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Namouna de Lalo

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NAMOUNA
Ballet en deux actes : et trois tableaux de M. Charles Nuitter, chorégraphie de M. Lucien. Petipa, musique de M. Edouard Lalo.

Namouna a fait sa première apparition sur la scène de l’Opéra le lundi 6 mars, ainsi qu’elle s’y était solennellement engagée en la personne de MlIe Sangalli.

Le Ménestrel a déjà dit à ses lecteurs ce qu’était cette Namouna, la belle esclave d’Adriani, lequel a la maladresse de la perdre au jeu, contre le seigneur Ottavio, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’en être follement amoureux. Aussi la poursuit-il sans relâche, tandis qu’elle-même fait la chasse au cœur de l’aimable Ottavio, engagé tout d’abord dans d’autres liens d’amour. Qu’elle finisse par triompher, c’est tout naturel, puisqu’elle dispose de toutes les séductions et de toutes les grâces légères d’une danseuse di primo cartello.

De plus amples détails sur le livret de Namouna sont superflus pour nos lecteurs. Abordons en conséquence la musique, c’est-à-dire la partition de M. Lalo. On sait les péripéties par lesquelles cette œuvre a dû passer : l’auteur, étranger au travail d’instrumentation d’un ballet, s’est trouvé arrêté par un si rude labeur. Une longue et douloureuse maladie menaçant de retarder indéfiniment la première représentation de Namouna, on a fait appel à l’amicale assistance de Charles Gounod.

C’est ainsi que M. Lalo a eu le temps de se remettre et qu’une indisposition de Mlle Sangalli aidant, il a pu assister aux dernières répétitions et à la première représentation de son ballet.

Toutefois, il ne pouvait naître de tous ces incidents qu’une œuvre incomplète, qu’une exécution indécise. D’ailleurs M. Lalo, qui a écrit des symphonies d’une véritable valeur et des partitions d’opéra non moins réussies, paraît-il, n’est point un compositeur de ballet. Il n’a pas le jet de l’improvisateur, et sa musique se complaît en des détails qui s’accordent difficilement avec les exigences chorégraphiques. Est-ce à dire que la musique de ballet ne doive être forcément que de second ordre ? Évidemment non. Plus d’un musicien a prouvé le contraire. Seulement, il ne paraît pas être donné à M. Lalo de les suivre et de les égaler sur ce terrain. Des œuvres longuement méditées, laborieusement étudiées, sont infiniment plus son fait, et l’expérience par laquelle il vient de passer le lui prouvera certainement. Quoi qu’il advienne, il ne peut manquer de nous rester de Namouna une ou deux suites d’orchestre des plus intéressantes pour nos concerts symphoniques. M. Lalo y songera d’autant plus que son ballet n’est, à proprement dire, qu’une succession de suites d’orchestre adaptées à la chorégraphie de M. Petipa.

En effet, les pages les plus réussies de sa partition ne sont pas chez elles dans un ballet ; on y sent une préoccupation que le public partage, et l’effet se dérobe. Si, d’aventure, M. Lalo cherche la note populaire, il se laisse aller alors à écrire des fanfares d’un style inadmissible sur la scène de l’Opéra. On en a coupé et on en coupera encore pour le sauvetage de l’œuvre.

Par ailleurs, c’est au contraire le raffinement excessif de l’idée musicale et d’inutiles, sinon regrettables, dissonances qui viennent troubler le cours et le mouvement d’une partition de ballet nullement appelée à prêcher les dogmes de la musique dite nouvelle. L’art de moduler à l’infini, avec plus ou moins de transition, a pris en ces derniers temps des proportions intolérables, – à ce point que l’on ne sait le plus souvent le ton dans lequel on se trouve. Par suite, les accords se précipitent, s’entrechoquent d’une façon peu harmonieuse ; qu’on nous serve ce régal qui emporte la bouche, puisque c’est la mode aujourd’hui, mais du moins, comme disait Rossini, qu’on y mette un peu de sucre.

Ces réserves faites, signalons, sans préoccupation de musique de ballet proprement dite, les pages de la partition de M. Lalo qui ont fixé l’attention des musiciens : tout le début du second tableau a paru empreint d’une jolie couleur orientale, et le prélude – entr'acte de la tartane, – aurait fait, croyons-nous, une excellente impression, si je ne sais quelle distraction n’avait à cet instant fait tourner toutes les têtes vers le fond de la salle. Il faut noter encore le pas de la charmeuse, celui de la gitana, le lever du rideau du troisième tableau, l’andante symphonique du pas des fleurs, et le solo de flûte de notre grand virtuose Taffanel, solo rythmé par un léger coup de cymbales qui produit un effet très pittoresque.

Mais arrivons à l’héroïne de la soirée, Mlle Sangalli, qui a trouvé le secret d’attacher des ailes à des jambes pourtant sculpturales. Jamais elle ne s’était montrée sous un aspect aussi aérien. Son pas de la flûte a été acclamé par toute la salle, qui a failli faire une ovation analogue au jeune danseur Vasquez ; lui aussi a littéralement rasé le sol en hirondelle… du sexe fort. Une adorable petite gazelle de ballet, c’est la toute gracieuse Subra, qui a partagé le grand succès de la Sangalli. Toute la troupe chorégraphique a, du reste, manœuvré avec un ensemble parfait dans Namouna, et l’originale scène du duel, entre autres, a prouvé que M. Petipa avait su trouver en son collègue Mérante un digue auxiliaire. C’est la scène capitale du ballet, et si elle ne se prolongeait un peu trop, son effet doublerait certainement. Ces deux épées, aux mains des deux admirateurs de Namouna, qui rencontrent fatalement à chaque nouvelle passe d’armes la poitrine de la Sangalli, sont vraiment chose trouvée et parfaitement exécutée. Ce qui l’est aussi, ce sont les costumes de M. Eugène Lacoste, et les décors de MM. Lavastre et Rubé-Chaperon. Les uns semblent si bien faits pour les autres qu’il en résulte une harmonie, des couleurs que l’on ne saurait trop signaler aux gens de goût. Au moment où tout se désagrège dans les arts, il n’est pas sans intérêt de saluer au passage les artistes qui ont encore le sentiment de l’homogénéité. On aura beau dire, et beau faire, l’unité seule constitue le grand style en peinture, en architecture, tout comme en musique.

H. MORENO.

P. S. — La troisième représentation de Namouna a bien mieux marché à tous les points de vue. L’orchestre de M. Altès s’y est distingué, et les nouvelles modifications que M. Lalo va introduire dans sa partition, sur l’insistance de M. Vaucorbeil, ne peuvent manquer de nous valoir de meilleures représentations encore. Par suite, la quatrième représentation de Namouna n’aura lieu que mercredi prochain.

Personnes en lien

Journaliste, Éditeur

Henri HEUGEL

(1844 - 1916)

Compositeur

Édouard LALO

(1823 - 1892)

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Namouna

Édouard LALO

/

Charles NUITTER

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date de publication : 15/10/23