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Premières représentations / La Soirée parisienne. La Montagne noire

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PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS
Théâtre de l’Opéra. — La Montagne noire, drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux de Mme Augusta Holmès.

Dans le monde musical, Mme Augusta Holmès est loin d’être une inconnue ; il n’est pas un salon artistique où l’on ne chante ses mélodies, et les musiciens ont gardé pieusement le souvenir des Argonautes, une composition couronnée en 1881 au concours de la Ville de Paris. Jusqu’à ce jour, Mme Holmès a compté parmi les adeptes les plus fervents de Richard Wagner ; il était donc naturel qu’on s’attendit de sa part à un drame lyrique d’un art plutôt révolutionnaire que rétrograde.

Il n’en a rien été cependant : la Montagne noire ne fera pas faire un pas en avant à notre drame musical. Le sujet est de ceux qu’on connaît depuis longtemps, il flotte entre Carmen et Lakhmé. Deux jeunes guerriers, Aslar et Mirko viennent de remporter une victoire et rentrent en triomphateurs dans leur pays, un petit hameau de la Montagne noire. Nous sommes en 1657.

Les deux jeunes gens, pour mieux resserrer les liens d’amitié qui les unissent, demandent au Père Sava de leur faire prêter le serment de fraternité : le prêtre le leur accorde, car ils en sont dignes :

Je jure, devant Dieu, de t’aimer comme un frère
Dans la vie, dans la mort, dans la paix, dans la guerre,
Et de sauvegarder ton honneur de chrétien.
Fût-ce au prix de ton sang, ou fût-ce au prix du mien.

Ce serment constituera tout le nœud de la pièce. L’un des deux guerriers, Mirko, le trahira pour suivre une esclave turque, la belle Yamina. C’est là toute l’action : elle consiste dans les amours de Mirko et de Yamina troublées à plusieurs reprises par la présence d’Aslar, qui vient rappeler à son frère d’armes le serment qui les unit.

Le dénouement sera le meurtre de Mirko par Aslar qui, à son tour, offrira sa poitrine aux balles ennemies.

Le principal défaut de ce sujet, c’est le manque d’intérêt et le caractère indécis de tous les personnages. On ne s’attache à aucun : Yamina est une fille de plaisir dont on ne perçoit pas très bien les ambitions et le but ; Mirko et Aslar ont des sentiments quelque peu exagérés ; les autres personnages soit Héra [sic], la mère de Mirko, soit Héléna, sa fiancée, ne sont pas même définis et disparaissent de l’action après le deuxième acte sans que nous sachions ce qu’ils deviennent.

La faiblesse de l’intrigue est d’autant plus apparente que l’ouvrage est en quatre actes. Il en résulte des langueurs et une monotonie qui enveloppe l’œuvre tout entière.

La partition de Mme Holmès débute par un court prélude : le rideau se lève et nous entendons aussitôt les cris du peuple qui croit la bataille perdue. Hélena adresse au ciel une prière pour le salut de son fiancé ; de violents coups de canon retentissent et Mirko et Aslar entrent en scène en poussant des cris de victoire ; le peuple les complimente sur leur vaillance. Toute cette scène a du mouvement ; le Père Sava remercie le Seigneur de la victoire et le chant du prêtre avec la réponse du chœur ont de la grandeur et de l’expression.

Mais voici l’entrée de Yamina : elle est annoncée à l’orchestre par un leitmotive d’un rythme voluptueux et sensuel. Cette phrase emblématique du caractère de l’esclave et de ses passions, vous la réentendrez dans le courant de l’ouvrage et elle ne cessera pas de personnifier la courtisane. Ce leitmotive de Yamina est exposé, dans le mode doux et langoureux de si bémol il est à remarquer combien Mme Holmès affectionne cette tonalité attendrie.

Le premier acte s’achève par un chœur dansé fort bien traité.

Dans le deuxième acte, il faut citer l’air de Mirko : « Pourquoi suis-je ainsi pris de langueur ? » et surtout un petit chœur de femme d’un rythme des plus gracieux. Les quelques mesures d’orchestre qui le précèdent sont empreintes d’un grand charme poétique. Vient ensuite une romance de Yamina, toujours dans la même note voluptueuse, mais soutenue, cette fois, par une orchestration originale où l’emploi de la clarinette est du meilleur effet. Le duo qui suit entre Mirko et Helena et qui, par la situation dramatique, rappelle celui de Mikaela et de don José, est écrit avec tendresse. La petite prière dite par Héléna a une simplicité touchante.

Ce sont là avec quelques fragments du troisième acte les meilleurs pages de cette partition, c’est-à-dire celles qui sont consacrées aux amours de Mirko et de Yamina et à Héléna.

En revanche, toute la partie qui a trait à l’amour fraternel, les reproches d’Aslar, ses tentatives pour ramener son frère dans le bon chemin sont trop souvent vulgaires et elles ont le défaut de n’être pas soutenues par une orchestration mouvementée.

Le coloris orchestral de Mme Holmès est en effet, sans éclat ; le quatuor et particulièrement les violons n’ont pas l’emploi qu’ils devraient avoir. On attend vainement des timbres pittoresques et originaux.

L’interprétation de la Montagne Noire est très satisfaisante et cependant combien le rôle de Yamina aurait gagné à être tenu par une interprète ayant un plus grand souci de la composition dramatique que Mlle Bréval. MM. Renaud et Alvarez sont de tous points excellents. Mlle Berthet est une Héléna pleine de grâce charmante et une chanteuse attentive à toutes les nuances ; son succès au deuxième acte a été très vif, Mme Héglon est fort belle sous les traits maternels de Dara.

L’œuvre est soigneusement montée dans son ensemble et fait honneur à la direction de l’Opéra.

Il serait injuste de ne pas rendre hommage au talent dépensé par M. Taffanel dans la conduite de l’orchestre.

Albert Montel 

SOIRÉE PARISIENNE
LA MONTAGNE NOIRE

Par dix degrés au-dessous de zéro.

Et dans les Balkans !

Comme à l’Odéon alors ! oui, seulement hier soir, à l’Opéra, la température avait légèrement changé dans la montagne, et Mme Augusta Holmès ne nous a pas, durant ses quatre actes, fourni assez d’occasions de nous réchauffer les mains.

Aussi, aurais-je fort regretté de m’être engagé dans ces gorges si cela ne m’avait procuré le plaisir d’admirer celle de Mlle Breval Yamina une charmante odalisque à chevelure rousse qui a pas mal cascadé à Istamboul (d’aucuns disent : Stamboul ; c’est facultatif comme pour « station ») ainsi qu’elle nous le confie dans une langoureuse barcarolle très goûtée. C’est sans doute sa conduite avec les Turcs qui explique son costume fait de légères gazes blanches et d’une ceinture dorée, vêtement de peu de garantie contre le froid. Souvenez-vous mademoiselle que :

Bonne renommée vaut mieux que 5 Turcs dorés. Je ne sais pas toutefois si ça tient plus chaud.

Aussi cette jeune personne n’hésite-t-elle pas, dès le deuxième acte, à user de tous ses charmes auprès du capitaine Alvarez Mirko pour lui faire trahir sa patrie et fuir avec lui vers la Corne d’Or, histoire d’en faire porter à Mlle Berthet, la douce Héléna, fiancée du capitaine. Et les voilà partis.

Mais malgré la température, l’affaire a transpiré (la vénarde) ! si bien que Renaud-Askar, un rude laskar, qui a l’air d’un musicien du restaurant roumain, vient rejoindre les fugitifs à la nuit tombante dans une jolie clairière toute pleine d’une douce lumière verdâtre décors de Jambon et scène de reproches avec éclat de cuivres. Il parla avec Mirko un peu de Thou et comme celui-ci-parlait à cinq Mars quand il voulait passer les Pyrénées. Mais il n’y en a plus et au dernier acte le beau capitaine fait la noce sur des coussins turcs pendant que la superbe Tarri exhibe devant lui les charmes de sa belle plastique. Ce qui permet au baryton de tuer le ténor comme il convient dans un bon opéra.

Et voilà.

Ajoutez à cela des soldats monténégrins armés d’immenses fusils qu’ils brandissent avec un ensemble trop parfait, pendant toute la pièce et qui, lorsqu’ils sont fatigués, apportent sur scène chacun un petit tronc d’arbre, puis des servantes aux gages de Mlle Héglon que je servirais bien volontiers sans gages, Gresse en père Sava bien digne en vieux prêtre, mêlez-y un joli lamento de Yamina au deuxième acte, rappelant un peu la cadence des coccinelles de Massenet, plusieurs chants de liberté et servez chaud.

Le diable, c’est qu’il y avait 20 degrés au-dessous de zéro.

Phalène.

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Compositrice, Pianiste, Librettiste

Augusta HOLMÈS

(1847 - 1903)

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Augusta HOLMÈS

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date de publication : 01/11/23