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Semaine théâtrale. Le Château à Toto et Le Pont des soupirs

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SEMAINE THÉÂTRALE

Depuis le départ d’Ophélie pour Londres, l’OPÉRA a repris le cours de son répertoire. Faure a reparu dans Don Juan, et il a retrouvé, dans ce magnifique rôle, toutes les sympathies que lui a values sa superbe création d’Hamlet. Quel artiste ! et comme l’école française a le droit de s’en montrer glorieuse ! La Juive, le chef-d’œuvre d’Halévy, a aussi repris sa place d’honneur sur l’affiche. Mme Sasse et Mlle Battu ont fait leur rentrée avec la reprise de Don Juan et celle de la Juive. Mme Gueymard a dû prendre quelque repos après les dernières représentations d’Hamlet.

Jeudi dernier, l’Opéra a donné une représentation extraordinaire au bénéfice de la Caisse de secours des auteurs et compositeurs dramatiques. Par malheur, les recettes se suivent sans se ressembler. La fructueuse soirée d’Hamlet, au bénéfice de la Caisse des pensions de l’Opéra, avait fait espérer une affluence analogue ; mais il n’en a rien été. Les affiches panachées ne sont décidément pas du goût des habitués de l’Opéra. Ils préfèrent un solide chef-d’œuvre lyrique aux meilleurs entremets dramatiques, symphoniques et pianistiques. Ainsi le nom de Rubinstein a échoué devant le bureau de location de l’Opéra. L’andante et le finale de son 2e concerto, avec orchestre, n’ont guère été plus heureux dans la salle. Il y aurait beaucoup à dire sur l’œuvre et l’exécution elle-même ; mais empressons-nous de louer sans réserve la remarquable interprétation des pièces de Mendelssohn, Chopin et Beethoven. Là, beaucoup moins d’ambition ; aussi que de bravos ! On a redemandé à Rubinstein la marche des Ruines d’Athènes. L’ouverture du Tannhaüser et la sévère marche religieuse de Lohengrin, jouées en perfection par l’orchestre de l’Opéra, ont produit grand effet, mais sans faire oublier les splendeurs orchestrales si sobres et si caractéristiques de la partition d’Hamlet.

Mlles Marie Battu, Rosine Bloch, MM. Colin et Devoyod se sont partagé les lauriers de la partie vocale du programme de cette représentation, qui a commencé par le Vaudeville et le Théâtre-Français pour finir par la danse avec un acte du Corsaire, et Mlle Granzow pour étoile. En somme, soirée intéressante et qui méritait mieux du public. Nous avions dit que M. Carvalho se proposait d’ouvrir tous les soirs les portes de la Renaissance, grâce à la clôture annuelle du Théâtre-Italien, et M. Bagier s’était rendu à ce désir de l’imprésario du Théâtre-Lyrique. Mais les directeurs proposent et souvent les événements disposent contre eux. Or, en moins de huit jours, M. Carvalho a dû résilier son bail de la place du Châtelet, et au moment de porter définitivement et quotidiennement le meilleur de son personnel salle Ventadour, il a rencontré, de la part de ses artistes, une telle résistance, qu’il a dû afficher la clôture du théâtre de la Renaissance. À l’heure qu’il est, les deux scènes, dirigées par M. Carvalho, sont fermées, et il est aussi convenable que prudent de n’en point dire davantage, un délai de 15 jours ayant été accordé par le tribunal.

À l’OPÉRA-COMIQUE, demain lundi, 1re représentation de l’acte de Mme de Grandval, poëme de M. Meilhac.

Le CHÂTEAU À TOTO et le PONT DES SOUPIRS.

Cette semaine est éminemment offenbachique. Trois actes tout battant neufs au PALAIS-ROYAL ; — aux VARIÉTÉS, trois autres actes qui sont comme nouveaux ! — Au fait, les Variétés ne vivent guère depuis un an qu’à coups de reprises de la Grande Duchesse, de la Belle Hélène, de BarbeBleue ; il convenait de changer, sinon de maestro, du moins de pièce. Quant au Palais-Royal, il avait quelque peu langui depuis la fin (assez peu prématurée d’ailleurs) de la Vie Parisienne. Ses tentatives pour s’affranchir de la domination du grand maître de l’opérette, n’avaient pas réussi, même en appelant à la rescousse les grands maîtres de la comédie-vaudeville, les Labiche et les Barrière... Va donc pour l’opérette, puisque Public-Pacha l’exige. Que dire du Château à Toto ? Les avis sont partagés sur l’avenir de l’ouvrage ; mais si l’on veut bien se souvenir que la naissance des autres épopées burlesques du maestrino a été saluée des mêmes doutes, on conviendra que l’auteur peut, jusqu’à nouvel ordre, garder toute confiance en son étoile.

En deux mots, voici les impressions sommaires de la soirée de mercredi : le premier acte a reçu un accueil quasi triomphal (c’est assez l’habitude des premiers actes de MM. Offenbach, Meilhac et Ludovic Halévy) ; le second a réussi moins vivement ; le troisième acte s’est relevé très à propos, grâce à un hors-d’œuvre joyeusement présenté par Gil-Pérez : la scène du facteur rural.

Le sujet est clairement exposé dans la chanson de M. Toto, alias Hector, comte de la Roche-Trompette : « Mes aïeux, dit-il, c’était bien la peine... de guerroyer... de me léguer un nom historique... de bâtir ce château superbe et d’y annexer toute une contrée...

Mes aïeux, c’était bien la peine !
Pour qu’un jour un petit crevé,
Un jour qu’il était en déveine,
Un jour qu’il était décavé,
Vendît la plaine et la montagne,
La ferme et le manoir altier,
Pour avoir bu trop de Champagne
Avec des filles de portier !

M. Toto, qui en est là un an après sa majorité, amène avec lui à la campagne la pseudo vicomtesse de la Farandole, qui l’a mis à sec, et je ne sais quel gandin écornifleur qui a vécu à ses dépens : il est juste qu’ils assistent à la vente de ce domaine qu’ils ont aidé à ruiner. Même la pseudo vicomtesse veut acheter sous-main ; les enchères sont menées par un seigneur voisin, qui rêve de démolir le castel et d’assouvir ainsi de vieilles haines nées au temps des croisades. Ce grotesque féodal est pourtant obligé de lâcher prise devant un enchérisseur qui se trouve être sa propre fille, naïve enfant éprise de Toto, et qui emploie les deux millions de son argent de poche à cette bonne œuvre de rachat. Il va sans dire que le trop heureux Toto épouse cette autre Dame blanche. — J’ai négligé quelques épisodes champêtres.

M. Offenbach a résisté à la tentation de parodier Boïeldieu, mais c’est sur le prologue choral de Roméo qu’il a passé son envie. Cette concession une fois faite au démon de la parodie, il faut dire qu’il a payé comptant pour sa part en mélodies gracieuses ou piquantes. Citons au premier acte une gentille romance, les couplets du Château à Toto ; au deuxième acte, une villanelle fort jolie, dont le refrain se reprend en tierces langoureuses, un brindisi dans la manière offenbachique ; au dernier acte, la scène du facteur rural, etc., etc. Et partout un orchestre pétillant plein de vie et de mouvement, très-bien dirigé par M. Robillard.

Mlle Zulma Bouffar a qui son rôle de Drogan a fait prendre en prédilection les travestis, joue et chante le rôle de Toto avec beaucoup d’intelligence et de brio vocal. Alphonsine débutait au Palais-Royal dans un rôle de fermière : elle est toujours bien fraîche et bien franche. Gil Perez a eu les honneurs de la soirée avec Zulma Bouffar ; il est grandement bouffon dans le personnage du vieux baron de Crécy-Crécy. Lassouche n’a guère qu’à se montrer en gandin abruti et c’est assez. Brasseur multiplie les transformations comme toujours ; Hyacinthe a eu de meilleurs rôles, mais il joue celui-ci comme s’il était excellent. Nous reparlerons du succès qui a grandi aux représentations suivantes. Souhaitons la même bonne chance à la reprise du Pont des Soupirs, moins heureuse, il faut le reconnaître, que celle de Geneviève de Brabant. Toutefois, signalons le succès de Dupuis dans le Malotromba qu’il agrémente à sa façon, pour le rendre tout nouveau ; le maestrino a écrit pour lui une romance inédite, intercalée au 2e acte et qui est fort gracieuse. Thiron joue en fin comédien le rôle de Cornarino et tant bien que mal s’improvise ténor. Grenier et Hamburger sont très-plaisants au Conseil des Dix. Mlle Garait, d’ailleurs très-avenante, ne nous rend pas les sympathiques accents de la pauvre Pfolzer. Mlle Tautin a repris son rôle de Catarina ; c’est la môme verve, mais nous l’engageons vivement à éviter ces glissés et ces portés de voix perpétuels qui allanguissent son chant. Le chœur inédit du Conseil des Dix est réussi, et la mascarade du dernier acte très-brillante.

N’oublions pas de mentionner la reprise des Bohémiens de Paris à la GAITÉ : ce bon vieux mélodrame se porte encore à merveille. Il est joué par Dumaine, Lacressonnière, Mmes Clarence et G. Monlaland...

Je ne sais si le drame historique de M. Couturier est bien ce qu’il faut au théâtre du Châtelet pour faire recette entre une féerie et une pièce militaire ; mais je me fais un devoir de constater que le Comte d’Essex est un drame bien fait et très-honnêtement dialogué. Mme Cornélie (Couturier) porte sans peur ce rôle terrible de la reine Élisabeth tant de fois ramené à la scène, et par de plus illustres qu’elle. Laray fait Robert d’Essex ; la belle Mme Worms-Deshaye, lady Howart...

Enfin donnons la distribution des principaux rôles dans le drame de Ch. Dickens, activement répété au VAUDEVILLE : Karl, Berton ; Georges, Desrieux ; Parade, Sem ; le docteur, Saint-Germain ; Ralph, Munié ; Sarah, Mlle Thèse ; Marguerite, Mlle Cellier ; Mme Dohr, Mme Alexis, etc.

H. MORENO

Personnes en lien

Compositeur, Violoncelliste

Jacques OFFENBACH

(1819 - 1880)

Œuvres en lien

Le Pont des soupirs

Jacques OFFENBACH

/

Hector CRÉMIEUX Ludovic HALÉVY

Le Château à Toto

Jacques OFFENBACH

/

Henri MEILHAC Ludovic HALÉVY

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date de publication : 15/10/23