Académie royale des beaux-arts. Séance annuelle
Académie royale des beaux-arts.
Séance annuelle.
Si jamais séance de l’Institut fut musicale, c’est assurément celle que l’Académie des beaux-arts a tenue le samedi, dixième jour du présent mois d’octobre. D’abord elle s’ouvrait par une ouverture de M. Bazin : après le rapport sur les envois de Rome, où il était beaucoup question de musiciens, et la distribution des prix, dont les musiciens avaient leur bonne part, on exécutait l’ouverture de Montano et Stéphanie, ce chef-d’œuvre d’un grand compositeur, dont le secrétaire perpétuel, M. Raoul-Rochette, lisait ensuite l’éloge historique. Enfin la séance se terminait par l’exécution de la scène de M. Gastinel, qui a remporté cette année le grand prix de composition.
De l’ouverture de M. Bazin, nous dirons que c’est une œuvre très bien faite et qui n’atteste pas moins le sentiment que l’habitude de l’art d’écrire. Tout y est élégant, ingénieux, mais rien n’y est original, par la raison très simple qu’à cette ouverture il ne manque absolument qu’une chose, un opéra. Les bonnes ouvertures ne peuvent se faire que quand on sait pourquoi, que quand on a devant les yeux, dans la tête, un sujet d’opéra bien déterminé, bien net et, qui plus est, que quand on l’a déjà traité ! Voyez Berton, écrivant, en quelques heures, le matin même de la première représentation de Montano, l’admirable ouverture qui l’autre jour encore a excité l’enthousiasme : en eût-il seulement trouvé la première note, s’il eût essayé de la faire sur une donnée vague, et, pour ainsi dire, à priori ? Notre opinion sur l’ouverture de M. Bazin n’est donc pas une critique : c’est l’appréciation du possible et l’explication d’un fait […].
Le rapport mentionnait avec faveur une messe envoyée par M. Massé ; il invitait M. Renaud de Wilback à se contenter moins vite, à se tenir en garde contre sa facilité ; il donnait des regrets au pensionnaire Roger, enlevé fatalement dès le début de sa carrière ; et voilà en somme tout ce qu’il contenait de relatif à l’art musical.
L’ouverture de Montano servait de prologue à la notice historique rédigée par M. Raoul-Rochette sur la vie et les ouvrages de Berton […].
Restait la cantate du nouveau lauréat, cantate à trois voix et à trois scènes, petit canevas d’une extrême simplicité, petite pièce choisie parmi vingt-cinq autres, et dont l’auteur est M. Camille Doucet. C’est encore une chose prodigieusement difficile à faire et à trouver qu’une bonne cantate. Lorsqu’on a une idée, comment se décider à la perdre dans un travail qui ne doit briller qu’un jour, et de quel éclat ? Comment donner, pour cinq cent francs une fois payés, un sujet qui, sous forme de poème, pourrait en rapporter cent fois autant ? Voilà pourquoi le Velasquez, de M. Camille Doucet, a obtenu la préférence, et voilà aussi pourquoi ce Velasquez ne pouvait inspirer que médiocrement les jeunes musiciens. M. Gastinel s’est ressenti de la froideur de son texte, ainsi que de sa mauvaise disposition. Par exemple Velasquez, le peintre espagnol, chante en présence de Paula, sa sœur adoptive, qui l’aime d’amour sans qu’il le sache, un air qui ne devrait pas être entendu d’elle. Paula, restée seule, en chante un autre qui vaut mieux : elle se plaint de ne trouver que l’amitié d’un frère là où elle chercherait un sentiment plus vif. Don Diego survient ; c’est un jeune seigneur qui voudrait profiter de la solitude de Paula pour la séduire. Tout à coup Velasquez se montre ; on le croyait parti, et il s’était seulement caché. Il chasse le séducteur et reçoit l’aveu de l’amour de Paula. Ainsi finit l’histoire : la musique n’avait pas grand-chose à faire dans tout cela.
Loin de nous l’idée de juger définitivement M. Gastinel sur l’échantillon de sa cantate ; mais il faut le lui dire, l’échantillon est faible et n’annonce rien d’éminent ni pour les voix ni pour l’orchestre. Il peut arriver que M. Gastinel fasse quelque jour preuve d’un grand talent, mais cette preuve, il ne l’a pas faite encore, et en vérité nous nous surprenons toujours à penser que les prix décernés par l’Académie des beaux-arts ressemblent trop à ces primes que l’on paie à certains auteurs pour des ouvrages dont l’avenir est inconnu et qui, au lieu d’un succès d’argent, aboutissent souvent à une chute. Vous couronnez un jeune musicien, vous le sacrez compositeur en plein Institut, et vous ne pouvez en réalité garantir qu’une seule chose, c’est qu’il a appris et qu’il connaît les éléments de la composition. Pour tout le reste, qui peut en répondre, à moins d’une manifestation extraordinaire, qu’il faudrait au moins attendre pour se décider à donner un grand prix ? Et ce que nous disons n’est pas dicté par un système étroit d’économie : la France est assez riche sans doute pour mettre chaque année quinze ou vingt mille francs à une loterie où il y a chance quelconque de trouver un compositeur. C’est dans l’intérêt des jeunes gens que nous parlons : nous souffrons de leurs souffrances, et nous craignons toujours qu’on ne leur en prépare de nouvelles. C’est chose si triste qu’une illusion perdue : on en meurt quelquefois de désespoir ou autrement.
L’orchestre, dirigé par M. Battu, s’est fort bien acquitté du rôle important qu’il avait à jouer dans cette séance. Audran, mademoiselle Delille, de l’Opéra-Comique, Brémont, de l’Opéra, chargés d’interpréter la cantate, ont aussi rempli leur tâche avec beaucoup de charme et d’expression.
P.S.
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Vélasquez (Camille Doucet)
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date de publication : 19/10/23