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À l'Opéra. La Montagne noire

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À l’Opéra.
La Montagne Noire, drame lyrique en quatre actes, de Mme Augusta Holmès.

L’action se passe en 1657, pendant la résistance des Monténégrins contre les Turcs.

Au lever du rideau, dans un site sauvage, avec, au loin, sous la neige, les ruines fortifiées de la Montagne Noire, des femmes diversement groupées regardent au dehors, anxieusement, par-dessus les créneaux démantelés.

Héléna est parmi elles. Plus haut, sur un rocher, dominant la scène et se détachant sur le ciel bleu, Dara, appuyée sur un grand bâton, contemple la bataille.

Le canon gronde. À ses sourds accents succèdent bientôt des chants d’allégresse, et tous frémissent de joie enthousiaste. Héléna va revoir Mirko, son fiancé, fils de Dara, et la pauvre mère pleure des larmes reconnaissantes, à la pensée d’embrasser son enfant.

Déjà, au sommet de la montagne, les guerriers paraissent. Guerriers devenus héros. Ils clament leur victoire : le Christ a combattu pour la Montagne Noire, l’ennemi fuit épouvanté.

Un chœur triomphal résonne, pendant que Mirko et son fidèle compagnon d’armes, Aslar, descendent lentement de la montagne. Mirko s’approche d’Héléna et la baise au front ; Aslar s’agenouille, devant Dara qui le bénit.

Puis, le prêtre Sava se tourne vers Aslar et Mirko, qui se sont pris les mains, leur montre le Crucifix et leur fait, prononcer le serment fraternel qui unit à jamais les héros de la Montagne. Et les deux hommes récitent la phrase sacramentale :

Je jure devant Dieu de t’aimer comme un frère
Dans la vie ou la mort, dans la paix ou la guerre

Aslar et Mirko croisent leurs kandjars, que le prêtre bénit ; puis, Aslar attache son épée au côté de Mirko, qui attache la sienne au côté d’Aslar.

Tous les hommes étendent leurs épées nues, en voûte étincelante, au-dessus d’Aslar et de Mirko.

Soudain, аu dehors, retentissent des cris de mort. Les cris vont grandissants :

« À mort ! à mort ! »

Des hommes armés se précipitent en scène par le fond, traînant une femme échevelée, qui se débat entre leurs mains désespérément. C’est Yamina. Elle est vêtue en femme de harem, et couverte de voiles de gaze, à travers lesquels brillent des ornements d’or ; des guirlandes de jasmin la couronnent, en lançant son cou et sa ceinture.

— C’est une Turque ! une espionne infâme ! s’écrient les femmes.

— À mort ! À mort ! hurlent les hommes.

D’un effort violent, Yamina se dégage et vient tomber, par hasard, aux pieds de Mirko. Un éclair de désir a brillé dans les yeux du guerrier. D’un geste impérieux, il ordonne que l’esclave soit délivrée de ses chaînes.

— Que fais-tu ? interroge douloureusement Aslar.

Mirko se tait. Ses yeux cherchent les yeux de Yamina pour s’y noyer longuement.

Déjà Yamina s’est relevée, étalant maintenant au jour sa radieuse beauté et toujours pèse sur elle le long regard de Mirko fasciné.

Et elle chante les chants du désert que lui enseignèrent avec leurs danses les femmes au caftan vert :

… J’ai régné dans les jardins
Des Hassans et des Noureddins
Où s’ouvre la rose pourprée...

Dara vient interrompre ces chants voluptueux. Elle met la main sur l’épaule de Yamina.

— Elle est mon esclave, dit-elle. En ces monts glorieux, elle vivra parmi l’opprobre et la huée !

Yamina baisse la tête. La haine maintenant brille dans ses yeux, mais elle a deviné que Mirko la vengera.

Et tandis que les femmes versent à boire aux guerriers, après avoir chargé les fusils, pendant qu’un groupe de danseurs et de chanteurs, portant des guslas, passe autour des tables, Yamina vient s’agenouiller devant Mirko et lui offre une coupe pleine. Mirko saisit la coupe et boit, puis la rend à Yamina en lui serrant les mains, ardemment penché vers elle.

À cette vue, Héléna, la pâle fiancée, porte les deux mains à son cœur avec un cri étouffé.

Aslar a suivi cette scène avec une douloureuse tristesse.

— Frère ! dit-il à Mirko, il eût mieux valu la tuer tout à l’heure.

Mais Mirko n’entend rien. Il reste les yeux fixés sur Yamina, comme dans une délicieuse extase.

C’est la fin du premier acte.

Le décor du deuxième acte représente un village dans la montagne. Des huttes, des cabanes, une rue, puis un chemin à portée de vue, bordé de sapins au lever du rideau, des hommes en armes sont couchés à terre, par groupes ; d’autres, assis, nettoient leurs fusils ou fument le chibouck.

Mirko sort de sa hutte, regarde autour de lui, puis s’assied, rêveur, sur un banc de pierre. La pensée de la belle Yamina ne le quitte pas. Il sent qu’une vie nouvelle a commencé pour lui : l’amour, pour la première fois, lui est apparu radieux, enivrant, comme radieux, enivrants lui sont apparus les yeux de la femme aimée. Mais en même temps un combat terrible s’engage dans son âme : suivre Yamina, c’est abandonner son foyer, sa mère, sa fiancée ; c’est aussi trahir sa patrie, trahir l’amitié d’Aslar. Le déshonneur est au bout de ce sentier rocheux par lequel il voudrait fuir avec Yamina.

Et Yamina paraît : elle est maintenant vêtue, pauvrement, du costume monténégrin ; elle a gardé la tête nue, les cheveux dénoués, et Mirko la trouve plus belle que jamais. Yamina chante : elle chante Stamboul endormie, les flots bleus et le ciel d’or ; elle chante les heures d’amour passées, et à ces accents enivrants Mirko sent gronder en lui de terribles et ardents désirs. Comme dans un rêve, la voluptueuse sultane a pris les attitudes de la danse d’Orient aux lents balancements. Mirko est vaincu. Le charme a définitivement opéré. Il quittera tout, son pays, les siens, ses compagnons d’armes : il fuira loin, bien loin, avec la fille damnée.

Doucement, caressante, elle l’enlace de ses bras blancs et l’attire vers le sentier. Éperdu, il la saisit, par la taille : une dernière pensée l’arrête, celle de sa mère ; mais les lèvres de Yamina se sont rapprochées de ses lèvres :

— Partons, s’écrie-t-il ! partons vite !

Et, triomphante, l’esclave devenue maîtresse, emporte sa proie.

À ce moment, paraît la pauvre fiancée délaissée. Déjà les fugitifs sont loin. Héléna — comme dans la Maladetta — tombe évanouie au pied d’un rocher.

Les fenêtres du village s’éclairent. Les habitants sortent de leurs demeures. Les cris de guerre des Turcs ont, de nouveau retenti. De tous côtés, hommes et femmes accourent tumultueusement, portant des torches enflammées. Aslar paraît, entouré de chefs et de guerriers. Les chefs de l’Herzégovine jurent de chasser de ces rocs l’impur Croissant.

Cependant, dans l’ombre, Héléna s’est relevée. Maintenant elle raconte la trahison de Mirko. L’indignation est générale. Sombre, farouche, la vieille Dara maudit son fils ; triste, silencieux. Aslar pleure son frère perdu.

Les cris de guerre redoublent. Les fronts se redressent. La bataille va recommencer.

Le décor du troisième acte représente une halte dans la montagne. Partout, la mousse étend son vert tapis que la lune éclaire. Sur un tertre recouvert de mousse également, se profile une croix orthodoxe.

Mirko et Yamina apparaissent enlacés. Yamina, exténuée, marche avec effort.

— Arrêtons-nous, de grâce ! dit-elle.

Mirko l’entraîne vers le banc de mousse sur lequel elle se laisse tomber. Mirko s’agenouille près d’elle et, la prenant dans ses bras, chante à son oreille une douce mélodie d’amour. Bercée par ces tendres accents, la tête sur l’épaule de son amant, Yamina s’endort et Mirko la regarde enivré.

Alors sur les rochers apparaît Aslar. Il aperçoit les amants et s’arrête avec un geste d’épouvante. Une terrible explication a lieu entre les deux hommes. Placé de nouveau entre son honneur et son amour. Mirko hésite longtemps. Enfin, il relève la tête : sa résolution est prise ; il abandonnera Yamina et retournera auprès de ses compagnons d’armes.

Mais une dernière fois, il veut embrasser la bien-aimée. À ce baiser Yamina se réveille, et, pour ne pas faire mentir le proverbe célèbre, devient terrible. Elle s’arme d’un poignard et frappe Aslar au cœur. Le guerrier, mortellement blessé, tombe, et, aux cris de Mirko, les Monténégrins accourent.

Mirko va se dénoncer, mais avant d’expirer. Aslar déclare solennellement qu’il a été surpris par les Turcs, que Mirko l’a défendu…

Grâce à ce généreux mensonge, Mirko est sauvé.

Au quatrième acte, le rideau se lève sur une ville, près de la frontière turque. Derrière les remparts, on voit un jardin éclairé par les étoiles. Partout, sous des arbres, dans des massifs de fleurs, des femmes demi-nues sont étendues. Mirko est couché sur des coussins et des peaux de bêtes. Yamina, accoudée derrière lui, le regarde en souriant. Sur un geste de Yamina, toutes les femmes se lèvent en laissant tomber leurs voiles, et s’avancent lentement, enlacées par groupes. Mirko les regarde un moment puis retombe, accablé. On lui verse à boire, il vide sa coupe coup sur coup.

L’ivresse bientôt le gagne, tandis que les femmes continuent à tourbillonner autour de lui.

Tout à coup, Yamina pâlit. Un homme vient d’entrer. C’est Aslar. Il parle, et au son de sa voix, Mirko s’est levé en chancelant, luttant désespérément contre son ivresse.

Peu à peu, cependant, il reprend ses sens ; maintenant, il reconnaît son frère d’armes. Aslar lui apprend qu’une bataille suprême va se livrer contre les lui et il supplie une dernière fois Mirko de prendre les armes et de le suivre dans la mêlée.

Au-dehors, des rumeurs formidables se font entendre. Toute la scène s’éclaire d’une lueur d’incendie. Des femmes, affolées, traversent la scène en poussant de grands cris.

Yamina s’enfuit, emportant de l’or et des joyaux dans ses voiles.

— Vois, elle fuit, la misérable ! dit Aslar à Mirko. La suivras-tu encore ?

— Oui, je la suivrai encore ! s’écrie Mirko.

Aslar cherche une dernière fois à le retenir.

Viens, tu me suivras ! Viens combattre.

— Non ! non !

— Eh bien, donc ! meurs.

Et il le frappe au cœur.

La fusillade éclate au-dehors. Aslar tombe, tenant encore Mirko dans ses bras.

Tout s’écroule dans les flammes. L’épaisse fumée rougeâtre, qui tout à l’heure emplissait le fond de la scène, se dissipe, laissant voir les remparts de la ville conquise.

Le dernier tableau est court. C’est l’aube. Les hommes de la Montagne-Noire, triomphants, sont groupés sur les murailles à demi écroulées. Ils brandissent des épées et des étendards troués de balles, en poussant des cris de victoire. Au sommet du rempart, au milieu de la scène, l’étendard monténégrin flotte au vent.

Pendant les fanfares de victoire, d’autres hommes paraissent sur la brèche des murailles et désignent le dehors avec des gestes et des cris. Les hommes en scène se précipitent vers le rempart. On distingue : « Nos chefs ! morts ! Tous deux ! » parmi les clameurs. Quatre guerriers portent les corps d’Aslar et de Mirko. Les autres guerriers les suivent, lе fusil renversé. Mirko a la poitrine rouge, Aslar le front sanglant.

Les deux corps sont déposés sous l’étendard. Tous se découvrent, puis on étend sur eux un drapeau monténégrin. Le prêtre Sava les bénit.

Le soleil se lève, glorieux. Tous les hommes étendent leurs épées en voûte étincelante sur les corps d’Aslar et de Mirko.

Tel est le livret de Mme Holmès. On y trouvera plus d’une scène touchant de près à l’action de Pour la Couronne, mais il ne faut pas oublier que l’œuvre de Mme Holmès remonte à l’année 1882.

À cette époque, l’auteur porta son ouvrage à M. Carvalho qui ne put le monter. La Montagne Noire ne devait voir le jour que treize ans après. C’est le sort de nos compositeurs.

La partition de Mme Holmès se distingue par une qualité maîtresse : la sincérité. On y chercherait en vain la preuve de l’admiration vouée à Glück et à Wagner — ou l’horreur de la formule ancienne personnifiée par Rossini et Meyerbeer. Mme Holmès n’a écouté que son propre tempérament qui, tantôt la retenait dans des sentiers chéris, inoubliables, tantôt la poussait vers un horizon plus vaste, sans souci des fatigues de la route. Une femme, d’ailleurs, en art, aussi bien que dans toutes autres choses, ne saurait être de parti pris : elle est forcément éclectique, subissant peut-être plus fortement que nous l’influence des sensations éprouvées. Ce sujet m’entraînerait trop loin ; il est prudent de revenir à la Montagne Noire.

Les mélodies y coulent abondantes, intarissables, du commencement jusqu’à la fin, sous forme d’airs, duos, trios, chœurs et ensemble.

Au nombre des morceaux tout particulièrement séduisants, je citerai au premier acte le duo des deux guerriers, Aslar et Mirko, l’air de Yamina :

Parmi les fleurs et les odeurs.

Au deuxième acte, la rêverie de Mirko, les caressantes mélodies de Yamina rappelant son pays perdu, le chœur final.

Au troisième acte, le duo d’amour entre Mirko et Yamina, d’une douce, poésie, la scène entre les deux hommes, les imprécations de la belle esclave :

Chrétiens maudits, je vous défie !

Au quatrième acte, le chœur :

C’est ici le jardin du rêve ;

le dernier duo entre Mirko et Aslar, enfin la prière de Sava :

Voici les frères morts ensemble.

L’interprétation de la Montagne Noire est remarquable. Dans le rôle de Yamina, Mlle Bréval se dépense tout entière. Aussi bien par sa beauté sculpturale que par les accents troublants de sa voix si généreuse, Mlle Bréval donne à ce rôle une saveur singulière, un charme indéfinissable qui vous saisit et vous étreint doucement, comme dans un rêve délicieux.

La radieuse Valkyrie, l’impassible guerrière qui chevauche dans les nues a fait place à une sultane amoureuse, aux accents caressants et enveloppant. Avec son profil de statue, ses grands yeux où flambent on ne sait quelles étranges lueurs, ses lourds cheveux d’or aux mystérieux reflets, sa bouche impérieuse d’où s’échappe un sourire las et hautain, elle incarne merveilleusement la fatale héroïne de la Montagne Noire.

Encore que le rôle soit écrit dans un registre un peu trop grave pour sa voix, Mlle Bréval en tire de merveilleux effets, avec des résonances de métal, claires et pures dans les notes aiguës, une profonde expression dramatique dans les notes graves.

Ajoutez, dans le jeu de l’artiste, une pointe de modernisme intense, et vous aurez une idée de la superbe création que vient de faire Mlle Bréval.

Le rôle de Dara est tenu avec une rare autorité par Mme Heglon, dont le superbe organe et le jeu dramatique ont été, cette fois encore, admirés de tous.

Mlle Berthet est une tendre et touchante Héléna, — j’allais dire Michaëla, tant la pauvre petite monténégrine me rappelle la figure de la triste rivale de Carmen.

M. Alvarez chante toujours délicieusement, et M. Renaud tient avec puissance le rôle d’Aslar. La mise en scène est somptueuse. La Montagne Noire est montée avec ce soin artistique dont M. Gailhard a si grand souci. Décors et costumes sont du plus pittoresque effet.

Le Monténégro sera content de la direction de l’Opéra.

Georges Street.

Personnes en lien

Compositeur

Georges STREET

(1854 - 1908)

Compositrice, Pianiste, Librettiste

Augusta HOLMÈS

(1847 - 1903)

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La Montagne noire

Augusta HOLMÈS

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Augusta HOLMÈS

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date de publication : 01/11/23