Semaine théâtrale. Cendrillon
SEMAINE THÉÂTRALE
CENDRILLON.
Le hasard des débuts a souvent décidé de la fortune des reprises. On rencontre un ténor, on découvre une chanteuse, et voilà que tout à coup le talent du nouveau venu, la grâce de la nouvelle étoile évoquent de vieux souvenirs. Il semble que cette jeune et jolie femme soit l’incarnation vivante de tel rôle, le type rêvé de tel personnage. Vite on court à sa bibliothèque, ou constate la réalité de la ressemblance qu’on n’avait fait qu’entrevoir et l’on décide, séance tenante, que la partition oubliée sautera des rayons poudreux, ou elle se morfondait, au pupitre du chef d’orchestre. C’est le nez de soubrette de Mme Galli-Marié, ce sont ses grands yeux éveillés qui nous ont valu la résurrection de la Servante Maîtresse, un chef-d’œuvre de grâce mélodique et de diction spirituelle qu’on ne devrait jamais laisser au repos, pour l’instruction de nos jeunes compositeurs et de notre public, trop prompt à laisser s’effacer les traditions magistrales du genre qu’il préfère.
Ceci tend à prouver, que, sans la rencontre de Mlle Julia Potel, il est fort douteux que M. Carvalho eût, jamais songé à remonter la Cendrillon de Nicolo, car malgré sa vogue du temps jadis, cette partition n’est certes pas l’une des plus remarquables du compositeur maltais ; Nicolo, du reste, n’a rencontré l’inspiration qu’à de rares moments de sa carrière, et l’on pourrait compter sur les doigts ses bonnes fortunes de plume. Tous en trouverez deux ou trois dans Joconde, dont tout le monde se souvient, vous en noterez une dans Jeannot et Colin.
Ah pour moi quelle peine extrême !
J’ai perdu l’ami de mon cœur !
un véritable air de maître celui-là, d’un grand souffle et d’une exquise pureté de lignes. En dehors de ces accidents, je tiens Nicolo pour un musicien assez ordinaire, et je ne m’expliquerais guère la grande popularité dont il a joui de son vivant, si Fétis n’en avait déduit les raisons avec beaucoup de sagacité. « Les circonstances le secondèrent, dit l’auteur de la Biographie universelle des Musiciens, pour lui donner à l’Opéra-Comique plus d’influence que n’en avaient les autres artistes de cette époque. Cherubini n’avait rien donné depuis les Deux journées ; Méhul malgré son beau talent n’était pas toujours heureux et avait quelquefois des moments de découragement, pendant lesquels il n’écrivait pas ; Boieldieu était en Russie ; Kreutzer écrivait particulièrement alors pour le grand Opéra, en sorte que Berton était à peu près le seul concurrent très-actif qu’il rencontrait sur la scène. »
Ce sont-là, n’en doutez pas, les véritables causes d’une renommée qui n’est point justifiée par la supériorité du talent. Ajoutez-y la popularité du conte de Perrault, l’attrait de la féerie, l’excellence des premiers interprètes et vous aurez le secret de la vogue de Cendrillon, que Fétis signale à bon droit, comme un succès extravagant.
Il y a cependant dans cette partition plusieurs morceaux agréables tels que le brillant duo des deux sœurs, la romance de Cendrillon :
Je suis modeste et soumise
celle d’Alidor, le quatuor du second acte dont le motif de berceuse forme le centre mélodique sur lequel pivote toute la partition ; mais si la phrase de Nicolo a souvent du charme, elle est parfois un peu maniérée et malgré les grâces modernes dont Adolphe Adam a cherché à la parer, son instrumentation reste toujours un peu terne.
Est-il vraiment possible que Cendrillon n’ait que six ans de plus que celle pétillante et fougueuse partition du Barbier ?
Ce n’est pas qu’en fait de goût musical, je me range exclusivement du côté des contemporains. Il s’en faut ; mais l’art de nos prédécesseurs immédiats me fait l’effet des modes de la Restauration. Faut-il risquer cette énormité qui me paraît à moi une vérité toute simple ? Les partitions de Grétry sont cent fois plus jeunes que les premières œuvres d’Auber. Du reste, si l’on veut se convaincre combien tout ceci est loin du paradoxe, qu’on aille écouter Cendrillon et l’on verra que le véritable succès de la soirée est le ballet archaïque intercalé dans la partition.
Preuve évidente que la musique du vieux Lully a moins de rides après tout que celle de Nicolo, plus jeune pourtant de tout un siècle.
On a fait fête à ce ballet réglé avec une grande habileté par Mlle Marquet, et l’on a eu raison, car il est charmant, bien que les morceaux choisis par M. de Lajarte n’aient pas tous une égale valeur.
Celle préférence très-marquée du public qui, du premier coup, et avec un goût très-fin, a mis le doigt sur ce qu’il y avait de meilleur, indique à M. Carvalho la voie qu’il faut suivre dans la reprise des anciens ouvrages. Il faut décidément laisser de côté les œuvres du commencement de ce siècle-ci remonter un peu plus haut, si l’on tient à nous offrir de piquantes surprises et à nous faire connaître des partitions dont le style nous paraîtra d’autant moins démodé qu’il tranchera plus fortement sur le nôtre.
Mais laissons la Cendrillon de Nicolo et parlons un peu de celle de M. Carvalho. Avec son habileté coutumière et cette prodigalité de bon goût qui est sa marque de fabrique, il a fait de ce spectacle un véritable régal des yeux, faute de pouvoir en faire une fête complète pour les oreilles. Décors, costumes, divertissements, tout cela est brossé, taillé et réglé avec un art surfin. En vérité, l’on peut dire que le cadre vaut mieux que le tableau et que le bijou n’est pas tout à fait digne de l’écrin.
L’interprétation est dans son ensemble très-satisfaisante. Mlle Julia Potel, une toute jeune tille, svelte et élancée, élevée à la brochette par Mme Carvalho, chante déjà avec assurance, trop d’assurance peut-être, car, à vrai dire, elle a plutôt les habiletés d’une chanteuse expérimentée que les grâces naïves d’une enfant. La voix est d’un volume encore bien mince, mais on m’a conté que Mlle Miolan n’en avait guère plus à l’aurore de sa carrière. Si le même miracle se produisait pour l’élève que pour le professeur et si la nature faisait à Mlle Julia Potel le cadeau royal dont son éducation la rend digne, nous aurions sous peu d’années une véritable chanteuse d’opéra-comique, possédant les belles traditions de notre école française.
La belle Mme Franck-Duvernoy, une chanteuse qui fait des progrès, a dit avec virtuosité son air de bravoure du deuxième acte, et s’est vivement fait applaudir avec la gentille Mlle Chevalier, dans le duo du premier acte.
L’élément masculin est représenté par Nicot, un chanteur de goût et de style, M. Villard, un baryton Martin qui trouvera naturellement sa place dans l’ancien répertoire, M. Legrand, qui a quitté provisoirement la régie pour dessiner la caricature de l’écuyer-prince, et Thierry qui met beaucoup de rondeur dans le personnage du Baron. Tous nos compliments à M. Charles Lamoureux.
En somme la Cendrillon de Nicolo, avec son interprétation actuelle, sa mise en scène exceptionnelle et son piquant ballet Louis XIV ne peut manquer de fournir une fructueuse carrière. Les uns voudront revoir ce grand succès d’autrefois, les autres tiendront à en faire l’agréable connaissance.
VICTOR WILDER.
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date de publication : 16/10/23