Aller au contenu principal

La Princesse jaune de Saint-Saëns

Catégorie(s) :
Éditeur / Journal :
Date de publication :

CHRONIQUE MUSICALE

THÉÂTRE DE L’OPÉRA-COMIQUE : La Princesse jaune, opéra comique en un acte et en vers, de M. L. Gallet, musique de M. Camille Saint-Saëns (12 juin).

À tout hasard, et pour nous en servir à la première occasion, nous avions couché sur un cahier de notes ce plaisant dialogue rapporté par Alfred de Musset :

La scène se passe sur deux fauteuils d’orchestre d’un théâtre lyrique, au moment où vient de finir la représentation d’un opéra-nouveau. Le premier spectateur dit à son voisin :

« Mais, monsieur, pensez-vous que ce soit là de la musique ? » 

À quoi le second auditeur répond :

« Non, monsieur, ce n’est pas précisément de la musique, et cependant on ne peut pas dire non plus tout à fait que ce n’en soit pas !... C’est un terme moyen entre de la musique et pas de musique ; ce sont des airs qui ne sont ni des airs ni des récitatifs, des phrases qui ont une velléité d’être des phrases, mais qui au fond n’en sont pas. Quant à des chants, à de la mélodie, ce n’est pas de cela qu’il s’agit ; on ne chante plus, on parle et on crie ; c’est peut-être une sorte de déclamation notée, un compromis entre le mélodrame, la tragédie, l’opéra, le ballet et le diorama. La musique s’y trouve peut-être, mais, je ne saurais dire quel rôle elle y joue. »

Voilà bien l’impression troublée que nous a causé la Princesse jaune, œuvre amphigourique et froide, que vient de donner M. Saint-Saëns à l’Opéra-Comique.

La situation de Saint-Saëns sur la place musicale de Paris est celle d’un pianiste adroit, d’un organiste érudit, d’un compositeur savant.

Savant, allons soit ! puisque dans la langue du dilettantisme moderne, ce mot implique un certain art de compliquer toutes choses, de jeter la confusion dans le discours musical par le luxe des parenthèses, des incises, des idées accessoires qu’on y prodigue, en un mot de ne rien dire simplement, de faire succomber la mélodie sous une surcharge de détails oiseux ! Ils sont comme cela cinq ou six révoltés qui prétendent aller à la découverte d’un art nouveau et ne s’appuient sur le passé qu’en mettant le pied dessus.

Ah ! pourtant, et en dépit de leurs dédains si bruyamment affichés, comme on les verrait sourire à l’inspiration si cette fée fantasque s’avisait de leur dicter quelque musique puissante comme celle de Guillaume Tell, ou enivrante comme celle du Pré aux Clercs ! Je vous jure qu’ils ne se presseraient point de jeter au feu le papier sur lequel ils auraient écrit l’air « Sombres forêts » ou la romance « Rendez-moi ma patrie ! » Et comme je n’ai point de rancune, je leur souhaite de tels bonheurs d’imagination soupçonnant d’ailleurs que je vais ainsi au-devant de leur désir le plus ardent quoique le moins avoué.

Il est commode, j’en conviens de brouiller des notes à peu près quelconques sur du papier réglé, puis de venir dire : cela est de la musique, et si tu ne comprends rien à mon grimoire, public idiot, c’est que le temps n’est pas venu où la lumière se fera dans ton esprit. Mais, patience ! et surtout ne t’aventure pas à me juger sévèrement ; d’ici à une trentaine d’années, tu pourrais te repentir de tes brutalités.

Dans une pièce du Palais-Royal, Arnal était le domestique de Hyacinthe, lequel voulait le renvoyer pour je ne sais quel méfait. « Pourtant, disait Arnal, monsieur peut avoir besoin de moi d’un jour à l’autre, car je sais très-bien frotter les rhumatismes. — Mais je n’ai pas de rhumatismes ! — Oh ! monsieur, qu’à cela ne tienne, dans une trentaine d’années, il pourra en venir à monsieur ! »

Et on riait. Moi, je ne ris point à voir le train et la tournure que prennent les choses musicales, depuis quelque temps. Après le Passant, Djamileh ; après Djamileh, la Princesse jaune. Autant de petits songes creux qu’on voudrait nous faire passer pour des rêveries poétiques.

Il est vrai que nous étions quelque peu défiant du génie de M. Saint-Saëns, après avoir entendu sa cantate de Prométhée, composée à l’occasion de l’Exposition de 1867. D’autre part, M. Saint-Saëns étant organiste du grand orgue de la Madeleine, il nous était commandé d’avoir foi en son talent ainsi et aussi solennellement consacré. 

Ce n’est point cependant que les mérites requis d’un organiste ressemblent à ceux qu’on exige d’un compositeur dramatique. L’événement l’a bien prouvé ; et la preuve en sera plus patente encore lorsque la Princesse jaune aura eu le sort du Passant et de Djamileh, opéras morts en bas-âge.

Quant à nous, on nous couperait plutôt les deux mains que de nous faire applaudir à ces téméraires essais de musique dramatique, où la mélodie est remplacée par je ne sais quelle plainte vague, qu’on veut bien traiter de mélopée, mais dont le rhythme et la tonalité restent à l’état nébuleux. (Le public, dans son bon sens, n’en veut d’ailleurs point.)

Notre mémoire s’est même refusée à garder huit jours l’empreinte des divers morceaux qui composent la partition de la Princesse jaune. Il nous souvient pourtant d’un chœur chanté dans la coulisse et accompagné à la fois par un tam-tam de grand module et un jeu de timbres suraigus (orchestration puérile.) Nous pouvons citer encore la romance d’entrée du ténor, qui a presqu’une forme arrêtée et fait un contraste relativement heureux avec le reste de l’œuvre.

Quant à la pièce, ce n’est pas une pièce, mais un dialogue élégant entre un homme et une femme qui s’épousent après quarante minutes de conversation. Le docteur Kornelis est amoureux d’une estampe représentant une princesse jaune, ce qui (paraît-il), signifie une princesse japonaise. Sa cousine Léna enrage de le voir si épris d’une peinture. Mais voilà que Kornelis se trouve transporté en rêve au milieu d’un paysage japonais, et qu’il y fait la rencontre de sa princesse qui a pris les traits de Léna. On devine qu’à son réveil il épousera Léna.

Ce rêve, visible pour le spectateur, est très-adroitement mis en scène, et se déroule au milieu d’un décor vraiment magique.

Albert de Lasalle

Personnes en lien

Compositeur, Organiste, Pianiste, Journaliste

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

Œuvres en lien

La Princesse jaune

Camille SAINT-SAËNS

/

Louis GALLET

Permalien

https://www.bruzanemediabase.com/node/25854

date de publication : 18/09/23