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Avant Le Roi d'Ys

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Avant le « Roi d’Ys »

Depuis que l’Opéra-Comique est installé place du Châtelet, il n’avait guère vécu que sur son répertoire. On y conviait bien, de temps à autre, le ban et l’arrière-ban de la critique ; mais ce n’était que pour la reprise d’œuvres plus ou moins connues, pour les débuts d’artistes qui nous arrivaient, de la province ou de l’étranger, précédés d’une réputation plus ou moins bien établie.

Ce soir, enfin, nous aurons une véritable grande première sur notre deuxième scène lyrique. Et quelle première ! Celle d’une œuvre qui, pour être encore presque entièrement inédite, n’en jouit pas moins d’une réputation considérable dans le monde des artistes, d’une œuvre doit l’auteur est réputé comme l’un des maîtres de notre jeune et brillante école musicale.

Si M. Charles Lalo [sic], qui a écrit la partition nouvelle, n’a pas encore ou l’occasion de donner la mesure complète de son talent devant le grand public, il n’en passe pas moins en effet pour l’un des musiciens les plus intéressants et les mieux doués de ce temps. Nombre de fragments de son œuvre ont été joués dans les salons où la musique règne encor en maîtresse et se sont imposés à tous par la noblesse de l’inspiration, par l’ampleur et la grâce de la facture.

Les compositions de M. Lalo ont du reste, franchi plusieurs fois les limites étroites de ces sortes de petits cénacles : on a entendu quelques-unes d’elles dans nos grands concerts, et l’ouverture de ce même Roi d’Ys, qu’on représente ce soir, est depuis longtemps classique chez Colonne et chez Lamoureux.

Ajoutons enfin que M. Ch. Lalo a eu un ballet représenté à l’Opéra : Namouna, joué pour la première fois à la fin de l’année 1882, et qui obtint les suffrages de tous les délicats et de tous les connaisseurs. Malheureusement, on sait combien éphémère auprès du grand public est la vogue de ces divertissements dansés, ne servant guère qu’à compléter le spectacle les soirs où l’on donne quelqu’un de ces opéras, comme la Favorite ou Rigoletto, trop courts pour occuper à eux seuls les quatre heures réglementaires des représentations. Et puis, dans un ballet, on s’occupe de l’étoile de la danse, de ces demoiselles du premier et du deuxième quadrille, des costumes et des décors. Mais qui songe au musicien – en dehors de quelques mélomanes impénitents !

Voilà pourquoi Namouna ne donna pas à M. Lalo la notoriété qu’il en eût dû retirer, et pourquoi aussi l’artiste était demeuré presque un débutant, même après ce ballet dont la partition était pourtant d’un musicien de race. Un détail à propos de cette partition : M. Vaucorbeil, alors directeur de notre Académie nationale de musique et de danse, avait accordé à Lalo trois mois à peine pour écrire complètement une œuvre d’aussi longue haleine. L’éminent artiste parvint au bout de sa tâche et dans le délai voulu : mais l’effort intellectuel auquel il s’était astreint avait été trop violent et trop continu.

Aussi paya-t-il d’une paralysie partielle le travail surhumain auquel on l’avait condamné et c’est M. Gounod qui dut achever l’orchestration de Namouna. Hâtons-nous de dire que Lalo est, depuis longtemps déjà, complètement remis, et le grand succès qu’il va remporter ce soir, tout en lui donnant une ardeur et des forces nouvelles, lui fera oublier pour toujours les gros déboires du passé.

Car ce sera un très grand succès que ce Roi d’Ys, n’en doutez pas. La répétition générale n’a été d’un bout à l’autre qu’un long triomphe pour l’auteur inspiré de cette musique si colorée, si nerveuse, si souple dans sa grâce archaïque et légère.
Je ne veux pas empiéter sur les attributions de notre critique musical ni déflorer le plaisir qu’il aura à étudier pour nos lecteurs cette œuvre à la fois si forte et si touchante.

Je me contenterai donc de donner quelques rapides indications, non pas tant sur le livret de M. Blau qui, lui aussi, appartient à la critique, que sur la vieille légende bretonne dont ce poème est inspiré.

Le roi d’Ys, dont la mémoire est encore vivante dans notre vieille Armorique, s’appelait Gralau. C’était un prince juste, sage et craignant le Seigneur. Mais il avait une fille, Dahu (Margared dans la pièce), violente, cruelle, passionnée et qui, devancière de cette Marguerite de Bourgogne immortalisée par le drame du grand Dumas, faisait massacrer sans pitié ses amants d’une nuit.
Le peuple se souleva contre les désordres et les cruautés de la princesse. Celle-ci se vengea en ouvrant des écluses et en livrant ainsi la ville d’Ys à l’envahissement de la mer. Le roi Gralau prit la fuite, emmenant sa fille sur la croupe de son cheval. Mais comme le flot allait atteindre les fugitifs, le roi dut obéir à l’ordre de saint Corentin, patron de la région et livrer sa fille à l’Océan pour apaiser la colère céleste et la fureur des flots.

Telle est la légende réduite à sa plus simple expression. Elle eût été insuffisante, même pour un livret d’opéra, et il a fallu la corser un peu.

Dans la pièce qu’on représente ce soir, Margared (Mlle Deschamps), la fille du roi d’Ys, a une sœur, la touchante et chaste Rosen (Mlle Simonnet) à laquelle elle dispute l’amour du beau Mylio (Talazac). Celui-ci préfère Rosen et l’obtient en mariage pour prix de la valeur dont il a fait montre en combattant et en vainquant Karnac (Bouvet) ennemi du roi d’Ys.

Margared se désespère et c’est de concert avec Karnac, furieux d’une défaite qui lui coûte et son armée et sa couronne, qu’elle ouvre les écluses pour livrer aux flots l’amant infidèle et la sœur qui lui a été préférée. La mer monte, monte toujours : les derniers sujets du roi d’Ys vont disparaître quand Margared, bourrelée de remords, se dénonce elle-même et se précipite dans l’Océan que ce sacrifice apaise.

Ce dernier décor, qui nous montre la tempête furieuse et la mer envahissante, fera sensation.

Les quatre premiers tableaux de la pièce sont d’ailleurs admirablement mis en scène eux aussi.

Quant à l’interprétation, je n’en puis rien dire pour aujourd’hui. Mais il m’est pourtant bien permis, je pense, d’enregistrer les applaudissements unanimes qui ont accueilli, à la répétition générale de samedi, les excellents artistes de l’Opéra-Comique.

André Nancey

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Compositeur

Édouard LALO

(1823 - 1892)

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date de publication : 04/11/23