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Premières représentations. Ariane

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Premières représentations
« ARIANE ». Opéra en cinq actes. Poème de M. Catulle Mendès. Musique de M. Massenet

Tout le monde connaît la légende d’Ariane. Amoureuse trop tendre et trop fidèle, la fille de Minos et de Pasiphaë, après avoir donné à Thésée, roi d’Athènes, le fil qui doit le conduire dans les dédales du Labyrinthe et lui permettre de revenir au jour après avoir tué le Minotaure, se laisse enlever par le héros. Mais bientôt, lassé par tant de tendresse et de constance, Thésée s’éprend de la sœur d’Ariane, Phèdre, la chasseresse au cœur dur et au caractère impérieux.

Suivant la loi commune, il délaissa la femme dont il est aimé pour celle qui le rebute, et il abandonne dans l’île de Naxos la douce Ariane pour suivre Phèdre la farouche.

Toute légende a son dénouement ; celle-ci en a deux.

Suivant les uns, Ariane, abandonnée, mourut de désespoir ; suivant les autres, elle se laissa consoler par Bacchus, dieu des vendanges, conclusion brutale et vulgaire que ne pouvait adopter un poète délicat comme M. Catulle Mendès.

M. Catulle Mendès a tiré de cette aventure mythologique un poème plein de tendresse et de grâce, écrit dans le gout précieux et charmant des opéras de Quinault. Malheureusement la mauvaise acoustique de l’Opéra a empêche les auditeurs qui n’avaient pas eu la bonne précaution de se munir du livret d’en goûter toutes les délicatesses et c’était vraiment dommage.

Les costumes sont à l’unisson du poème. Tout est en pur style Louis XIV ; Vénus, l’Amour et les Grâces se détachent de leur bas-relief, au troisième acte, comme des personnages d’un tableau de Coypel qui descendraient de leurs cadres.

Le compositeur lui-même a tenté de se reporter aux traditions musicales du temps ; la trace de cette tentative est évidente dans le début du premier acte, dans le madrigal de Thésée au second, et surtout dans l’admirable lamentation d’Ariane.

Mais dans tout le reste de la partition Massenet est resté Massenet, et, personne n’a songé à s’en plaindre.

Le premier acte, après un prélude très doux, où les Sirènes appellent dans le lointain les matelots de la galère athénienne, et un large récitatif magistralement déclamé par M. Delmas (Pirithoüs), s’ouvre par un duo entre Mlles Bréval (Ariane) et Louise Grandjean (Phèdre), où Ariane avoue à sa sœur son amour pour Thésée, après une pure invocation à Cypris qui reparaîtra dans tout le cours de l’œuvre :

Chère Cypris, Cypris compatissante !

Dans ce duo, tout de grâce, et de charme, est exposée la phrase voluptueuse qui sert de thème à l’amoureuse Ariane :

La fine grâce de sa force
Enchantaient mon timide rêve.

Le premier acte se termine par le départ de Thésée, vainqueur du Minotaure, qui s’éloigne, emmenant à bord de sa galère triomphale Ariane et sa sœur.

À noter le délicieux chœur des enfants sortant du labyrinthe.

Le second acte, qui se passe à bord de la galère qui emporte les jeunes époux, se compose presque uniquement d’un duo d’amour entre Ariane et Thésée, délicieusement soupiré par M. Muratore et Mlle Lucienne Bréval.

J’aime beaucoup moins la tempête qui termine cet acte.

Par contre, j’admire sans réserve l’apparition de l’île de Naxos, surgissant du sein des flots dans le réveil de l’aurore.

Le troisième acte est un pur chef-d’œuvre. Poète et musicien se sont unis dans ce point culminant de l’œuvre, où il n’y a rien à reprendre.

Les troubles de Thésée, la tristesse d’Ariane sont d’abord exprimés dans des vers aussi harmonieux que la musique qui les traduit.

Cette tristesse ne peut être dissipée par la douce voix de Mlle Mendès, qui chante accompagnée par la harpe une gracieuse mélodie aux purs contours.

Puis vient l’admirable duo entre Ariane et Phèdre et le duo plus admirable encore entre Phèdre et Thésée, où, après avoir accepté de plaider auprès de lui la cause de l’épouse abandonnée, Phèdre finit par tomber dans les bras de Thésée.

Ariane, qui survient, s’évanouit de surprise et de désespoir, et quand, elle revient à elle, elle chante ce sublime lamento que la salle transportée a bissé d’une commune acclamation.

On a également fait répéter à M. Brun, la rêverie de violon, développement exquis du thème amoureux du premier acte, qui enveloppe d’harmonie le silence d’Ariane désespérée.

Cependant Phèdre, fuyant, a été écrasée par la statue d’Adonis ; Thésée la pleure avec un tel désespoir, qu’Ariane, protégée par Cypris (Mlle Demougeot), se décide à aller la chercher jusqu’aux enfers.

Le quatrième acte se passe dans le royaume des ombres, où Mlle Lucy Arbell gémit les sombres plaintes de Perséphone. Ariane arrive accompagnée par les ris et les grâces, qui luttent contre les furies, Mlles Zambelli-Tisiphone et Sandrini-Aglaé y rivalisent de grâce et de légèreté, sur le rythme léger d’un ballet vaporeux.

Perséphone se laissé toucher par un bouquet de roses que lui apporte Ariane et laisse remonter Phèdre vers le jour.

Au cinquième acte, Ariane ramène Phèdre à Thésée ; les deux amants refusent d’abord ce généreux sacrifice peut-être excessif d’une épouse, vraiment trop bonne et trop confiante. Mais à peine s’est-elle éloignée que, repris par leur passion, ils s’embarquent ensemble, laissant Ariane à son désespoir. La délaissée se laisse entraîner dans la mer par les Sirènes, pendant que les fugitifs s’éloignent sur le thème déjà connu de l’ouverture de Phèdre.

Telle est, trop hâtivement décrite, cette œuvre remplie de charme et de passion, qui contient un acte de toute beauté, et de nombreuses beautés dans les autres.

M. Gailhard a tenu à prouver qu’il était jusqu’au bout décidé à présenter de belles œuvres au public.

Il n’est pas de ces fermiers qui délaissent la terre quand le bail est près d’être renouvelé.

M. Vidal a merveilleusement conduit l’orchestre dont l’éloge n’est plus à faire.

Robert Mondor.

Personnes en lien

Compositeur, Pianiste

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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Ariane

Jules MASSENET

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Catulle MENDÈS

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date de publication : 23/09/23