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La Toison d’or de Vogel

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Parlons maintenant de la Musique. Ce que nous venons de dire du caractère de Jason, doit justifier le Compositeur d’avoir rendu ce rôle si froid, si langoureux, si insignifiant. Il a, au premier acte, des fadeurs à chanter à Médée ; il en a de semblables, & dans une situation pareille, à chanter ensuite à Hypsipyle, & tout le talent de M. Lays n’a pu sauver la monotonie de ces deux airs. Que lui reste-t-il ensuite ? Une invocation à la gloire, morceau entièrement détaché de l’action, qui la ralentit, la refroidit, & par là, manque tout son effet. Ce morceau serait bien de la part du Musicien s’il était mieux placé par le Poëte. Une autre cause du peu d’effet de ce rôle, c’est que le Compositeur n’a pas assez considéré l’étendue de la voix de M. Lays, qu’il l’a traitée en basse-taille véritable, & lui a néanmoins donné des agréments, des passages incompatibles avec ce genre de voix, avec les cordes basses qu’il a employées. Il y a quelques-uns de ces agréments très mal lacés, même à l’égard des paroles, comme dans ce vers : Oubliez que je fus l’objet de vos amours ; assurément le sentiment qui fait prononcer ce vers à Jason, doit se refuser à toute espèce d’ornement.

Le rôle de Médée est infiniment plus soigné de la part de M. Vogel. S’il est toujours furieux & s’il en résulte de la monotonie, c’est moins sa faute que celle du Poëme, & dans ces accès d’une fureur égale, il a su jeter de la variété d’expression ; l’air : Ah ! ne me parlez plus d’amour & d’espérance, au troisième Acte, est un chef d’œuvre. Le défaut de ce rôle est d’être en général écrit trop haut. L’adresse, la force, le grand talent de Mlle Maillard fait disparaître en partie la fatigue qu’il doit lui causer, mais cette fatigue n’en est pas moins réelle. Il est probable que M. Vogel a lui-même senti ce vice, & que dans un second Ouvrage il s’en corrigera.

Le rôle d’Hypsipyle, chanté par Mlle Dozon, de la manière la plus sensible & la plus intéressante, a toute la grâce dont il était susceptible. Le premier air, hélas ! à peine un rayon d’espérance, est d’un très-joli chant. Si celui qui termine la scène, Grands Dieux ! pour une infortunée, n’est pas d’un effet aussi grand, quoiqu’il ait plus de prétention, c’est que l’Auteur en a trop varié les mouvements, sans aucune raison. Après cette exclamation, Grands Dieux ! sur un mouvement adagio, il prend un motif allegro, en continuant le vers, pour une infortunée, & tout de suite il presse & prend le presto sur le vers suivant, peut-on avoir tant de rigueurs. Pourquoi ce changement ? L’expression ne l’indique pas. Il faut laisser ces petits moyens à ceux qui n’ont pas d’autre ressources, & M. Vogel n’en a pas besoin.

Ses Symphonies en général sont très bien, excepté l’ouverture qui est monotone, en ce que les modulations mineures, & surtout les passages de tierce diminuée (employés comme mélodie) y sont trop prodigués. C’est en général le défaut de M. Vogel, c’est celui de tous les jeunes Compositeurs, surtout quand ils ont de l’âme & de la sensibilité. Dans la crainte de ne pas exprimer assez, ils veulent tout exprimer, & abusent des moyens d’expression. Presque toutes les modulations de cet Ouvrage sont mineures ; les accords bizarres, les transitions d’harmonie les plus recherchées, y sont répandues à pleines mains. Il n’y a peut-être pas une mesure où l’Auteur n’ait eu une intention. Il en résulte de la fatigue, de l’ennui même. C’est, à la vérité, l’excès du talent, mais enfin c’est un excès & par conséquent un défaut. Il faut que l’imagination d’un Compositeur se repose quelquefois, pour laisser reposer l’attention des Auditeurs. Il faut dans un tableau des clairs, des ombres, des parties sacrifiées, aux masses principales.

Le trio du second Acte, accompagné du chœur, lorsque Médée assassine Hypsipyle, est plein de chaleur, & fait de l’effet. Il en ferait beaucoup davantage si la situation était supportable. Cette même cause influe infiniment sur la marche funèbre qui suit. Elle est fort belle, & serait fort applaudie, si l’on pouvait applaudir à l’instant où l’on est révolté. Ceux qui se plaisent à chercher des ressemblances, pourraient en trouver une dans ce chœur funèbre, & celui d’un autre Ouvrage que M. Vogel ne s’est pourtant pas proposé d’imiter ; mais nous nous garderons d’adopter un genre de critique que nous désapprouverons toujours dans les autres.

Nous parlerons seulement d’une imitation plus importante en ce qu’elle est plus générale. Tout le monde a senti que M. Vogel cherche à imiter la manière de M. Gluck. Pourquoi voudrait-il imiter ? Pourquoi se traîner servilement sur le spas d’un autre, quand on peut marcher tout seul ? On ne se fait jamais remarquer que par un talent original ; les imitateurs rampent dans la foule, & M. Vogel n’est pas fait pour y rester. La manière de M. Gluck lui sied ; elle siérait mal à tout autre. Qu’on se pénètre des sentiments qui animent M. Gluck quand il compose ; qu’on s’attache comme lui à donner du mouvement à l’action dramatique, à la bonne-heure. Mais pourquoi prendre ses tournures de chant, ces phrases entières ? Est-ce là imiter ? C’est copier.

M. Vogel annonce du génie ; il donne des espérances d’un grand talent ; il faut que ce talent soit à lui, & ne soit pas celui d’un autre. Il est bon de l’avertir qu’il n’a pas réussi dans cette imitation ; qu’il a pris en effet quelques phrases de M. Gluck, mais que sa manière n’est pas la même ; qu’il n’est bon que quand il est lui : quand il imite, ou plutôt quand il copie, il est médiocre ou mauvais ; & les chants que la nature lui a dictés, sont beaucoup meilleurs que ceux qu’il a trouvés dans sa mémoire.

Si M. Vogel était un homme fait, & dont les défauts fussent sans remède, ou si cette première production était médiocre & faible, & qu’elle ne donnât pas l’espoir d’une plus grande perfection, nous croirions lui devoir de l’indulgence ; mais avec le talent qu’il annonce, cette indulgence serait nuisible & déshonorante, il aurait raison de la dédaigner. Nous convenons avec plaisir que dans cet Ouvrage la somme des beautés l’emporte sur celle des défauts ; qu’aucun jeune Artiste ne s’est présenté dans la carrière d’une manière aussi distinguée ; c’est à lui de soutenir par de nouveaux efforts la bonne opinion que son premier Ouvrage a donné de lui.

Personnes en lien

Soprano

Mademoiselle MAILLARD

(1766 - 1818)

Compositeur

Johann Christoph VOGEL

(1756 - 1788)

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La Toison d'or

Johann Christoph VOGEL

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Philippe DESRIAUX

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date de publication : 15/09/23