Le Tasse de Godard
Un autre événement artistique réunissait, hier, son contingent de spectateurs au théâtre du Châtelet : M. Colonne et ses vaillants interprètes donnaient la deuxième des œuvres couronnées au concours musical de la ville de Paris.
On peut médire des concours. Eh bien ! ils ont du bon, quand ce ne serait que de révéler, ça et là une partition comme celle dont M. Benjamin Godard a écrit la musique sur les paroles de M. Charles Grandmougin.
On encourage spécialement le drame lyrique ; on a raison. Il offre l’avantage de placer sur la scène le mouvement et la passion qui conviennent au théâtre, sans exiger les frais auxquels le théâtre est contraint dès qu’il s’agit de monter une pièce.
Le principal mérite du Tasse de M. Godard, c’est d’être scénique de la première mesure à la dernière. Le livret, divisé en trois parties, roule sur la lugubre légende des amours de l’auteur de la Jérusalem délivrée avec Eléonore, sœur du duc Alphonse d’Este.
Un rendez-vous ouvre l’action. Le duc surprend le tête-à-tête des amants. Le Tasse fuit. Un orage, la nuit, le surprend. C’est la première partie ; un peu terne, peut-être, au point de vue mélodique. Le compositeur a la ligne ; il n’a pas la couleur.
La couleur se fond heureusement avec la ligne dès le début de la partie suivante. Les nuances éclatantes succèdent aux teintes grises. L’arrivée du Tasse à Sorrente, où sa sœur Cornelia pleurait son absence, est une page exquise.
La romance au bord du golfe de Naples est empreinte d’un sentiment d’ineffable tendresse, que Mlle Vergin a su faire délicieusement ressortir. Dans l’orchestre, on entend l’eau murmurer et souffler doucement la brise, pendant que chante Cornelia.
La dernière partie, enfin, est un écrit mélodique tout rempli de joyaux dont quelques-uns de l’éclat le plus pur. Une inspiration soutenue s’y unit à une science instrumentale qui ne faiblit pas un instant.
Alphonse d’Este attire dans une fête l’homme qu’il hait. Les chœurs des seigneurs et des dames, la sérénade du duc, la danse des Bohémiens, tout serait à citer dans ce tableau.
Et puis, c’est le cachot, la folie du poète, le glas funèbre qui annonce sa mort… Abrégeons.
M. Lawers est un consciencieux duc d’Este ; Mme Brunet-Lafleur une Léonora pleine de passion. Être servi ainsi, c’est confier sa cause à des parrains dignes d’elle.
Aubaine appréciable pour M. Benjamin Godard. Il était inconnu. Le voici sur le premier échelon de la gloire.
J’allais oublier le rôle du Tasse : M. Villaret fils en était chargé.
Adrien Laroque
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Le Tasse
Benjamin GODARD
/Charles GRANDMOUGIN
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date de publication : 15/09/23