifs.

— Suivez-moi ! dit-elle.

Tout le monde s’éloigne.

Bientôt deux barques paraissent. On voit Adriani qui débarque au tond avec une vingtaine de soldats albanais.

La plage est déserte.

Adriani va en reconnaissance avec ses hommes, il laisse un soldat en sentinelle. Il indique leurs postes à d’autres.

La sentinelle se promène en long et en large. Elle aperçoit tout à coup une femme qui arrive en dansant, le plus innocemment du monde. Il n’y a pas là de quoi s’alarmer. Puis arrivent deux femmes, puis trois. Le soldat est charmé. Il ne pense plus à sa consigne. Il appelle un de ses camarades resté dans la barque. Enfin, tous les Albanais arrivent peu à peu, rappelés de proche en proche, pendant qu’en même temps le nombre des femmes augmente toujours.

Danse

Namouna reparaît.

Sur un signe d’elle, les femmes lèvent le poignard sur les hommes.

Adriani reparaît.

— Regarde ! lui dit Namouna triomphante.

— Regarde à ton tour, répond Adriani, et il lui montre Ottavio, que des soldats ramènent désarmé et font entrer dans l’habitation dont ils gardent la porte.

Terreur de Namouna.

Adriani dit à ses hommes qu’ils sont fous de se laisser séduire par ces femmes qui vont être leurs esclaves, auxquelles ils n’auront qu’à commander.

— Allons ! servez-nous avant le départ !

Orgie

Mais Namouna entraîne Ottavio. Elle monte avec lui dans la barque qui est restée au fond et s’enfuit avec lui… Ils seront heureux… Ils s’aimeront… Et…

Et voilà l’œuvre. — Elle est suffisamment claire, suffisamment intéressante et fort originale. — M. Nuitter, en somme, a produit un ballet se prêtant à merveille aux situations musicales et aux développements chorégraphiques de M. Petipa.

Quand j’aurai rappelé que M. Mérante joue Ottavio, M. Pluque Adriani. Mlle Sangalli Namouna et Mlle Invernizzi Héléna, j’aurai dit à peu près tout ce qu’il faut présentement dire.

Louis Besson.

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(18.. - 1891)

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(1823 - 1892)

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date de publication : 31/10/23