Paris au théâtre. La Vivandière
PARIS AU THÉÂTRE
Théâtre national de l'Opéra-Comique : Première représentation de La Vivandière ; opéra-comique en trois actes de M. Henri Cain, musique de Benjamin Godard.
Benjamin Godard est mort le 10 janvier dernier. Hier, 1er avril, l’Opéra-Comique a donné la première représentation de La Vivandière ; avec quel succès, tous les spectateurs présents en témoigneront !
Les rappels, les acclamations, les enthousiasmes, rien n’a manqué à cette soirée inoubliable, rien, que l’auteur de ce triomphe, tournée en apothéose.
Trois heures durant, – par des réalisations combien différentes pourtant, – nous avons revécu les fiers moments du Tasse – l’Aurore et le Crépuscule d’une trop courte carrière.
Ah ! les bons frémissements du public ; ah ! les saines joies d’un millier de spectateurs français, assemblés pour écouter une œuvre de France, écrite par de vrais Français !
Qui n’a pas vu ce spectacle ne sait pas avec quelle admirable et rassurante promptitude sait se ressaisir ce même auditoire parisien, soi-disant amateur de brumes du Nord, comme quelques-uns voudraient le donner à croire, et qui, dès qu’il entend chanter l’alouette de Gaule, semble comme elle avoir des ailes, pour faire, avec elle, son ascension vers le clair Soleil qui demeure notre patrimoine sacré.
Sont-ils donc si extraordinaires les mérites de cette Vivandière, tant acclamée ? – Talent à part, ils ne sont autres que ceux qui devraient planer sur toute œuvre d’art : ils réunissent mais alors à des degrés qui les font indiscutables et par conséquent irrésistibles, la conviction et la sincérité ; sans lesquelles rien ne vit, rien ne vaut au théâtre.
Avec la simplicité d’un librettiste qui, hier, s’ignorait encore, le peintre Henri Cain campe un scénario dépouillé d’artifice ; comme cela, tranquillement, pour voir ; et voici qu’avec la magie de la scène son œuvre vit, vibre, palpite ; au point de conquérir la foule, qu’elle émeut et fascine. La prestigieuse musique de Godard, toute d’élan passionné, d’inspiration lumineuse, de claire et abondante facilité, serre la pièce, l’enveloppe d’effluves radieux, qui la grandissent jusqu’au symbole ; et, par-dessus les humbles personnages, « petites gens mas grandes âmes » - selon le mot historique – qu’elle met en scène, c’et la sublime voix de la Patrie que nous entendons gronder. Par un phénomène d’électrisation qui gagne de proche en proche, la larme tremble aux cils, avouée par les uns, niée par les autres, sans doute ; mais qui n’en est pas moins là, existante, réelle, et qu’on verrait évidente si le mouchoir, propice aux dissimulations, n’en tarissait la source en même temps qu’elle jaillit…
La pièce ? Jamais il n’exista rien de moins compliqué. [Résumé de l’intrigue.]
C’est du meilleur théâtre, de celui qui convient à tous les publics quels qu’ils soient. Et comme de ce théâtre si chaud, on s’évertue à n’en plus faire depuis vingt ans, on voit d’ici l’effet produit par celui-ci, véritable baume, véritable guérisseur de l’ennui si souvent imposé…
Si l’on songe que Godard écrivit cette partition, et jusqu’au bout, alors qu’il sentait déjà les approches de la mort, on demeure positivement confondu. C’est la fraîcheur, la jeunesse, la gaieté mêmes. Puis, l’attendrissement exquis, l’émotion vive, le charme indicible. Puis, encore, la grande allure, le souffle enflammé des plus purs patriotismes, – et toujours, avec la sereine simplicité qui distingue les vrais compositeurs des autres, j’entends de ceux qui pourraient aussi bien être architectes ou astronomes, au choix.
Ça et là, malgré le voulu évident de n’écrire jamais que la musique de la pièce – à pièce pas compliquée, musique simple – apparaissent les signes certains, quoique discrets, où l’on reconnaîtra le grand artiste qui s’appelait Benjamin Godard : au premier acte, voyez ce petit duo – une page qui passe – où le ténor et le soprano chantent à l’unisson sur une tenue d’tu ; écoutez et savourez les harmonies que fait entendre l’orchestre pendant ce temps. Je sais juste, à l’heure qu’il est, deux compositeurs – pas un de plus – capables d’en trouver de semblables ; et je me garderai de les nommer, afin de laisser à chacun des autres la liberté, – ou l’outrecuidance, – de croire qu’il est l’un de ces deux.
Mais s’il fallait citer les morceaux applaudis ou bissés, il faudrait tout citer.
Complimentons les interprètes, qui ont leur large part dans le succès de cette splendide soirée, et d’abord Paul Vidal, le si distingué musicien qui a terminé l’orchestration de l’œuvre avec tout son dévouement et tout son cœur de vrai artiste.
Mme Delma a l’heureuse fortune d’incarner le rôle de la vivandière, merveilleusement établi pour faire valoir ses étonnants dons naturels. Elle y est supérieure, et l’immense succès qu’elle y obtient n’est que la juste récompense des qualités qu’elle déploie. Fugère joue et chante le sergent de La Balafre en très grand artiste. Il est impossible d’apporter dans la composition d’un personnage plus de verve et plus de maîtrise. Un jeune homme, M. Tony Thomas, s’est beaucoup fait remarquer dans la silhouette d’un petit soldat de touchante naïveté. Le rôle insignifiant pouvait passer inaperçu, et M. Thomas en le créant avec tant d’intelligence en a fait quelque chose de charmant. M. Badiali a bonne allure en capitaine et M. Mondaud fière mine en ci-devant marquis. Je n’oublierai pas non plus le joli couple d’amoureux que représentent avec la plus aimable et la plus sympathique jeunesse M. Clément et Mlle Laisné.
Les costumes d’une réalité poussée, font honneur au dessinateur, M. Thomas, et les décors, peints par les maîtres Rubé, Jambon et Lemeunier, tout pleins d’une agreste poésie, ajoutent encore au charme enveloppant de cette œuvre de foi.
Quant à la mise en scène, elle témoigne hautement du goût très sûr et très artistique de M. Carvalho. Chœurs et orchestre se sont montrés d’une rare vaillance.
…..
Il y a quelque vingt ans, au lendemain de la chute de Carmen à l’Opéra-Comique – la chute de Carmen ! – Bizet, dans un accès d’amertume justifiée, proféra cette parole mémorable : - « Décidément, pour réussir en France, il faut être Allemand, ou mort ! »
Godard ne voulut jamais être allemand. Il est mort. La Vivandière triomphe…
Mais toutes ces acclamations, tous ces applaudissements s’adressent à une tombe ; – et Bizet avait raison !... Triste et trop véridique prophète…
Léon Kerst.
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date de publication : 01/11/23