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Namouna de Lalo

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Opéra. — Namouna, ballet en 2 actes et 3 tableaux de M. Nuitter, chorégraphie de M. Petipa, musique de M. Ed. Lalo.

C’est le soir, à Corfou. Des seigneurs jouent. Adriani se distingue par sa malchance ; il perd tout, jusqu’à Namouna, son esclave favorite. Le gagnant, Ottavio, donne généreusement à l’esclave une poignée d’or – et la liberté. Elle en profile pour envoyer promener Adriani, qu’elle n’aime pas, et qui jure de se venger.

La première fois qu’il se retrouve avec Ottavio, il le provoque. Une bouquetière vient se jeter au travers de leurs épées et, à coups de roses et d’œillades, parvient à les séparer. Cette bouquetière est Namouna. Il n’en faut pas plus pour qu’un seigneur devienne amoureux d’une bouquetière, dans un ballet.

Namouna, grâce à cet amour et au trésor gagné à Adriani, rachètera le plus d’esclaves possible. Elle se rend, avec Ottavio, dans une île de l’Archipel où les esclaves attendent l’acheteur, sous l’œil paternel et négociant du marchand Ali. Une cassette de sequins, et l’affaire est conclue : le joli troupeau est lâché.

Mais une tartane vient de déposer sur la rive l’entêté Adriani et quelques hommes de mauvaise mine qui ne tardent pas à s’emparer d’Ottavio et de sa compagne. Il faut célébrer cette victoire par des danses et des libations ; les esclaves délivrées par Namouna s’en chargent et versent dans le vin un de ces narcotiques dont l’Orient a la stupéfiante spécialité. Nous touchons au dénouement ; les hommes de mauvaise mine ne tiennent plus debout et leurs prisonniers leur échappent des mains ; Adriani, grisé par le vin et la vue de tant de femmes à la fois, titube et tombe en blasphémant, pendant que la belle esclave, escortée de ses amies, s’embarque avec son bel Ottavio, pour des régions où son ennemi ne l’atteindra pas.

Le compositeur qui s’est inspiré de ce conte, pour écrire une partition curieusement ouvragée, est M. Lalo. Les délicats le connaissent et l’apprécient, si la foule n’a pas encore salué son nom de ses hourrahs.

La malchance l’a poursuivi avec autant d’acharnement que son seigneur Adriani : il écrit un opéra qu’il présente ingénument à un concours ; on lui préfère je ne sais quel ouvrage informe, dont le titre et l’auteur sont déjà oubliés ; l’épave du concours est recueillie au théâtre de la Monnaie à Bruxelles, espoir rêvé des compositeurs impatients ; on le met en répétition, on dessine les costumes, en brosse les décors, Fiesque va voir le jour de la rampe ; la direction s’effondre avant la pièce. Le compositeur rebondit au théâtre lyrique Vizentini, avec une autre partition, moins cahotée, le Roi d’Ys on va le jouer : le théâtre lyrique s’évanouit.

Voyant que le théâtre lui échappe, le musicien cherche au concert le succès qu’il s’y promettait ; il l’y trouve, et l’estime des connaisseurs le récompense dignement de son courage et de sa foi. Sarasate court l’Europe avec sa symphonie espagnole, qu’on acclame partout où il la joue ; un autre virtuose, le violoncelliste Fischer, enlève à la pointe de l’archet le succès de son concerto. Puis c’est le Divertissement que l’on applaudit chez Pasdeloup autant que la Rhapsodie norvégienne ; et M. Lalo est désormais classé parmi les maîtres français qui jouent avec le plus de bonheur et de talent de ce puissant instrument qu’on appelle l’orchestre.

Il n’en fallait pas autant pour que le directeur de l’Opéra songeât enfin à accueillir un ouvrage signé de son nom. Quel que soit le sort réservé à cette Namouna, qui ouvre à M. Lalo la porte du théâtre, il faudra savoir gré à la direction de l’Opéra de l’avoir sollicitée et montée avec cette conscience et ce luxe. On trouvera sans doute que le compositeur s’y montre parfois un peu gêné : cet esclavage, où sa libre muse est tenue par ce marchand de rhytmes qui s’appelle un maître de ballets, ne laisse pas son imagination vagabonder dans cette fantaisie qui lui plaît. Le symphoniste a les ailes coupées par le chorégraphe, son ennemi né, et sa pensée ne suit pas sans entrave son développement naturel, dans cette collaboration entre-chat et chien, où le musicien doit rogner et ajouter, selon le nombre de mesures qu’on lui commande… sur mesure. À ce dur métier, M. Lalo a succombé par moments, et l’on sent, dans sa partition, à certains passages, le croc-en-jambe, qui a fait choir son idée, mélodique ou harmonique.

Malgré tout, Namouna a encore de quoi satisfaire les raffinés de bel art, et l’on y trouve des pages exquises comme le tendre duo mimé par Ottavio et Namouna, la pittoresque sérénade à Héléna, la scène délicieuse du réveil des esclaves et des pages tumultueusement gaies, comme la scène du Carnaval à Corfou, avec ses fanfares, éclatant comme des pièces d’artifices sonores dans le tohu-bohu d’une fête populaire.

Le ballet est mimé avec esprit par MM. Mérante et Pluque ; Mlle Sangalli s’y montre égale à elle-même, toujours audacieuse et nerveuse, mais manquant de cette souplesse élégante et de cette grâce féminine qui font le charme et le succès de sa rivale, Mlle Rosita Mauri.

Mentionnons la gentille apparition de Mlle Subra, en esclave blonde, et le pittoresque a parte de Mlle Mercédès en négrillone frétillante.

La mise en scène est digne de notre première scène lyrique ; il y a, au dernier acte, un décor ruisselant de lumière et de gaité, qui est la joie des yeux, quand, le rideau se levant, laisse voir, couché sur la grève, le joli troupeau des esclaves dormant bercé par la brise de mer, sous le battement rhytmé des grands éventails de plumes.

Personnes en lien

Compositeur

Édouard LALO

(1823 - 1892)

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Namouna

Édouard LALO

/

Charles NUITTER

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date de publication : 18/09/23