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La Montagne noire d’Holmès

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LES PREMIÈRES

Académie nationale de musique. — La Montagne noire, drame lyrique, en quatre actes, poème et musique de Mme Augusta Holmès.

L’exemple est presque unique d’une femme capable de concevoir, de composer, d’achever un grand ouvrage musical et parvenant à le faire accepter par le théâtre de l’Opéra. Je ne citerai que pour mémoire l’Esmeralda, de Mlle Bertin, jouée à l’Académie nationale, il y a presque un demi-siècle, en 1836.

Si l’on considère qu’Augusta Holmès écrivit, non seulement la partition, mais aussi son livret, notre respect s’accroît pour ce double effort de poésie et de musique, pour la foi et la persévérance de l’artiste, pour la continuité du labeur, pour tant de difficultés vaincues. Quelle patience, quelle constance ! ne faut-il pas à un musicien pour conquérir la scène de nos théâtres subventionnés ! Combien de généreux tempéraments sont restés sans emploi ! Combien de puissants artistes, comme Lalo et Chabrier, n’ont vu leurs œuvres sur la scène qu’au seuil de la vieillesse, au déclin de la vie, quand la mort planait sur eux ! Rappelez-vous l’admirable maître César Franck, qui n’eut même pas la joie de savoir son Hulda communiquée au public.

Tous les obstacles de mauvaise volonté, de routine, de crainte, qui s’élèvent contre les nouveautés se sont certainement décuplés alors que le musicien était une femme. Je m’émerveille qu’Augusta Holmès ait été assez énergique pour les surmonter. Le stage indéfini aux portes des théâtres lyriques qui découragea tant de vaillants ôte de leur virtualité aux élus. À force d’attendre, ils ont été dépassés ; naguère hardis, ils paraissent surannés. Leur œuvre était avancée au moment de sa conception : elle semble retardataire, — après maintes années de halte, — au soir de sa divulgation.

Toutes les compositions ne prétendent pas à l’éternelle durée : l’influence de la mode et de l’esprit ambiant s’y confondent avec l’inspiration originale. Dix ans plus loin, les variations du goût marquent fâcheusement les modalités de la forme. Lors est comme éventée l’originalité de l’auteur et, dépassé par les tendances nouvelles des dilettantes, ce qu’il y avait de hardi en lui rétrograde.

Ainsi, sur la foi ou la réputation de symphonies déjà lointaines, les Argonautes, Irlande, d’après les préférences artistiques d’Augusta Holmès, on attendait d’elle une composition dans l’esprit et la forme du drame lyrique. On la croyait d’autant plus imbue des théories wagnériennes qu’à l’exemple du maître elle identifiait les vers et la musique en écrivant elle-même son poème. On a donc éprouvé quelque déception à l’audition. D’abord, selon l’esthétique nouvelle, le drame musical doit être la mise en action du mythe qui contient les personnages typiques, les passions éternelles de l’humanités dépouillés de toute contingence et de caractère transitoire. Or, sous la dénomination de « drame lyrique », nous assistons à un opéra romanesque et sentimental, à la lutte de l’amour contre l’amitié et le patriotisme, au conflit de la passion et du devoir de la féminité et de la force brute, Mars et Vénus. Si c’est là du symbole, nous l’avons trop vu !

En se reportant à l’époque de la composition de la Montagne noire, il y a une douzaine d’années, on apprécie mieux l’effort d’Augusta Holmès pour se dégager des airs, des duos, des trios, des ensembles formulés à l’italienne ; on rend justice à la trame serrée de l’orchestre symphonique, on y suit le retour des motifs caractéristiques. Mais pour peu que nous comparions au drame lyrique réel, tel que nous le comprenons aujourd’hui, cet opéra intermédiaire, il est impossible de ne pas percevoir combien il est asservi aux anciennes formes de musique théâtrale. Le chant scénique n’atteint pas à la déclamation lyrique ; il ne s’élargit ni ne s’amplifie dans l’expression ; il se développe en molles cadences, balancées sur les cordes de l’orchestre, et son point culminant est la romance. S’il tâche de retentir aux passages guerriers, il manque presque partout d’accent et de puissance rythmique, il s’écoule dans une vague mollesse, conforme à la couleur orientale du sujet. Aussi la partie gracieuse, les scènes de passion sensuelle l’emportent-elles sur le conflit dramatique ; elles dominent l’action qui verse dans une monotonie langoureuse. Durant le premier et le deuxième acte, les chœurs tiennent une place importante, chœurs selon la formule de l’ancien opéra, sans nul emploi dramatique… Sunt verba et voces

L’orchestre, d’une matière fluide et incertaine, roule des combinaisons harmoniques bien plus qu’il n’associe et ne relie des idées musicales. Certainement il n’arrive point à définir l’une des protagonistes, ni à déterminer les éléments du drame et les mobiles des passions agissantes. Le seul rappel des motifs ne suffit pas et c’est une indication maintes fois exercée, sans grande signification. Ce qui importerait, c’est la transformation du thème initial aux progrès du drame, c’est la fusion du leit-motiv avec les thèmes particuliers marquant les corrélations des personnages, leurs crises, le heurt des intérêts et des passions opposées. Telles sont les acquisitions nouvelles qu’on souhaiterait dans cet orchestre, de facture élégante, dénué d’énergie instrumentale et d’ingéniosité rythmique.

Il semblerait qu’il y ait injustice de soumettre la Montagne noire à l’épreuve d’une esthétique et d’une technique déterminées, mais Augusta Holmès ne nous y incite-t-elle pas par sa revendication de « drame lyrique » ? Il règne une contradiction flagrante entre son inspiration et son intelligence, entre ses affections et ses facultés créatrices. Son tempérament est antidramatique ; il se manifesta en d’ardentes et délicieuses romances, et c’est leur souffle caressant qu’on respire encore aux meilleurs endroits de son opéra sentimental. Nul doute que Richard Wagner n’ait impressionné la vibrante artiste : il y paraît en plus d’une réminiscence non dissimulée ; mais, quoi qu’elle fasse, son vrai maître, c’est Massenet dont elle subit l’empreinte visible dans le style et la coulée de la phrase musicale.

C’est donc par les qualités toutes féminines, par les dons de grâce et de charme, par l’ardeur amoureuse et l’impétuosité sensuelle, et aussi par la morbidesse, la couleur orientale que l’opéra d’Augusta Holmès peut intéresser. N’y cherchez point un idéalisme de conception, une action originale, la diversité de ton, de couleur, d’accent, de rythme. Poème et musique s’accomplissent uniformément dans la demi-teinte pareille à la pénombre du sérail d’où sortit l’héroïne.

Le sujet confine à celui de Pour la Couronne présentée en ce moment à l’Odéon. Il s’achève dans une province des Balkans, parmi les Turcs et les chrétiens, comme la tragédie de Coppée.

Ici le pays est le Monténégro et, comme dans toute turquerie, il se trouve une esclave, et l’esclave séduit le maître à qui elle doit la vie. Yamina la houri, la fille de plaisir des infidèles, séduit le vaillant guerrier Mirko. Elle lui fait oublier et sa fiancée, la douce Héléna, et Dara, sa mère chérie, et ses devoirs d’homme et sa foi de chrétien. Elle l’entraîne dans des jardins délicieux où, nouvelle Armide, elle l’enivre de voluptés, elle l’épuise, lui ôtant le courage et la raison. Mais Aslar, le frère d’armes de Mirko, vient disputer le déserteur à sa séductrice. Hélas ! c’en est fait de Mirko ; il est amolli, émasculé ; il n’entend plus les paroles de son ami, il ne respire que Yamina. Son courage même est aboli ; il a peur de mourir ; il ne veut plus combattre avec ses compagnons qui courent sus à l’infidèle. Alors Aslar poignarde son triste frère d’armes et, atteint par une décharge de mousqueterie, tombe mort sur le cadavre de Mirko.

Le premier acte avec les chœurs d’hommes et de femmes au retour des soldats vainqueurs contient le duo d’Aslar et de Mirko, leur serment de frères d’armes béni par le récitatif du père Sava, le pope. Puis c’est l’arrivée de Yamina prisonnière et sa romance troublante et charmeresse, très jolie au piano pour soprano ; enfin, le chœur : « Buvons à la Montagne Noire », parmi les danses accompagnées de guzla. Le second acte contient deux scènes en romance où Yamina achève de séduire Mirko ; mais le duo entre le jeune homme et Helena, sa fiancée, est peut-être la plus fraîche [sic], du sentiment le plus délicat, de l’émotion la plus discrète et la plus pure entre toutes celles de la partition. Je passe sur le troisième acte et j’arrive au quatrième, dans les jardins d’Armide-Yamina, au milieu de danses voluptueuses et de chants d’une mollesse cadencée, d’une ardeur sensuelle pénétrante. L’orientaliste de la mélodie et du tableau a de quoi plaire et toucher.

Le déjà vu et le convenu des personnages s’accusent par le costume, le décor, et se précisent dans les interprètes qui ne savent pas toujours se préserver d’une pointe de ridicule. Je n’y insiste pas ; j’aime mieux m’en tenir aux qualités vocales de MM. Alvarez, Renaud, et de Mlle Bréval. Pareillement je dirai l’agrément de la voix fraîche, légère et brillante de Mlle Berthet, et je célébrerai les belles notes graves et l’accent dramatique de Mme Héglon.

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Compositrice, Pianiste, Librettiste

Augusta HOLMÈS

(1847 - 1903)

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date de publication : 18/09/23