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Revue dramatique et musicale. Le Roi d'Ys

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REVUE DRAMATIQUE ET MUSICALE
Théâtre de l’Opéra-Comique. — Le Roi d’Ys, opéra en trois actes et cinq tableaux, poème de M. Edouard Blau, musique de M. Edouard Lalo. […]. 

Les lecteurs de l’Observateur français ont pu lire à cette place la légende du roi d’Ys, telle qu’elle nous a été conservée par les vieux chroniqueurs bretons, contée avec infiniment de charme et de simplicité par M. Maurice Peyrot. Aussi avais-je songé tout d’abord à ne parler ici que de la partie purement musicale de l’œuvre qui vient d’être représentée à l’Opéra-Comique. Mais M. Edouard Blau n’ayant conservé dans son poème que les lignes principales du récit légendaire, je me vois dans la nécessité d’en donner le résumé en citant au passage quelques vers à titre d’échantillon de la belle langue poétique du librettiste.

Sur une terrasse du palais des rois d’Ys dominant la mer, le peuple est en fête à l’occasion du mariage de Margared, fille aînée du vieux roi, avec Karnac, puissant prince qui fut longtemps l’ennemi du royaume d’Ys. Pourtant la fiancée paraît soucieuse ; sa sœur, la douce Rozen, l’interroge tendrement :

En silence pourquoi souffrir ? 
Dans mon cœur épanche la peine, 
Que la moitié m’en appartienne 
Si je ne sais pas la guérir. 

Cette phrase en si bémol, d’une douceur exquise, contraste avec la réponse hautaine de Margared :

Pourquoi te conter une peine 
Que tu ne saurais pas guérir ?

Pourtant elle se décide à avouer qu’elle a dans le cœur l’image d’un autre amant qui n’est plus…
« Cet autre, Margared, peut-être accompagnait Mylio, notre ami d’enfance dont on n’a pas de nouvelles depuis si longtemps ? » demande Rozen anxieuse.

Ah ! tu viens de le dire, 
Oui, le même navire 
Qui portait Mylio m’emportait mes amours.

Rozen ne se doute pas que c’est Mylio lui-même que sa sœur aime, Mylio avec qui elle-même a échangé secrètement des serments avant son départ.

Aussi, revenant à l’improvise, par un de ces hasards comme on en voit souvent à l’Opéra-Comique, Mylio a eu à peine le temps d’assurer Rozen de sa fidélité que Margared, prévenue de son retour, coupe court au discours plein d’ampleur du bon roi à son peuple et, sans autre explication, repousse « un hyménée hier indifférent, aujourd’hui odieux. »

Karnac, indigné, déclare la guerre au roi et jette son gant en signe de défi : Mylio le relève, et à cette provocation du farouche guerrier : 

As-tu donc pour la mort une ardeur si jalouse ? 
Par elle méprisée, tu la cherches toujours. 

fait cette fière réponse, admirablement soulignée par une phrase musicale d’un grand effet qui termine le premier acte : 

Non, c’est toi qu’elle attend, toi qui veux une épouse, 
Et ton lit nuptial est au pied de ces tours !

Presque au début du second acte, qui se passe dans une grande salle du palais, nous trouvons encore dans la bouche du ténor (Mylio) une mélodie d’une forme mystique adorable : « Je suis allé prier sur le tombeau de saint Corentin, le protecteur de la Bretagne », dit-il au roi et à Rozen, qu’il doit épouser aussitôt après la bataille : 

Et soudain j’ai cru voir que l’image sacrée 
S’animait. Une voix d’en haut a murmuré : 
« Mon fils, marche au combat d’une âme rassurée,
Je veille sur mon peuple et je le défendrai. »

Qui sait prier sait combattre 
Et les croyants sont les plus forts,

conclut-il dans un élan d’une l’allure bien guerrière, dont le thème est admirablement développé dans un quatuor où Margared, cachée, fait sa partie.

Restée seule avec Rosen, celle-ci avoue à sa sœur son amour pour Mylio et déclare qu’elle est jalouse au point de faire des vœux pour sa défaite et pour l’anéantissement du royaume d’Ys, ce duo, dont la contexture un peu compliquée et les savantes modulations rendent bien les sentiments divers dont Margaud est agitée, termine le premier tableau du deuxième acte.

Le tableau suivant a pour théâtre la plaine immense dans laquelle les deux armées viennent de se rencontrer : celle de Karnac est en déroute. Mylio vient avec ses guerriers remercier Saint Corentin dont l’intervention lui a obtenu la victoire, et déposer à la porte de la chapelle qui lui sert de tombeau les étendards pris à l’ennemi :

Qui sait prier sait combattre, 
Et les croyants sont les plus forts. 

Cette phrase entendue à l’acte précédent en sol majeur, est reprise en fa par les chœurs, que l’orchestre appuie des sonorités puissantes de ses cuivres.

Karnac parait, abattu, les cheveux et les vêtements en désordre ; il murmure avec amertume :

Lorsque j’appelle 
L’enfer à mon secours, l’enfer ne répond pas.

« L’enfer t’écoute ! » lui répond Margared dans l’ombre.

Là-bas tous m’ont trahi et déchiré le cœur, 
Et je n’ai plus d’amant, de père ni de sœur.

Elle lui offre d’unir leur désir commun de vengeance en prenant pour allié l’Océan, c’est-à-dire en ouvrant l’écluse qui défend la ville d’Ys contre la mer.

La barrière d’airain 
Ne saurait se mouvoir sous une seule main.
Et j’ai compté sur toi. 

Karnac n’hésite pas à accepter, mais avant de s’éloigner, il défie le Saint de faire un miracle pour sauver son peuple.
Tout à coup l’image de pierre s’anime, et saint Corentin, étendant vers les deux criminels son bras vengeur, leur dit d’un ton menaçant :

Ô spectre de toi-même ; 
Pour rêver un forfait suprême ; 
Es-tu lassé de vivre encore ? 
Et toi que je retiens au penchant de l’abîme, 
Désarme en le fuyant le céleste courroux.
Dieu qui venge le crime, 
Pardonne au repentir.

Cette phrase d’une simplicité grandiose est écrite pour voix de basse ; elle constitue tout le rôle de M. Fournets, un artiste dont la modestie égale la valeur, et qui a été récompensé de son dévouement par d’unanimes applaudissements.

Après cette scène d’un puissant effet dramatique, nous sommes ramenés à un spectacle plus gai par les danses en l’honneur du mariage de Mylio avec Rosen. M. Lalo a choisi comme motif principal de son ballet un vieil air populaire breton dont la simplicité contraste heureusement avec la tempête instrumentale qui était tout à l’heure déchaînée dans l’orchestre.

Pour obéir aux usages, Mylio doit demander humblement qu’on lui permette d’approcher de sa fiancée : après un petit chœur d’une fraîcheur exquise, il chante cet adorable appel sur un rythme plein d’une expressive tendresse :

Vainement, ma bien-aimée, 
On croit me désespérer. 
Près de la porte fermée, 
Je veux encore demeurer. 
Les soleils pourront s’éteindre, 
La nuit remplace les jours 
Sans t’accuser et sans me plaindre, 
Là, je resterai toujours. 

On a voulu entendre deux fois ce délicieux épithalame, ainsi que la réponse de Rosen :

Où cela pourra vous plaire 
Avec vous emmenez-moi. 
Toujours clément ou sévère, 
Votre loi sera ma loi. 

Le cortège se forme et entre dans la chapelle, tandis que retentit le chant du Te Deum. Margared, qui a fait entrer secrètement Karnac dans le palais, lui remet la clé de l’écluse et tous deux s’éloignent pour mettre à exécution leur infernal projet : en effet, on entend bientôt au loin Ie grondement des eaux qui, ayant trouvé une issue, ont rompu leurs digues.

Des cris de ferreux s’élèvent de la ville et préviennent les hôtes du Palais du danger qui les menace ; tout le monde s’enfuit, sauf Karnac, que Mylio a pris sur le fait et percé de son épée.

Au dernier acte, ce qui reste du peuple d’Ys est réuni sur une colline et les flots montent sans cesse : Margared, qui a suivi dans leur fuite son père et les nouveaux époux, reconnaît l’horreur de son crime, elle en fait l’aveu public ; son père a grand’ peine à la protéger contre la fureur du peuple ; mais, pour obéir à la destinée qui exige que l’auteur de la catastrophe soit sacrifié, elle se précipite dans la mer du haut d’un rocher en s’écriant :

Seigneur, sauve un peuple innocent, 
Pardonne à l’âme criminelle ! 

Saint Corentin apparaissant dans les nuages, fait signe que la vengeance céleste est satisfaite et que le fléau va prendre fin.

J’ai signalé au passage les fragments les plus saillants de cet opéra qui n’est pas un drame lyrique, quoi qu’en aient dit quelques-uns de mes confrères, et encore moins un oratorio. Mais je tiens surtout à protester contre le grief soulevé par ceux qui ont reproché au Roi d’Ys ses tendances allemandes.

Si les situations rappellent par endroit celles de Lohengrin, le procédé musical est tout différent : je n’en voudrai pas pour ma part à M. Lalo d’avoir écrit ce pendant à l’œuvre merveilleuse de Wagner.

Mais si ses visées ont été moins hautes, dans les limites du cadre relativement étroit qu’il s’est imposé en acceptant un livret de proportions modestes, M. Lalo a écrit un petit chef-d’œuvre dans lequel l’élégance et l’ampleur de l’instrumentation n’excluent pas la clarté.

Les mélodies y abondent, elles sont développées avec le plus grand soin, et les dessins de l’orchestre, loin de les troubler ou de les interrompre, ne font que les appuyer et les rendre plus aisément compréhensibles. À ce point de vue, le Roi d’Ys est bien incontestablement une œuvre française par sa tendance et par sa forme. Ou n’y retrouve pas les leitmotives ou phrases caractéristiques attachés à telle situation ou à tel personnage, et l’on s’est même demandé pourquoi M. Lalo s’est affranchi à ce point des usages de l’école moderne.

En résumé, le Roi d’Ys est un succès très grand et très mérité auquel l’interprétation a contribué pour une bonne part. Mlle Simonnet y a trouvé l’occasion d’une véritable révélation ; sa voix très franche et très bien posée se joue des difficultés techniques dont le rôle de Rosen est hérissé ; en outre, elle compose et joue le rôle avec une simplicité et une poésie charmantes. Mlle Deschamps met beaucoup de vigueur et les ressources de sa voix généreuse et étonnamment étendues au service du rôle de Margared. M. Bouvet, non content de chanter avec art celui du prince Karnac, le joue avec une ardeur farouche. M. Talazac semble avoir gagné du côté de la méthode ce que sa voix a perdu en ampleur et en éclat. M. Cobalet serait excellent s’il pouvait assouplir un peu son jeu et son bel organe de basse chantante. […].

J. Langevin.

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Compositeur

Édouard LALO

(1823 - 1892)

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Édouard LALO

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date de publication : 04/11/23