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Premières représentations. Le Roi d'Ys

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PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS
OPÉRА-СОМІQUE. – Le Roi d’Ys, drame lyrique en trois actes et cinq tableaux par M. Edouard Blau ; musique de M. Edouard Lalo.

On a reproché, à juste titre, à M. Carvalho d’avoir, dans les dernières années de sa direction à l’Opéra-Comique, dénaturé le genre de notre seconde scène musicale en y faisant représenter des drames lyriques, pour lesquels les premiers sujets de la troupe étaient exclusivement réservés, tandis que l’interprétation du répertoire était confiée à des artistes de second ordre.

En succédant à M. Carvalho, M. Paravey a fait savoir par des notes officieuses qu’il prétendait conserver à l’Opéra-Comique son véritable genre. Pour confirmer l’intention qu’il manifestait, M. Paravey n’hésita pas à se séparer de Roméo et Juliette qui passa à l’Opéra. Puis eurent lieu successivement les reprises des Dragons de Villars, du Postillon, de Galathée, du Caïd, de Mme Turlupin. Il n’y avait pas d’erreur, nous étions bien à l’Opéra-Comique.

Ce ne fut donc pas sans étonnement que l’on apprit que le premier ouvrage nouveau que M. Paravey mettait en répétition était le Roi d’Ys, un drame lyrique, de M. Lalo.

Puis, en même temps, le bruit se répandait que les Amants de Vérone, du marquis d’Ivry, puis le Ruy Blas, de M. Benjamin Godard seraient représentés à la saison prochaine sur la scène où le « genre éminemment français » doit seul régner en maître.

Remarquez bien que ce « genre éminemment français » ne me séduit pas beaucoup. Certes, j’entends avec plaisir Zampa, le Pré aux clercs, la Dame Blanche, etc., mais je n’éprouve qu’un médiocre plaisir en écoutant le Maçon, l’Ambassadrice, la Sirène, le Postillon, etc.

C’est là un sentiment personnel, et les belles recettes encaissées par l’Opéra-Comique lors des représentations de ces ouvrages, me prouvent surabondamment que le public ne pense pas comme moi.

Mais si j’ai tort, M. Paravey n’a pas raison d’ouvrir les portes de son théâtre au drame lyrique.

Si encore il protégeait un jeune compositeur, je l’excuserais immédiatement. Or, M. Lalo a soixante-cinq ans ; la partition du Roi d’Ys est terminée depuis vingt-cinq ans, et ce n’est qu’en l’an de grâce 1888, que ce brave roi a pu faire son entrée sur une scène parisienne. Vous me direz que si les directeurs de nos scènes lyriques ont refusé le Roi d’Ys, cela doit prouver que c’est un chef-d’œuvre – et, à ce sujet, on peut rappeler Sigurd.

L’Opéra-Comique n’a pas cependant été institué pour recevoir les ouvrages refusés, à tort ou à raison, par les autres théâtres. Il en a cuit à M. Carvalho de tendre la perche au Comte d’Egmont, et si MM. Ritt et Gaillard avaient, au dernier moment, refusé la Dame de Montsoreau, qui nous dit que M. Salvayre n’aurait pas été accueilli à bras ouverts par la direction de l’Opéra-Comique ? Il y a des choses qui ne s’expliquent pas.

Que M. Paravey y prenne garde : Nous avons un opéra ; nous aurons un théâtre lyrique à l’Eden ; on nous promet un théâtre de drame lyrique ; quelle figure fera, je vous le demande, l’Opéra-Comique si on le consacre à la représentation d’œuvres naturellement destinées à l’une des scènes mentionnées plus haut ?

C’est là un péril que M. Paravey doit prévoir dès maintenant.

Certes, il faut se montrer indulgent pour le nouveau directeur de l’Opéra-Comique. – Il a un riche répertoire, et il ne peut pas l’exploiter, grâce à l’insuffisance du matériel, et au local qui est absolument défectueux.

En ce moment, l’Opéra-Comique n’est pas chez lui ; pourquoi voulez-vous que le directeur fasse d’inutiles dépenses, en commandant des décors qui d’un jour à l’autre ne pourront plus servir ? forcément, le répertoire est restreint : mais, malgré tout, j’aime mieux cette pénurie que de voir le Roi d’Ys servir de lendemain à Fra Diavolo !

M. Paravey vient de tenter une épreuve qu’il aura, je l’espère, la sagesse de ne pas renouveler, ou alors qu’il change le titre du théâtre.

C’est un bon conseil que je me permets de lui donner.

*

Occupons-nous maintenant du Roi d’Ys. Si j’en crois une dédicace inscrite à la première page du livret, M. Edouard Blau a tiré son drame lyrique d’une légende bretonne. Cette légende est, paraît-il, très intéressante : je confesse, à cet égard, mon ignorance. Mais, d’après cе qu’on m’en a raconté, j’ai pu constater que le librettiste l’avait singulièrement modifiée. Il en est resté un drame banal, lourd, sans originalité, rempli de situations connues, et il me serait facile de citer nombre d’ouvrages offrant des passages dont la similitude est flagrante. Il y a vingt-cinq ans que le Roi d’Ys est achevé ; les spectateurs peuvent ignorer ce détail, et ils demeureront frappés de l’analogie qu’il y a entre ce livret et celui de Sigurd.

Qu’on en juge. 

Le prince Karnac qui a fait une guerre acharnée au roi d’Ys, dépose les armes ; la paix est signée, et pour sceller le traité, le roi lui donne la main de sa fille Margared. L’allégresse est générale ; toutefois Margared regrette cet hymen, parce qu’elle aime Mylio, son ami d’enfance, qui a disparu, et qui, peut-être, n’existe plus.

Or, Mylio revient, et déclare son amour à Rozenn, la sœur de Margared.

Le mariage de la fille du roi avec le prince Karnac va s’accomplir ; à ce moment, Margared qui a appris le retour de Mylio s’écrie devant le peuple assemblé que jamais elle ne consentira à être la femme du prince Karnac. Outragé par cette offense, le prince jette son gantelet aux pieds du roi, et Mylio le relève.

Margared, qui comprend que Rozenn est sa rivale, éclate en imprécations, et dans un délire furieux, jure de se venger.

L’armée du prince Karnac a été défaite ; sa ruine est complète. C’est alors que Margared indique au guerrier le moyen d’être vainqueur.

La ville est protégée contrôles fureurs de la mer, par une écluse : qu’on ouvre la barrière d’airain et la ville est perdue.
Pour que ce joli projet réussisse, Margared ne craint pas d’adresser une prière à saint Corentin devant son tombeau.
La tombe s’entr’ouvre et saint Corentin maudit les deux coupables.

Toute tremblante d’effroi, Margared hésite à donner suite à ses projets criminels, mais le prince ranime sa haine en lui faisant le tableau du bonheur de Rozenn et de Mylio dont le mariage vient d’être célébré.

Margared n’y tient plus et accomplit son forfait. La ville est inondée ; la moitié du peuple a disparu dans les flots. Qui apaisera les vagues en fureur ? Quelle est la victime qui doit descendre aux gouffres entr’ouverts ? « Moi », s’écrie Margared, et gravissant un rocher qui surplombe la mer, elle se précipite dans le gouffre.

Aussitôt l’orage cesse, et la colère du ciel est aplanie. Rozenn et Mylio vivront heureux. Quant, au prince Karnac, il a été préalablement tué par Mylio.

Et voilà comment deux sœurs aimant le même beau jeune homme ont fait périr un peuple, ont ruiné leur papa et troublé le sommeil de saint Corentin.

Triste ! Triste !

*

La partition de Lalo est volumineuse ; je vais tâcher de séparer le bon grain de l’ivraie.

Tout d’abord, M. Lalo, musicien expérimenté, prosélyte fidèle de la musique dite de « l’avenir », me permettra de lui faire remarquer qu’il n’a jamais été tant applaudi que lorsque – sans le vouloir, probablement – il est simplement reste mélodique. La gracieuse mélopée chantée par Rozenn « En silence pourquoi souffrir ? », le récitatif « Un jour il est venu dans le fond de nos cœurs », l’air de Mylio « Vainement, ô ma bien aimée » et le duo qui suit, tous morceaux simplement écrits, délicieusement orchestrés ont conquis tous les suffrages. La part est belle, comme vous voyez. Mais, à côté de ces jolies pages, que de bizarres combinaisons musicales !

L’entrée de Karnac est signalée à l’orchestre par un fracas épouvantable, un abus de cuivres et de grosse caisse produisant une sonorité discordante ; plus loin, c’est une phrase mélodique que l’on saisit au passage ; on attend son développement. Halte-là ! les règles de la musique de l’avenir défendent que l’on achève ce que l’on a commencé ! Voici un chant guerrier, avec des effets de crescendo très vulgaires ; puis c’est un babillage languissant et mièvre, rappelant le style de Massenet, alors que ce compositeur n’écrivait encore qu’en tâtonnant ; enfin tel chœur rappelle celui des offrandes de Sigurd, et – rappelons-le il y a vingt-cinq ans que la partition est terminée, mais M. Lalo a pu y faire des retouches.

En résumé, la musique du Roi d’Ys manque d’unité. M. Lalo n’est pas franchement ce qu’il veut être : un novateur, et ce n’est pas sans une certaine maladresse qu’il est parfois ce qu’il ne voudrait pas être : un musicien imbu des principes dédaignés aujourd’hui, probablement parce qu’ils n’ont valu des chefs-d’œuvre.

*

M. Talazac chante avec un excellent style le rôle de Mylio ; il a soupiré d’une façon charmante le duo du troisième acte que toute la salle a redemandé. Je dois dire cependant que la voix de M. Talazac ne m’a pas paru aussi pure que d’habitude ; est-ce fatigue passagère ? Je l’espère.

M. Bouvet joue vaillamment un bien mauvais rôle. Sa voix est toujours franche et d’une belle ampleur.

M. Fournetz représente saint Corentin : il est sorti de son tombeau pour venir saluer les spectateurs qui l’applaudissaient. Voilà un saint qui connaît son monde.

M. Cobalet, le roi, n’a que quelques phrases à chanter et un beau costume à faire voir.

Mlle Deschamps chante avec grand style le rôle de Margared. Sa superbe voix de contrait fait merveille.

Mlle Simonnet est aussi charmante que possible sous les traits de la douce Rozenn. Elle possède une voix pure et caressante, et l’art des nuances n’a pas de secret pour cette gracieuse et intelligente cantatrice.

Son succès a été complet.

Personnes en lien

Compositeur

Édouard LALO

(1823 - 1892)

Œuvres en lien

Le Roi d’Ys

Édouard LALO

/

Édouard BLAU

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date de publication : 04/11/23