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Les Bayadères de Catel

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Tous les peuples & tous les cultes passent tour-à-tour en revue sur le théâtre de l’Opéra. Après nous avoir montré dans Cortezla religion féroce des Mexicains & leur vilain dieu Vitalipoutzli qui demandait des victimes humaines, on nous transporte aujourd’hui dans l’Inde, & l’on nous occupe du culte beaucoup plus consolant de Bramah, que l’on nous fait voir entouré non de Fakirs, mais de Bayadères. C’est la première fois que l’on met en scène ces collèges de jeunes danseuses consacrées au service des temples comme les Vestales, mais aussi compatissantes par état que les Vestales étaient cruelles. L’auteur lui-même, dans sa préface, en a fait le rapprochement. Au reste, on sait qu’en général l’exception est plus dramatique que la règle ; & la complaisance générale des Bayadères ne doit point alarmer nos lecteurs pour la vertu de l’héroïne de M. de Jouy. Si, dans la Vestale, il a montré Julia faible par exception contraire pour appeler l’intérêt sur elle ; dans les Bayadères il fera l’exception contraire pour nous intéresser à Laméa… Mais ce préambule est peut-être déjà trop long. Voyons comment les choses se passent.

La scène est sur les bords du Gange, dans la ville sainte de Bénarès. Le rajah Démaly, après avoir longtemps éludé la loi qui lui prescrit le mariage, est arrivé au dernier jour du terme que cette loi lui accordait ; il faut enfin qu’il se décide. Les femmes renfermées dans son harem se flattent de fixer son choix ; & cet espoir anime surtout le cœur de trois favorites. L’une est protégée par le ministre du Rajah, l’autre par le chef des Brames, l’autre enfin par l’intendant du harem. Mais Démaly a porté ailleurs sa tendresse, il aime éperdument Laméa, principale bayadère de la grande pagode ; & c’est parce que les lois ne lui permettent pas de la choisir qu’il a toujours différé son mariage. Cependant, il faut bien se rendre au vœu du peuple, & à celui des lois. En vain, Démaly a-t-il représenté à ses ministres que les Marattes commandés par Olkar ont envahi son territoire, qu’ils menacent Benarès, & que ce n’est pas le moment de s’occuper d’hymen & de fêtes. La fête de son hymen commence ; Laméa & ses compagnes viennent l’embellir. Démaly veut s’approcher d’elle ; Laméa le repousse, tombe dans une rêverie profonde, & n’en sort que pour interrompre les jeux & les danses en prophétisant un malheur aussi terrible que prochain. Démaly est alarmé ; mais le chef des Brames le rassure & l’invite à s’aller parer du diadème de Wisnou, riche & précieux talisman auquel est attaché le destin de l’empire, & dont la garde est confiée au prince lui-même, qui sait seul où il est déposé. Démaly avant de sortir voudrait, malgré les lois, nommer Laméa son épouse ; mais il n’en a pas le temps. Un officier vient annoncer que les Marattes attaquent la ville ; & il ne s’agit plus que d’aller les combattre & les repousser.

Ce qu’on vient de lire est l’analyse du premier acte. Au second, nous apprenons que les Marattes sont vainqueurs, qu’Olkar est maître de la ville & Démaly prisonnier. Tout semble perdu, mais Laméa conserve encore quelque espérance. Olkar l’a mandée ; elle croit en deviner la raison ; & dans cette raison elle entrevoit un moyen de rétablir Démaly sur le trône. Bientôt, en effet, Olkar paraît, suivi de ses guerriers ; & à leur grand étonnement, il n’ordonne pas le pillage de la ville. Comme Laméa l’a prévu, c’est le désir d’avoir le bandeau de Wisnou qui l’arrête. Il a respecté les jours de Démaly parce que Démaly seul peut le lui livrer ; & ce rajah malheureux ayant refusé de le faire, quoique menacé des tourments & de la mort, Olkar s’adresse à Laméa dont il connaît l’ascendant sur l’esprit du prince, & l’engage à lui dérober son secret. C’était-là précisément ce qu’attendait l’adroite et courageuse Bayadère. En feignant d’entrer dans les desseins d’Olkar, elle se procure une entrevue avec Démaly dont elle raffermit le courage, bien loin de lui conseiller une lâcheté. Revenue près d’Olkar, elle lui persuade qu’elle sait maintenant où est déposé le sacré diadème ; mais pour ne pas révolter le peuple s’il le voyait enlevé, elle conseille au Maratte d’accepter une fête que les Bayadères vont lui donner ; pendant que les vainqueurs & les vaincus s’occuperont de ce spectacle, choisissant un moment favorable, elle ira, dit-elle, s’emparer du précieux bandeau. Olkar adopte d’autant plus aisément ce projet qu’il a senti le pouvoir des attraits de la Bayadère, & tout succède aux vœux de Laméa. Ses compagnes mettent tout en usage pour séduire leurs farouches vainqueurs, les chants, les danses, les jeux, les parfums, les liqueurs enivrantes & les agaceries plus enivrantes encore. Laméa observe les progrès de la séduction & donne à mesure des ordres à quelques chefs indiens qui se tiennent auprès d’elle déguisés en joueurs d’instruments ; enfin l’ivresse des Marattes est au comble : les Bayadères les débarrassent de leurs armes dont elles se servent d’abord pour exécuter une danse nouvelle, & qu’elles font bientôt passer dans les mains plus robustes des Indiens de leur parti. Laméa s’échappe, non comme le croit encore Olkar pour aller chercher le diadème qu’il convoite, mais pour faire allumer des feux qui donneront le signal de la vengeance. En effet, elle ne tarde pas. On vient annoncer à Olkar que Démaly est libre & s’approche pour l’attaquer. Il s’aperçoit trop tard qu’il est sans armes ainsi que ses compagnons. Surpris comme Démaly au premier acte, il quitte comme lui les fêtes pour voler au combat ; l’acte finit & l’on se doute bien que, dans l’autre acte, Olkar, à son tour, sera vaincu & fait prisonnier.

Il semble que rien au troisième acte ne devrait plus s’opposer à l’hymen que Démaly désire. Les ministres ennemis de la bayadère ont perdu tout crédit pour leur imprévoyance, & le service que Laméa vient de rendre au prince, semble la mettre au-dessus des lois. Mais elle les respecte encore ; Démaly ne peut se résoudre à les violer, & il est obligé d’employé la ruse. Au moment où les femmes du harem rassemblées se préparent de nouveau à disputer sa main, on vient leur annoncer qu’une blessure que le prince a reçu dans le combat & qui paraissait légère, vient d’être reconnue mortelle, parce que le trait est empoisonné. Un nouveau chef des Brames ajoute que, si le prince meurt avant d’avoir satisfait à la loi de Brama par le choix d’une épouse, le dieu ne lui ouvrira point les portes du ciel, & que Démaly est prêt à reconnaître pour sa femme celle qui, en lui donnant la main sur son lit de mort, se dévouera à partager aussi son bûcher funèbre pour entrer au ciel avec lui. Cet hymen, tout glorieux qu’il est, ne tente point les favorites. Elles gardent le silence, & Laméa se présente pour les remplacer. Mourir avec Démaly, emporter au tombeau le nom de son époux, lui paraît le premier des biens. On accepte son sacrifice ; on la pare du voile nuptial & funèbre ; elle croit marcher au fatal bûcher ; mais alors le théâtre change ; elle voit Démaly assis sur le trône dans toute la splendeur de son rang, & ne peut plus rétracter les serments qu’elle vient de lui faire.

Il est aisé de voir à présent que ce poème ne manque ni de mouvement, ni d’intérêt. On doit surtout sentir combien il prête à la pompe, à la variété du spectacle ; combien il fournit de motifs heureux aux ballets ; aussi peut-on dire qu’après tant d’opéras magnifiques joués depuis quelques années, les Bayadères étonnent & charment encore par leur magnificence & leur nouveauté. Cependant cette même nouveauté (& l’on a pu s’en apercevoir à la longueur de notre analyse), n’est pas tout-à-fait sans inconvénients. Un sujet inconnu pris dans des mœurs presque inconnus donne des décorations nouvelles, des costumes, un spectacle tout à fait nouveaux ; mais ces mœurs, ces lois, ces coutumes ont besoin d’être expliquées ; cela est difficile à l’Opéra, même dans le récitatif, & il en résulte de l’obscurité pour les spectateurs, du moins aux premières représentations. Une autre observation, que nous croyons devoir présenter à M. Jouy, c’est qu’on s’aperçoit trop peut-être qu’il a puisé son opéra à deux sources différentes : qu’un conte de Voltaire lui a fourni les deux premiers actes & la mythologie indienne le dernier. Il nous semble que celui-ci ne se rattache point assez nécessairement aux deux autres. L’auteur lui-même, il est vrai, nous révèle dans sa préface, la double origine de son ouvrage, & sa franchise est digne d’éloges ; mais elle n’aurait rien perdu de son mérite, s’il avait mis plus d’unité dans l’exécution. Peut-être, au reste, serait-il encore temps de remédier à ce défaut, qui, d’ailleurs, n’a pas semblé nuire au succès d’un ouvrage aussi distingué, & dont les vers vraiment faits pour le chant, rappellent tout le talent de l’auteur de la Vestale.

La musique des Bayadères ne nous arrêtera pas longtemps. Elle est sans doute aussi savante, aussi harmonieuse qu’on devait l’attendre d’un professeur du Conservatoire. On voit même que l’auteur a eu l’intention de la rendre dramatique, de l’adapter constamment aux situations. Mais, pour remplir tout-à-fait son but, il aurait fallu joindre au goût & au savoir plus d’originalité & plus de verve. C’est principalement dans le troisième acte qu’il nous a paru en manquer. Les deux premiers, le second surtout, se soutiennent mieux, soit qu’en effet la musique en soit meilleure, soit qu’occupé de l’action & du spectacle, satisfait du poète & du chorégraphe, l’esprit ne demande au musicien que de les accompagner. M. Catel remplit en effet ce devoir, mais sans passer outre. Rien ne déplaît dans sa composition, mais rien ne frappe ; & lorsqu’on veut se rappeler des airs, des passages à citer, à peine retrouve-t-on l’air de Laméa au second acte : Sans détourner les yeux, & quelques fragments de récitatif modulé avec beaucoup d’art, & que la voix délicieuse de Mme Branchu embellit encore d’une nouvelle grâce. On sait, au reste, qu’il est plusieurs causes de succès pour un opéra. Celui des Bayadèresn’a point été douteux ; il est dû à l’intérêt, au mouvement du poème, à la magnificence du spectacle, à la beauté des ballets. Ceux du second acte ont surtout charmé les spectateurs. Les Bayadères, tantôt avec leurs schalls, tantôt avec les armes des soldats marattes, mêlées tantôt à ces soldats qui exécutent des danses militaires, tantôt à celles de leurs compagnes qui forment les chœurs, ont fourni à M. Gardel des tableaux aussi riches que variés, aussi nouveaux que gracieux ; ils n’ont rien laissé à désirer que la présence de Mme Gardel, qu’une indisposition tient depuis plus d’un mois éloignée de la scène.

Nous serions injustes & notre énumération serait en quelque sorte incomplète si, parmi les causes qui ont contribué au succès complet de cet ouvrage, nous ne citions particulièrement les décorations peintes par M. Isabey ; la première & la dernière sont des chefs-d’œuvre ; toutes ont le mérite singulier d’être dans une harmonie parfaite avec les couleurs des habits des acteurs.

Les principaux rôles sont remplis par Mme Branchu, Derivis & Nourrit. Mme Branchu a été digne dans le sien de toute sa réputation comme cantatrice & comme actrice. Les belles voix de Nourrit & de Derivis sont connues, ainsi que leur méthode et leur goût.

G.

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Compositeur

Charles-Simon CATEL

(1773 - 1830)

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Étienne de JOUY

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date de publication : 15/09/23