Psyché de Thomas

CHRONIQUE MUSICALE

OPÉRA-COMIQUE : reprise de Psyché. […]

Les occasions de complimenter M. Carvalho sont assez rares pour qu’on n’en laisse pas échapper une. Disons donc que M. Carvalho a eu une idée excellente en remontant Psyché, car cette œuvre est l’une des plus belles, des mieux caractérisées que l’on ait écrites depuis trente ans.

Psyché est encore de l’opéra-comique pur ; mais cette musique travaillée, recherchée, enjolivée avec un talent suprême, est déjà le prélude de la seconde manière de M. Ambroise Thomas. Psyché semblerait avoir été écrite après Mignon, car plus que Mignon elle fait prévoir Hamlet.

Nous ferions, du reste, un travail inutile en détaillant la poétique partition que vient de reprendre l’Opéra-Comique. Critiquée par quelques-uns, applaudie sans restriction par la majorité, Psyché est une œuvre à juste titre célèbre, et c’est une œuvre de la meilleure époque de son savant auteur.

Ayant complimenté M. Carvalho au sujet de la reprise de ce bel ouvrage, il nous sera bien permis de compléter notre appréciation en blâmant la façon dont le directeur de l’Opéra-Comique a fait accommoder Psyché.

L’œuvre n’a rien gagné du tout à cette transformation en grand opéra ; si, pourtant, elle y a gagné de devenir monotone, ce qui n’est pas une victoire bien précieuse. Il fallait laisser Psyché telle que le public l’avait entendue et applaudie dans sa nouveauté ; il fallait respecter son caractère et ne pas altérer sa fraîcheur par des retouches complètement inutiles, nous dirons même dangereuses.

Quelle rage a-t-on donc à l’Opéra-Comique contre tout ce qui est opéra-comique ? Pourquoi vouloir quand même transformer en récitatifs les dialogues les plus fins et bannir la douce gaieté ? S’il était possible de trouver à cela l’ombre d’une raison, on se tairait ; mais tout, au contraire, prouve qu’on lutte contre les intérêts des auteurs et du répertoire. Si c’est une manie, elle est dangereuse et il serait temps de la soumettre à l’examen d’un spécialiste savant.

Ce qui se passe depuis quelques mois est tellement étrange, qu’on viendrait nous dire demain que la reprise des Rendez-vous bourgeois en grand opéra va être offerte aux habitués de Favart, que nous ne manifesterions aucune surprise. Tout est possible !...

Le public a applaudi Psyché ; la soirée a été belle pour l’œuvre. Quant à l’avenir de cette reprise, nous n’en pouvons rien dire encore. Faire de la réclame à M. Carvalho ne nous plairait point ; nous resterons donc dans la note du simple bon sens en disant qu’il faut attendre pour connaître au juste l’effet que produira Psyché accommodée à la nouvelle sauce du nouvel Opéra-Comique.

Mlle Heilbron a chanté en artiste hors ligne le rôle de Psyché. Mme Engally a plu beaucoup dans celui d’Éros. Si Mme Engally jouait aussi bien qu’elle chante, il n’y aurait aucun reproche à lui adresser. M. Morlet est très-bien. M. Bacquié a fait un excellent début.

L’ensemble de l’exécution deviendra meilleur, plus fin et plus coloré, nous en sommes convaincu.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur la dernière édition de Psyché et son interprétation à l’Opéra-Comique. Mais on se lasse de critiquer à la fin, car cela ne sert vraiment à rien de nos jours : il n’y a pas de gens plus choyés ni plus heureux que ceux qui proclament que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes... même quand la maison du voisin brûle. Admettons que tout soit pour le mieux et crions bravo !... avec tout l’enthousiasme de l’indifférence. 

[…]

Jules Ruelle