Théâtre de l'Opéra-Comique. L’Éclair
THÉÂTRE DE I’OPÉRA-COMIQUE.
L’ÉCLAIR, drame en trois actes, paroles de MM. Saint-Georges et Planard, musique de M. Halévy.
(Première représentation.)
Depuis le magnifique succès du Pré-aux-Clercs, succès qui se prolonge d’échos en échos depuis trois ans, l’Opéra-Comique n’en avait pas obtenu de comparable à celui que l’Éclair vient de lui procurer. Paroles, musique, acteurs, actrices, mise en scène : tout a réussi dans cet ouvrage au-delà de ce qu’on pouvait attendis et désirer. On se rappelle que M. Halévy, en s’associant aux dernières inspirations d’Hérold, dans la délicieuse partition de Ludovic, nous avait promis qu’un jour il nous consolerait de sa perte : aujourd’hui la promesse est remplie. Sans se reposer des longues fatigues que la vaste et sévère partition de la Juive lui avait coûtées, il a entrepris, comme en se jouant, un tour de force musical, dont l’idée seule effrayait les plus intrépides, un opéra en trois actes, à quatre personnages, et sans chœurs ! Et il est sorti de l’épreuve avec une facilité, une grâce, une vigueur sans égales. Il a prodigué les mélodies les plus fraîches et les plus heureuses, sans oublier jamais de les soutenir par une harmonie dans laquelle la science disparait sous le charme. Il a surtout retrouvé cet art précieux qui semblait perdu depuis quelque temps de faire de la comédie en musique, d’exciter le rire par des notes, comme les poètes le provoquent par des mots.
Si l’on cherche dans les annales de l’Opéra-Comique, on ne trouvera guère que le Prisonnier, de Della-Maria, dont l’apparition ait réuni des caractères d’innovation aussi marqués dans une voie à peu près semblable, celle d’un retour à la simplicité spirituelle, franche, élégante. Sous le rapport de l’exécution, tous les avantages demeureront du côté de l’Éclair et de M. Halévy ; sa tâche était à la fois plus grande de deux actes, et moins riche en élémens, c’est-à-dire en acteurs. Quant au succès, si l’on peut se fier à l’enthousiasme d’une salle entière, à la première et seconde représentations, si l’on doit croire à ses propres émotions, il n’y aura pas de différence dans la destinée des deux ouvrages, et l’Europe entière se souvient encore de ce que fut la destinée du Prisonnier !
D’une jolie nouvelle de Mme Hermance Lesguillon, MM. de Planard et Saint-Georges ont tiré le drame le plus gracieux et le plus attachant, le plus comique et le plus pathétique qui se puisse concevoir. En voici l’esquisse en quelques mots.
Deux sœurs, l’une coquette et légère, l’autre sensible et passionnée, l’une veuve, l’autre fille encore, vivent aux États-Unis, près de Boston. Un cousin d’Angleterre, écolier de vingt-cinq ans, pédant et naïf, plein de confiance en lui-même, vient pour épouser l’une ou l’autre, peu lui importe. À un instant de là, se présente un étranger, un voyageur, qui déjeune avec le cousin, et lui conte une histoire. L’étranger part, la foudre éclate, et lui brûle les yeux : Henriette, c’est le nom de la jeune fille, arrache à la mort Lionel, c’est le nom de l’étranger. Henriette s’attache à Lionel, le soigne, le veille pendant trois mois : Lionel adore Henriette, sa bienfaitrice, et, tant qu’il est aveugle, rien ne saurait l’abuser sur son compte : il distingue à merveille soit la main, soit la voix de celle qu’il aime. Quand le jour lui est rendu, quand il lève son bandeau, chose étrange et terrible ! il se trompe, il court à madame Darbel, la séduisante veuve, en la nommant Henriette ! Vous comprenez les suites de cette erreur : la pauvre Henriette tombe quasi-morte ; après avoir repris ses sens, elle s’enfuit, ne voulant plus regarder ni sa sœur, ni Lionel, ni personne. Elle ne consent à les revoir que quand sa sœur et Lionel seront unis. Donc, on lui annonce que l’hymen est conclu : et puis, quand elle est revenue, par degrés, par artifice, on la prépare à entendre la douce et bienheureuse vérité : Lionel est encore libre, madame Darbel est encore veuve : Henriette peut épouser Lionel, et madame Darbel épousera Georges, qui va périodiquement et continuellement de l’une à l’autre, trois actes durant, se consolant de toutes les vicissitudes présentes et futures, en répétant cette phrase, que le compositeur a rendue avec un bonheur surprenant :
J’ai fait ma philosophie
À l’université d’Oxford.
Voilà pour le poème, et il sera facile, même d’après cet éclair d’analyse, d’entrevoir les situations variées dont l’opéra de l’Éclair est rempli. Le compositeur a encore surpassé les poètes en variété et en puissance.
Nous n’avons aujourd’hui ni le temps, ni la force d’entreprendre l’analyse complète et raisonnée de cette musique si poétique, si pittoresque, si habilement conçue. Point de foule, point de chœurs. Ces ressources si puissantes d’effet, ont été bannies. Il fallait produire une forte impression avec une grande simplicité de moyens. Ce but, le musicien l’a atteint complètement. Bornons-nous pour le moment à constater un triomphe, triomphe qui a été unanime, grâce aux progrès de l’éducation musicale du public.
La pièce est rendue avec un grand ensemble par mesdames Camoin et Pradher, Chollet et Couderc. Ce dernier a rempli son rôle avec une gaieté pleine de franchise et de bon comique. Chollet et Mlle Camouin jouent et chantent avec beaucoup d’âme et de sensibilité. Mme Pradher est toujours gracieuse. L’orchestre, qui a un emploi non moins important et difficile, s’en acquitte fort bien.
Les noms des auteurs et des compositeurs ont été proclamés au milieu d’un tonnerre de bravos. Pour M. Halévy, le public ne s’est pas contenté de saluer son nom, il a voulu le féliciter en personne. Conduit, ou plutôt traîné par ses quatre interprètes, le compositeur a fait quelques pas sur la scène, puis, se dérobant à leurs mains amies, il s’est enfui dans la coulisse.
Dans notre prochain numéro, nous reviendrons sur cet ouvrage remarquable, après avoir mûrement examiné la partition.
Œuvres en lien
L’ Éclair
Fromental HALÉVY
/Henri de SAINT-GEORGES
Permalien
date de publication : 19/10/23