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Académie royale de musique. Loyse de Monfort

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Académie royale de Musique.
Loyse de Montfort, intermède lyrique en 1 acte, 
Musique de M. Bazin ; paroles de MM Émile Deschamps et Emilien Paccini. 
(Première représentation.) 

Voici deux tentatives artistiques dont on ne saurait trop louer le nouveau directeur de l’Opéra : la résurrection du ballet-pantomime, oublié depuis longtemps à l’Académie royale de musique et de danse, et l’exécution de la scène du Grand Prix de Rome devant un public payant, et qui a le droit de se montrer difficile, de juger. Il a sanctionné par de justes applaudissements – ce qui pouvait fort bien ne pas arriver – l’opinion de MM. Les académiciens en beaux-arts. L’intermède musical de M. Bazin, lauréat de l’Institut, a réussi sur le théâtre de l’Opéra, et va prendre une place agréable dans le répertoire. Loyse de Montfort est une épouse fidèle et courageuse du temps de la ligue, qui – ainsi que madame de Lavalette – sauve son mari de la hache du bourreau, en le faisant évader sous ses habits de femme. Elle dit aux distributeurs de supplices, toujours empressés, sous tous les gouvernements possibles et impossibles, de condamner à toutes sortes de peines, elle dit avec l’éloquence du cœur à ces hommes inhumains :

Les femmes en ce temps prennent le droit de grâce,
Puisqu’il périt entre vos mains !

Cependant il s’opère une petite restauration qui fait triompher la justice et la vertu, Henri IV – Nous prions M. le prole de veiller à ce que le compositeur n’oublie pas l’unité romaine devant le V qui en diminue la valeur, ce qui pourrait nous faire accuser de complot contre la sûreté de l’état, de mépris et de provocation au renversement du gouvernement établi – Henri IV donc, ou Henri 4 de crainte d’erreur, après avoir assiégé, affamé sa bonne ville de Paris, se montre de ses sujets le vainqueur et le père, et rend au comte de Montfort sa femme, sa fortune, son rang, ses emplois et sa décoration de la Légion d’Honneur, comme dirait Levassor. On voit que ce dénouement ne ressemble guère à celui du drame sombre et terrible joué avec tant d’âme et d’héroïsme conjugal par madame de Lavalette en 1815. Messire Albert, ligueur, qui voit déjà une charmante veuve dans Loyse de Montfort, cherche à la consoler, comme Maxime veut le faire à l’égard d’Emilie dans Cinna. A ce moment revient Montfort, l’époux fidèle, non seulement avec sa grâce, son amour, mais avec son armure, ainsi qu’il le dit fort bien. Albert qui le tenait pour mort, ne s’arrange nullement de cette résurrection par raison politique ; il le provoque, et cherche à lui prouver par raisons démonstratives, comme le maître d’armes de M. Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme, qu’il doit lui céder sa femme ; mais le jeune époux royaliste, heureux en tout, fait sauter l’épée de son rival, et, après l’avoir ainsi désarmé, lui pardonne son procédé peu délicat, et unit son chant de victoire à la fanfare lointaine qui annonce l’entrée de Henri de Navarre dans Paris. Cette fanfare est prise d’un mouvement trop lent par l’orchestre, ce qui refroidit la scène ; elle coupe même intempestivement l’effet final d’un bel ensemble de voix. Le trio de provocation et de combat qui avait été supprimé dans la séance à l’Institut, est dramatique et d’un bon sentiment scénique ; il a été bien déclamé par le compositeur. 

La romance chantée par Gaston de Montfort :

Reine des cieux, prends sous ton aile
L’épouse en deuil.

est d’une mélodie suave et distinguée, et accompagnée avec sobriété, ce qui est une qualité louable en un jeune compositeur, presque toujours empresser d’afficher un luxe instrumental. Au reste, on voit que le nouveau lauréat penche vers l’art difficile d’écrire purement et avec effet pour les voix, car son trio, sans accompagnement : C’est l’étoile dans la nuit, est le morceau le plus remarquable comme le plus estimable de sa partition. 

Le duo : Tant d’amour m’entraîne, etc… est empreint de cette mélodie expressive et dramatique dont M. Bazin a puisé le sentiment dans les ouvrages de son illustre maître, l’auteur du Délire et de Montano. La prière de Loyse de Montfort, pendant que Gaston déguisé s’éloigne de la prison, bien que l’accompagnement en trémolo suraigu par les violons nous paraisse un peu commun, est aussi d’une couleur mélodique, religieuse et inspirée. Somme toute, si l’on sent dans la partition de M. Bazin un peu de cette préoccupation, de cette contrainte naturelle dans un jeune homme qui pense en écrivant que des maîtres difficiles sont là, derrière lui, qui vont décider de son avenir ; et si cette préoccupation scolastique, académique, se fait sentir dans son œuvre ; si tout cela manque de cette audace musicale qui jette hardiment sur le papier des chants qui vous émeuvent, vous entraînent, vous transportent, l’œuvre du jeune maestro ne s’en distingue pas moins par un sentiment intime, profond, touchant, distingué ; un style harmonique élégant, pur et suffisamment dramatique. Que notre nouveau lauréat se souvienne cependant qu’il ne suffit pas toujours d’être suffisamment poète ou compositeur, qu’il faut être créateur. 

Roger, de l’Opéra-Comique, qui a dit le personnage de Gaston de Montfort à la séance de l’Institut, s’y est montré chaleureux et plein de sensibilité. Sans être chanteur savant, égal, sûr, il plaît par l’inspiration mi-partie Duprézienne et mi-partie Rubinienne. Marié, qui lui a succédé à l’Opéra dans ce rôle, a plus d’ampleur, mais qu’est-ce que la puissance du son sans l’égalité, première condition de l’art vocal ? Si nous voulons bien consentir à ce que MM. Les chanteurs modernes nous suppriment la vocalisation, la légèreté, la flexibilité, les gruppetti rapides et brillants, comme contraires à l’effet large et dramatique dans l’art du chant, qu’ils veillent au moins à l’égalité des sons, à leur unité de volume, à fondre les unes dans les autres, de manière à leur donner le même caractère de douceur ou d’intensité, les intonations de tête et de poitrine. M. Marié, qui est bon musicien, qui possède de belles cordes dans la voix, mais inégales, ne nous paraît pas très empressé de se livrer à ce travail sur lequel cependant repose tout son avenir de chanteur. 

Dérivis a servi d’interprète au farouche ligueur avec énergie et avec un sentiment de tragédie lyrique inné. Il y a progrès en lui, car il contient mieux qu’il ne le faisait sa trop vibrante et trop large intonation : il sait harmonier sa voix sur celles avec lesquelles il concerte, ce qui est une preuve de goût, de mesure et d’un talent de comédien. 

Quand madame Stoltz aurait collaboré d’inspiration de tendresse conjugale, de dévouement, d’amour, d’inspiration religieuse avec M. Bazin, dans la scène de Loyse de Montfort, elle n’exprimerait pas mieux qu’elle ne l’a fait mercredi passé, comme cantatrice et tragédienne lyrique, ces tumultueux sentiments. Madame Stoltz a l’accent éminemment musical et l’âme dramatique au plus haut degré. Son jeu de comédienne étincelle incessamment de beautés inattendues ; elle jette avec une douleur disperata et un cri des plus tragiques : Et moi, je me tuerai, si tu ne veux partir. Il en est de même de : Il est sauvé ! merci, merci, mon Dieu ! et de l’anxiété sublime de cette femme dévouée dont le cœur est torturé, et qui, haletante d’inquiétude, s’écrie au moindre bruit.

L’écho résonne à mon oreille…
Serait-il possible… on revient !
Le ramènerait-on, - ô douleur sans pareille !
Dans ce cachot qui m’appartient ?

Ces effets scéniques que naguère madame Stoltz n’obtenait souvent qu’au détriment de l’intonation, elle les trouve maintenant et les exécute avec des sons avoués par les oreilles les plus scrupuleuses en fait de justesse. Sa voix s’est posée, elle a pris du corps, et ses cordes de contralto ont plus d’ampleur et de force. Vienne un rôle qui la porte, et madame Stoltz nous rendra Falcon et Malibran. [...]

Henri Blanchard

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date de publication : 19/10/23