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Cinq-Mars

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CINQ-MARS
Drame lyrique en quatre actes de Charles Gounod, 
Poème de MM. Paul Poirson et Louis Gallet.

Avant tout, remercions M. Charles Gounod d'avoir doté notre scène nationale de l'Opéra‑Comique d'une partition inédite, et M. Carvalho d'avoir su inspirer à l'auteur de Faust cette marque de haute sympathie. C'est là un gros événement auquel tout Paris artistique et littéraire a voulu prendre part. Toutes nos illustrations parisiennes s'étaient, en effet, donné rendez-vous à la première de Cinq-Mars, et dès le lendemain le bureau de location était envahi de manière à faire augurer cent représentations et plus.

Voilà donc l'Opéra-Comique bel et bien remis à flot et l'on ne saurait trop s'en féliciter, au point de vue de l'art lyrique français. – D'autres ouvrages, de caractères divers, suivront Cinq-Marset complèteront le sauvetage opéré, jeudi dernier, 5 avril 1877, par MM. Gounod et Carvalho.

LA PARTITION.

C'est bien réellement un drame lyrique, comme l'annonce le livret et non un opéra en quatre actes, comme le prétend la partition, que M. Charles Gounod vient d'offrir, en don de joyeuse entrée, aux habitués de la salle Favart, qui n'avaient jamais eu jusqu'ici la primeur d'un de ses ouvrages.

D'une part, en effet, Cinq-Mars n'a ni les hautes visées, ni les ambitions soutenues du grand opéra ; de l'autre, il ne descend qu'épisodiquement au style familier, au ton de conversation musicale, dont le genre si français de la salle Favart est pour ainsi dire le type et l'incarnation. C'est entre le Médecin malgré lui, un véritable opéra‑comique, égaré boulevard du Temple, et Faust, ou mieux encore la Reine de Saba, qu'il faut placer la nouvelle partition de M. Charles Gounod, car Faust est plutôt un opéra de genre qu'un véritable grand opéra, ce qui ne l'empêche point, d'ailleurs, d'être jusqu'à présent le chef-d'œuvre du maître et l'une des grandes partitions dont l'école française ait, certes, le plus de droit de se montrer fière et glorieuse.

Affranchi delà poétique sévère, trop étroite et trop conventionnelle peut-être du grand opéra, ayant le droit, par la nature de son sujet, de passer tour à tour d'un mode à l'autre, il semble, au premier abord, que Cinq-Mars doive offrir à l'oreille une grande variété de style et de fréquents contrastes.

Il n'a certes pas tenu au talent si fin et si souple de M. Charles Gounod qu'il n'en fût ainsi. Comparez, par exemple, les élans dramatiques du trio du troisième acte avec les ciselures archaïques du ballet, rapprochez les chœurs élégants des courtisans de la grande scène de la Conspiration, et vous comprendrez alors ce qu'il y a de passion dans cette âme enthousiaste, ce qu'il y a d'esprit dans cette tête gauloise, ce qu'il y a d'adresse dans la main de ce maître ouvrier, l'un des plus forts musiciens, sans conteste, de ce temps-ci.

Les librettistes de Cinq-Mars ont-ils suffisamment offert à leur illustre collaborateur l'occasion de faire étinceler et chatoyer les couleurs de sa riche palette ? Les principales situations de leur drame n'évoquent-elles pas dans l'esprit des situations similaires déjà célèbres ? Voilà ce que l'on se demande. Sans vouloir résoudre de si délicates questions dès la première audition d'une œuvre lyrique, il est juste de dire aussi qu'en l'espèce il s'agit d'une partition écrite et mise en scène en quelques mois.

On sait les liens qui unissent, depuis de si longues années, la fortune de Gounod à celle de M. Carvalho. Rapprochés par une ardente sympathie artistique autant que par la solidarité du succès, ils ont livré de pair toutes leurs grandes batailles. Il était donc tout naturel que, aussitôt installé à l'Opéra-Comique, M. Carvalho songeât à son compositeur de prédilection, et Gounod, qui savait qu'on comptait sur lui, ne pouvait se soustraire à la tâche redoutable d'improviser la partition qu'on lui demandait. Or, l'improvisation est ainsi faite qu'elle puise volontiers l'inspiration à la même source. De là, pour l'oreille, une certaine similitude dans les différents morceaux de la partition, un faux air de ressemblance qui nuit parfois à la netteté et à la vivacité de l'impression reçue par le public.

C'est là le défaut du procédé qui en revanche a souvent l'avantage de faire jaillir de la plume un jet mélodique à la fois clair et facile, et l'on ne peut contester que la nouvelle partition de M. Gounod ne se fasse remarquer par une belle simplicité et par une grande limpidité de style.

C'est surtout en lisant la partition que l'on se sent intéressé et charmé. Cette lecture complète met en relief plus d'une page restée inaperçue à la représentation.

Après un court prélude, dont le début révèle le culte voué par l'auteur à l'illustre patriarche Bach et dont la dernière partie, une petite marche funèbre, nous présage le dénouement tragique du drame, nous trouvons au seuil même du premier acte un de ces chœurs pleins d'esprit et de fine diction, pour lesquels l'auteur de Faust se rattache, malgré la distance, à son bisaïeul Grétry.

Le duo qui suit entre de Thou et Cinq-Mars est plutôt un morceau de scène qu'un véritable duo, mais le grand ensemble qui suit :

Reine ! je serai reine...

est traité avec beaucoup d'ampleur et d'éclat.

À ce morceau se rattache un délicieux petit chœur.

Allez par la nuit claire…

qui se termine par un des decrescendos les plus ingénieux et les plus réussis que j'aie entendus au théâtre.

Très-jolie également la cantilène de la princesse Marie de Gonzague.

Nuit resplendissante et silencieuse...

qui rappelle vaguement par son contour mélodique, par l'originalité de sa cadence, et par son instrumentation la mélodieuse plainte que chante Marguerite à sa fenêtre, au deuxième acte de Faust.

Il y a des détails charmants dans le duo entre Cinq-Mars et la princesse Marie, et j'y admire surtout la phrase d'une passion si contenue et si pénétrante :

Faut-il donc oublier les beaux jours envolés ?

Mais ici les auteurs et le compositeur ont battu les buissons par crainte de tomber dans la banalité ; aussi la fin de ce morceau manque-t-elle de chaleur ? J'aurais préféré terminer ce tableau avec plus d'éclat au risque de suivre des sentiers tracés.

Le deuxième acte, beaucoup plus important que le premier, se partage en deux tableaux. On a vivement applaudi dans le premier et bissé même des triolets que Barré chante avec beaucoup de verve et de bonne humeur. C'est un joli morceau d'opéra-comique sans doute, mais il m'a paru d'un effet un peu vulgaire. II faut citer encore un mélodrame qui renferme une phrase de violon d'un rythme svelte et gracieux ; mais le vrai régal de ce tableau, c'est le petit chœur de courtisans solliciteurs :

Ah ! monsieur le grand écuyer,
Permettez-moi que l'on vous salue.

Décidément Gounod a la spécialité de ces petits ensembles dialogués, d'une mélodie si parlante et d'un effet scénique si saisissant. C'est un nouveau et charmant pendant à la délicieuse rencontre des filles juives et des choéphores sabéennes.

Dans cette fine satire, l'esprit très-français du maître peut se donner pleine carrière ; aussi la chute de la phrase a-t-elle tout le piquant et toute la causticité d'un mot aiguisé par la verve de Voltaire ou de Beaumarchais.

C'est au deuxième tableau que se trouve le divertissement réglé sur la carte du Tendre, pays nuageux, où s'égaraient les soupirants de la cour de Louis XIII et les admirateurs de Clélie.

Est-il besoin d'ajouter que le pastiche de la musique de l’époque, écrite par Gounod pour ce ballet, est fait avec une habileté extrême. L'auteur du Médecin malgré lui est passé maître dans ces jeux savants et nul ne s'entend mieux à parler le langage ou à jargonner le dialecte réjouissant des vieux maîtres.

À ce divertissement succède, par une ligne bien nettement tranchée cette fois, la grande scène de la Conjuration, couronnée par une phrase d'un grand élan et d'un souffle vraiment puissant :

Sauvons le Roi, sauvons la noblesse et la France.

Le troisième acte renferme à notre avis l'un des meilleurs morceaux de la partition ; nous voulons parler du trio entre Cinq-Mars, de Thou et la princesse Marie.

En dépit d'une légère réminiscence, qui trouble l'oreille tout d'abord, on se laisse emporter bientôt par l'inspiration de l'auteur, soutenue par la situation dramatique ; aussi l'effet est-il considérable et la salle entière en a-t-elle été remuée.

Il faut noter encore dans cet acte un chœur de chasse redemandé, et un air du père Joseph, d'une couleur sombre, comme l'imposait la nature du personnage, mais d'un grand style et d'un beau caractère.

Le quatrième acte ne renferme guère que deux grandes scènes, un duo entre Cinq-Mars et de Thou, un duo entre Cinq-Mars et la princesse Marie. Ce dernier est incontestablement le meilleur des deux et nous y signalons tout particulièrement une phrase justement acclamée qui passe tour à tour avec un bonheur égal sur les lèvres des deux amoureux.

À ta voix, le ciel s'est ouvert,

Cette scène d'amour se couronne par un finale d'une grande concision, qui, grâce au mélange de la prose et de la musique, conserve à l'œuvre, jusqu'à la fin, le caractère du drame lyrique que ses auteurs ont voulu lui donner : ce finale ne comprend guère que la marche funèbre du prélude et le cantique entonné avec l'enthousiasme du martyre par Cinq-Mars et de Thou, marchant résolument à la mort.

Telle est la nouvelle partition, de Gounod, vue d'ensemble à travers les détails d'une analyse trop rapide et nécessairement insuffisante. Les impressions fugitives d'une première audition et la lecture sommaire d'une partition qu'il faudrait pouvoir méditer à loisir ne nous permettent pas de nous étendre davantage sur une œuvre de cette importance qu'on ne saurait traiter avec trop de respect et de circonspection.

LES INTERPRÈTES.

Aucune véritable grande individualité artistique à signaler, si ce n'est celle de M. Charles Lamoureux qui a fait des merveilles avec son orchestre si heureusement restauré et complété. On doit également des compliments aux chœurs de M. Heyberger. Quant aux chanteurs solistes, tous ont été portés à l'ordre du jour ; MM. Dereims et Stéphanne, MM. Giraudet et Barré, d'une part ; Mlle Chevrier et Mme Franck-Duvernoy, de l'autre.

Le ténor Dereims (Cinq-Mars), a surtout charmé par sa voix de mezza voce et ses qualités physiques théâtrales. II est appelé à rendre de grands services dans l'opéra de genre. Avec le ténor Stéphanne (de Thou), qui s'était résigné à la voix de baryton, pour la circonstance, M. Carvalho se trouve posséder deux premiers rôles d'une incontestable valeur. On a remarqué, à propos du dévouement barytonisé de M. Stéphanne, qu'au choral final, le ténor avait repris ses droits en chantant, à l'unisson avec M. Dereims, ce qui est écrit à deux voix bien distinctes dans la partition.

Chassez le naturel, il revient au galop.

M. Giraudet a donné un grand cachet au père Joseph et M. Barré est un Fontrailles qui n’est, certes, pas à dédaigner. Mlle Chevrier, de l'école Duprez, n'est pas encore une Marie de Gonzague di primo cartello, mais il faut tenir compte de l'émotion inséparable d'un premier début. Cela est si vrai, que, remise de son premier trouble, elle s'est fait vivement applaudir après le duo final du 4e acte. On a aussi tenu compte à la belle Mme Franck-Duvernoy de sa bonne volonté à accepter le rôle de Marion Delorme, peu d'accord avec le genre de sa voix et de son talent. Il est toujours d'un bon exemple d'accepter, même le plus petit rôle, dans l'ouvrage d'un maître.

Passons sur Ninon de Lenclos pour arriver au ballet et au petit berger chantant, représenté par Mlle Philippine Lévy ; n'était un développement trop considérable pour les proportions et le genre de l'opéra-comique, ce ravissant intermède eût vu doubler son succès. Impossible de mieux régler un divertissement. Bravo, monsieur Carvalho ! bravo ! mademoiselle Marquet.

Ce qui doit aussi être loué et sans réserve, c'est la mise en scène de Cinq-Mars. Cela est de tout premier ordre.

H. MORENO.

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(1844 - 1916)

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(1818 - 1893)

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date de publication : 15/10/23