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Théâtre royal de l'Opéra-Comique. Reprise de Cendrillon

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THÉÂTRE ROYAL DE L’OPÉRA-COMIQUE.
Reprise de Cendrillon.

Est-ce bien l’intérêt de l’art musical qui préoccupe les administrateurs de nos scènes lyriques à l’époque de la nouvelle ère musicale où nous sommes, et dans les reprises des anciens ouvrages qu’ils offrent au public ? Cela est fort contestable. Donner un joli rôle à madame Darcier, être agréable à un pair de France qui peut, en temps utile, favoriser l’Opéra-Comique de son influence législative ; faire gagner quelque argent à l’arrangeur, quand même, de toute partition, tels sont les motifs réels qui ont fait exhumer celle qui a pour titre : Cendrillon. Si ces motifs ne sont pas très blâmables, ils ne sont pas non plus très louables : ils ont pour inconvénient d’ajourner le goût de la bonne musique, et de maintenir le public de l’Opéra-Comique dans sa prédilection routinière pour les banalités harmoniques. Nicolo Isouard, le compositeur franco-maltais, courtisan de ce mauvais goût, eut, avec quelques mélodies agréables, une instrumentation commune et plate et une connaissance assez juste de la mesure scénique, assez d’adresse pour forcer Boïeldieu et plusieurs autres compositeurs de talent de s’exiler du théâtre de l’Opéra-Comique, et d’y régner sans partage pendant près de vingt ans. Cette domination, quoique ne s’exerçant que sur notre seconde scène lyrique, ajourna les progrès de l’école française ; et si nous signalons ici cette mauvaise tendance rétrospective, c’est que nous voyons le même abus qui se renouvelle, celui de faire vite et médiocrement.

Le prestige féerique, dont on n’avait pas usé depuis fort longtemps au théâtre Feydeau ; M. Etienne dans toute la force et l’éclat de son talent d’auteur dramatique ; deux cantatrices brillantes et rivales, mesdames Duret et Lemonnier, les débuts d’Alexandrine Saint-Aubin, fille d’une actrice aimée, tout concourut à faire obtenir un succès de vogue à l’ouvrage de Cendrillon. Une foule d’imitations, de parodies, de traductions de modes maintinrent pendant fort longtemps ce succès, inouï dans les fastes dramatiques. Son plus beau résultat fut celui de nous valoir la partition de la Cenerentola de Rossini. Il Giovanaccio Maestro, qui avait refait dans la même langue il Barbiere di Siviglia de Paisiello, pouvait bien, certes, refaire la Cendrillon de Nicolo, et personne ne s’en plaignit. Cette Cendrillon française a donc été radoubée en cuivre avec assez d’intelligence et reprise avec succès à l’Opéra-Comique. Le rôle rempli autrefois par madame Duret, et fioriturato assai, a été encore plus orné de fleurs vocales qu’il ne l’était, au moyen d’un nouvel air que madame Casimir s’est fait faire par l’arrangeur, car il y a progrès dans cette profession commerciale. Dans Gulistan, on a mis un morceau de l’auteur ; mais cette fois on n’a pas jugé devoir faire tant de façons. Nous en arriverons bientôt au pasticcio italien, à ces œuvres sans noms dans lesquelles chacun met le sien ou du sien. Il nous tarde maintenant de voir et d’entendre une partition de Gluck revue, corrigée et considérablement augmentée, impasticciala de nouveaux morceaux et d’une nouvelle instrumentation. L’arrangement musical réagit sur la littérature. Il y avait auprès de nous, à la dernière représentation de Cendrillon, un homme de lettres à qui cette rénovation a fait venir la pensée de mettre Cendrillon et les autres contes du bonhomme Perrault en style moderne et romantique, au lieu de ce langage gothique et naïf dans lequel ils sont écrits ; et comme les bonnes idées s’enchaînent, se suivent, ce monsieur, qui, bien que conservateur, tient peu à conserver le respect que l’on doit à la pensée, à l’œuvre du génie, à la propriété nationale, nous a parlé de publier un nouvelle édition du Contrat Social, expurgata, c’est-à-dire débarrassée de toutes ces maximes égalitaires, comme il les appelle, de ces pensées républicaines qui en font un livre de mauvais goût et de mauvais ton. On dit que le carnaval est court cette année ; il n’en est rien : on voit, d’après cela, qu’il se prolonge indéfiniment ; et c’est sans doute sous son influence que MM. Grignon et Sainte-Foy ont donné une si grotesque physionomie aux personnages du baron de Montefiascone et du sénéchal Dandini. Aux représentations suivantes, ils ont cependant modifié leur verve carnavalesque. Si, en politique, comme disait Napoléon, du sublime au ridicule il n’y a qu’un pas, de la jeannoterie au bon comique il y en a plusieurs que ces deux comédiens ont franchis en s’arrêtant au bouffon : c’est bien assez. La comédie de fantaisie, le comique de convention, est ce qu’il y a de plus difficile et de plus rare chez les acteurs, parce qu’il y faut de la création, de l’inattendu, et une audacieuse originalité. Nuls, dans les modernes, n’en ont montré plus que Potier, Odry et Frédéric Lemaître. Madame Darcier a composé le rôle de Cendrillon à sa manière ; elle n’en a pas fait, comme l’actrice qui l’a créé, une petite fille étourdie et bavarde, mais une jeune personne de bonne maison, qui sait, qui dit même à ses sœurs voulant disposer de sa main en faveur d’un sot de basse extraction, qu’elle est aussi noble qu’elles, et qu’elle ne l’épousera point. Gracieuse, sans être trop maniérée, disant bien et chantant avec expression cette jolie petite musique, madame Darcier, secondée d’ailleurs par le luxe des costumes et des décors qui sont très brillants, va refaire un succès de vogue à Cendrillon.

Henri Blanchard.

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date de publication : 21/10/23