Aller au contenu principal

L’Œil crevé d’Hervé

Catégorie(s) :
Éditeur / Journal :
Date de publication :

FOLIES-DRAMATIQUES

L’ŒIL CREVÉ, bouffonnerie musicale en trois actes, de M. Hervé. (Première représentation, le 12 octobre 1867).

On ne pourrait excuser M. Hervé d’avoir écrit le libretto insensé mais très-amusant de l’Œil Crevé, s’il n’était coutumier du fait. N’oublions pas, en effet, qu’il a été le fondateur des Folies-Nouvelles, et le créateur véritable de l’opérette bouffe. Quand on a composé le Drame en 1569, le Hussard Persécuté, le Compositeur toqué, la Fine Fleur de l’Andalousie, l’Alchymiste, etc., etc., on a le droit de tout faire accepter du public. Si les pièces de M. Hervé ont plutôt l’air d’être celles d’un échappé de Bicêtre, que d’un homme sain d’esprit, il faut avouer, en échange, qu’elles renferment des drôleries d’une extravagance telle qu’elles dérideraient le plus endurci. Nous conseillons comme un remède sûr auquel le spleen le plus invétéré ne résisterait pas, ces trois actes de l’Œil Crevé.

Raconter une intrigue pareille — y en a-t-il une ? — est chose impossible. Un marquis a promis la main de sa fille, Fleur de noblesse, à l’arbalétrier le plus adroit. Grâce à un truc ingénieux — car il faut vous dire que la jeune fille est ébéniste — la flèche lancée par le petit Ernest gagne le prix. Ernest est l’amoureux de Fleur de noblesse : c’est ce qui explique ce mystère. Mais... ô fatalité, une autre flèche lancée paf un maladroit vient frapper la princesse juste dans l’œil. Grand émoi ! on assemble tous les médecins de la contrée : mais aucun ne peut trouver le moyen d’arracher le trait malencontreux. Par bonheur, la flèche n’a pas crevé l’œil de Fleur de noblesse qui (toujours au moyen d’un autre truc), l’extirpe elle-même à la satisfaction dé tous, ce qui lui permet d’épouser le petit Ernest, qui est menuisier. À eux deux, ils pourront fonder une bonne maison, tout en ayant beaucoup d’enfants.

Si la pièce est insensée et écrite dans un style de convention qui laisse derrière lui tout ce qui a été fait dans ce genre, elle renferme du moins des scènes d’un comique achevé. Tout ce burlesque échafaudage a été accueilli très-chaudement : une fois le genre admis, tout devait passer sans opposition.

La musique est pour la plus grande part dans le succès. Tous les morceaux sont vifs, pétulants et pleins d’entrain. Par moment, on se croirait au bal de l’Opéra.

Au premier acte, nous avons remarqué une petite chanson de femmes, le chœur des arbalétriers très-mouvementé et plein de couleur ; la complainte de la Langouste atmosphérique ! dont le refrain est très-animé : au second acte, un rondeau charmant, qui a été bissé et que Mme Julia Baron détaille fort bien les couplets du gendarme ; un duetto en couplets plein de finesse fort bien chanté par Mme Baron et M. Marcel, et un final très enlevé qui a été bissé : au troisième acte, une tyrolienne que M. Marcel dit avec chaleur, et le grand air du même gendarme Géromé.

Tous ces petits morceaux — peut être un peu tous coulés dans le même moule et procédant de la même manière — seront vite populaires : ils sont chantant, et c’est ce qu’il faut.

L’orchestre, considérablement augmenté et orné… de trois trombones, fonctionne avec ensemble ; les chœurs sont bons ; la pièce est montée avec soin.

Mme Julia Baron est charmante d’un bout à l’autre dans celte création de Fleur de noblesse : elle interprète avec un sentiment exquis les couplets qui lui ont été confiés ; elle joue avec esprit ; elle est de plus jolie femme, ce qui ne gâte rien.

M. Marcel a d’excellentes intentions comiques, et sa voix se prête bien à toutes les cascades musicales qu’il est chargé d’interpréter.

M. Berret est amusant dans le rôle du Marquis, et M. Heuzey a donné une excellente allure à celui du Bailli. 

Mlle A. Cuinet, qui a fait partie de l’ancienne troupe des Délassements, joue avec beaucoup d’intelligence une scène de toquée au premier acte. Il est fâcheux que son rôle ne se continue pas. 

M. Milher, dans le rôle du gendarme Géromé, a droit à tous nos éloges : cette création lui fait le plus grand honneur comme composition de personnage, et il se pourrait bien qu’il allât un jour jouer — non pas un gendarme — mais un rôle important sur une de nos scènes de genre. 

En somme, pour nous résumer, il y a eu, et il y aura grand succès encore aux Folies-Dramatiques avec cet Œil Crevé, qui inaugure une tentative nouvelle dont M. Moreau-Sainti a le droit d’être satisfait. Quoi de plus charmant, en effet, que ce genre d’opéras bouffons, où la musique ne prend qu’une part bien légère sur le livret, mais parfois en fait passer le peu de fond. Que veut le public maintenant ? Une pièce bourrée de mots et de situations comiques, relevée par une musique aux rhythmes les plus entraînants ! 

ET. ROUSSEAU. 

Personnes en lien

Compositeur, Organiste, Ténor, Directeur de théâtre

HERVÉ

(1825 - 1892)

Œuvres en lien

L’ Œil crevé

HERVÉ

/

HERVÉ

Permalien

https://www.bruzanemediabase.com/node/12586

date de publication : 15/09/23