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Théâtre impérial de l'Opéra-Comique. Psyché

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THÉÂTRE IMPÉRIAL DE L’OPÉRA-COMIQUE.
PSYCHÉ,
Opéra comique en trois actes, paroles de M. Jules Barbier et Michel Carré, musique de M. Ambroise Thomas.
(Première représentation le 26 janvier 1857.)

Tout le monde connaît le joli roman en prose mêlée de vers que La Fontaine a composé sur les Amours de Psyché et Cupidon, d’après la version d’Apulée. Il était imprimé depuis deux ans lorsque le roi Louis XIV demanda à Molière une pièce à spectacle pour les fêtes du carnaval de l’année 1671. Frappé sans doute des ressources de ce sujet mythologique, rajeuni par le bonhomme, Molière se mit activement à l’œuvre ; mais le temps lui manqua, et il eut recours, pour l’aider, à Corneille et à Quinault. Il n’avait ébauché que le prologue, le premier acte, les premières scènes du second et du troisième. Corneille, alors âgé de soixante-cinq ans, écrivit le reste, et retrouva tout le feu de sa jeunesse pour tracer la scène célèbre où l’Amour se déclare à Psyché. Quinault fît les intermèdes, et Lully les mit en musique. Quelle association brillante, et quels antécédents glorieux pour l’histoire de la collaboration !

Cette pièce, qui figure dans les œuvres de Molière sous le titre singulier de tragédie-ballet, fut représentée avec un grand éclat : d’abord à la salle des Machines des Tuileries, et six mois après au théâtre du Palais-Royal. L’Amour était joué par Baron, et Psyché par la Béjart, femme de Molière. À cette époque tout était neuf dans ce sujet, le fond comme la forme, et la réunion de la déclamation, du chant, de la danse et des machines les plus compliquées qu’on eût encore vues, en faisait un spectacle tout à fait digne du grand roi. Sept ans plus tard, Molière n’existait plus, Corneille avait cessé d’écrire pour le théâtre, et cependant Louis XIV voulait être amusé. Les ennemis de Quinault persuadèrent à Lully de faire infidélité à son poète favori, et le Florentin se décida à mettre en musique un opéra de Psyché, qui était le début de Fontenelle, mais qui fut signé par son oncle Thomas Corneille. La ville eut les prémices de cet opéra, qui fut représenté à l’Académie royale de musique avant de l’être à la cour. En 1760, les Amours de Psyché inspirèrent encore un intermède musical à Voisenon et à Mondonville. Puis ce fut le tour de la danse ; Noverre, d’Auberval, Gardel, s’essayèrent successivement sur ce sujet gracieux, et enfin le vaudeville s’en empara, en 1814, pour le traiter à sa manière, ainsi que l’indique ce sous-titre : la Curiosité des Femmes. Cette bluette, de MM. Théaulon et Dartois, était piquante et spirituelle ; mais elle empruntait son principal attrait à sa distribution, exclusivement composée de femmes, et qui mieux est, de charmantes femmes.

Si nous avons cru devoir nous livrer à cette longue énumération de pièces de tout genre issues directement d’Apulée, de La Fontaine et même en l’abbé Aubert, dont le poëme avait été mis à contribution par Gardel, c’est pour constater que le sujet de Psyché, quelque séduisant qu’il soit, avait bien gagné ses droits à la retraite, et qu’il ne fallait qu’un miracle d’invention imprévue et originale pour l’en faire sortir. Peut-être n’offrait-il plus au théâtre d’autre ressource que celle de la réalité greffée sur la fable, et c’est ainsi que, vers ces derniers temps, M. Mallefille a écrit pour le Vaudeville une pièce dont tout l’esprit n’a pu pourtant sauver l’invraisemblance, et que M. Scribe, plus habile ou plus heureux, a fait pour l’Opéra-Comique sa Giralda, au succès de laquelle l’agréable partition d’Adolphe Adam n’a pas peu contribué.

Loin de suivre cet exemple, les auteurs de la pièce nouvelle se sont abstenus bien soigneusement de la moindre invention, et ils ont accepté l’histoire de Psyché, telle que Chompré l’a puisée aux sources dont nous venons de faire l’inventaire. Il y a dans l’ancien théâtre de la Comédie italienne une comédie mêlée d’ariettes qui est due à la collaboration de d’Hèle et de Grétry, et qui, sous le titre du Jugement de Midas, a joui autrefois d’une grande vogue. Le souvenir de cette pièce, dont l’action enjouée a pour pivot l’exil d’Apollon sur la terre, n’est sans doute pas resté étranger au choix et à l’arrangement du sujet de Psyché. Les dieux de l’Olympe s’y manifestent à peu près de la même manière et ils y parlent le même langage. Mais les auteurs n’ont pas assez tenu compte de la différence des époques, des changements survenus dans le goût et les habitudes d’un public habitué à bien d’autres surprises que celles qui résultent de la mise en œuvre pure et simple d’une fable mythologique. Où est le prestige, où est l’intérêt d’une action dont toutes les phases notées et prévues d’avance ?

Notre tâche d’analyste se bornera donc à rappeler le plus brièvement possible à nos lecteurs ce qu’ils savent aussi bien que nous. Psyché, fille du roi de Lesbos, est douée d’une beauté telle que Vénus elle-même en conçoit de la jalousie. La perte de Psyché est résolue, l’oracle a parlé, et la rivale de Vénus est conduite sur la cime d’un rocher pour y devenir la proie d’un monstre, ou, suivant la variante du nouvel opéra, pour être précipitée dans les flots. Mais Éros, ou, si vous le préférez, l’Amour, dont Éros est le nom grec, a vu Psyché et a conçu pour elle une passion extravagante. Il veut l’arracher à la vengeance de sa mère, et il commande à Zéphire d’aller la chercher sur son rocher et de la transporter dans un séjour magique où il ira l’attendre pour l’épouser en secret. Malheureusement, Mercure, chargé de la procuration de Vénus, vient contrecarrer les projets d’Éros, et lui annonce que, pour ne pas trop le chagriner, sa mère consent à ce qu’il épouse Psyché, mais à la condition qu’il ne se montrera jamais à elle et qu’elle appartiendra aux divinités infernales dès l’instant où elle aura vu ses traits. Éros jure par le Styx d’observer la consigne maternelle, et se livre au bonheur d’aimer et d’être aimé dans l’ombre. Cependant, Vénus n’a pas lâché sa proie, et par les instigations de son émissaire Mercure, les deux sœurs de Psyché, que celle-ci a fait venir auprès d’elle et qui portent envie à sa beauté non moins qu’à son bonheur, la décident aisément à profiter du sommeil de son mari pour faire connaissance avec son visage. À peine a-t-elle cédé aux suggestions de ses sœurs qu’Éros disparaît, et qu’elle est elle-même rejetée de son splendide palais pour aller végéter dans un coin obscur de la Grèce. Toutefois, ce n’est pas encore le royaume de Pluton ; et il y a cette petite différence entre la fable et le troisième acte de l’opéra-comique, que la punition de Psyché est ajournée jusqu’au premier baiser de son mari, qui ne se fait pas longtemps attendre. Psyché meurt dans les bras d’Éros ; mais Jupiter, touché des plaintes du dieu de Cythère, la ressuscite presque aussitôt et l’admet aux honneurs de l’Olympe.

Il est trop évident que cette pièce n’a pas coûté de grands frais d’imagination à ses auteurs, car il n’y a pas jusqu’aux sœurs de Psyché et à leurs prétendants, amoureux de cette princesse, qui ne se retrouvent dans La Fontaine et dans Molière. Le seul personnage en apparence nouveau, Mercure, tient la place de Vénus qui ne paraît pas. N’en pourrait-on pas dire autant de la finesse des intentions, de l’esprit du dialogue ? Tout cela est remplacé par une mise en scène splendide, par des décorations et des costumes d’un goût et d’une richesse infinis, par des danses animées et par des machines qu’on croirait empruntées au grand Opéra.

La partition de M. Ambroise Thomas a dû subir l’influence du libretto. Son défaut principal tient à la monotonie et à l’indécision du texte, mais il est racheté par l’élévation et la pureté du style, par une extrême richesse d’harmonie, et par un certain nombre d’inspirations charmantes ; plusieurs morceaux, et notamment les chœurs, portent le cachet du talent incontestable de l’auteur du Caïd et du Songe d’une nuit d’été.

Nous citerons, entre autres choses, au premier acte, l’introduction mystérieuse, où les violons en sourdine accompagnent une charmante phrase dite par les instruments à vent ; l’invocation à Vénus, excellente de tous points ; la mélodie chantée par Éros dans la coulisse, sans autre accompagnement que la harpe et le cor, sur un chœur à bouche fermée dont l’effet est des plus vaporeux ; l’air de Mercure : Des dieux je suis le messager, dont l’allegro est plein de vivacité et de franchise ; la romance de Psyché qu’on a fait redire, et dans laquelle on distingue un très-gracieux dessin d’orchestre, où le pizzicato des violons se marie à merveille aux arpèges de la harpe et à quelques notes discrètes des instruments à vent ; un très-joli quatuor parfaitement dialogué et fort bien approprié au genre de l’opéra-comique ; enfin, un duo entre Éros et Psyché, suivi d’un large et majestueux finale, tout à fait dans le grand style.

Le deuxième acte s’ouvre sur un chœur de divinités champêtres qui est un des joyaux de la partition et qui a été redemandé avec enthousiasme. Ce chœur s’enchaîne avec l’air de bravoure obligé d’Éros, morceau d’étude hérissé de roulades et de vocalises. Les couplets de Mercure, très-simples, viennent former un heureux contraste que le public n’a pas laissé échapper sans l’applaudir. Le chœur qui précède l’entrée de Psyché emploie encore les harpes avec beaucoup de charme ; nous devons aussi des éloges aux traits de violon qui alternent avec les phrases du récitatif de l’air suivant, dont l’allegro agitato ne nous a pas paru répondre à ce brillant début. En revanche, nous ne trouvons rien de plus gracieux et de plus mélodique que le duo d’Éros et de Psyché, terminé par un smorzando de l’effet le plus suave. Nous avons dit que les chœurs étaient généralement très-réussis ; ceux de la fête des fiançailles, enjolivés de danses, ne font pas exception. Que ne pouvons-nous en dire autant de la chanson bachique de Mercure, qui nous a semblé des plus vulgaires.

Le second tableau de ce même acte, presque tout entier en musique, est habilement fait et dénote une grande connaissance de la scène ; mais, à l’exception d’agréables stances chantées par Éros, nous n’y apercevons rien à remarquer. Dans le peu de phrases qui composent le troisième tableau, un très-bon effet d’écho mérite une mention favorable.

Au début du troisième acte, c’est encore un chœur entremêlé de danses, une sorte de bacchanale, toute pleine d’entrain et de mouvement, où l’on distingue une seconde chanson de Mercure, déguisé en disciple de Thespis. Il y a aussi d’excellentes choses dans le duo entre Mercure et Psyché, d’où se détache cette phrase : Vénus, es-tu contente ? L’air qui suit, chanté par Psyché sur la scène, et par Éros dans la coulisse, n’est pas non plus sans mérite. Le duo des deux maris qui ont perdu la mémoire, devenu quatuor à l’entrée des deux sœurs qui ont subitement vieilli, nous a paru un peu vague, un peu confus. Nous préférons l’air de Psyché : Non, ce n’est pas Éros ! Et surtout l’imprécation large et puissante qu’Éros adresse aux dieux au moment où Psyché expire dans ses bras.

C’est Mme Ugalde qui joue Éros, et Mlle Lefebvre, Psyché. Ces deux artistes y font preuve de talent. Est-ce leur faute si l’étendue de leurs rôles oblige à regretter l’absence d’une voix de ténor se mêlant aux voix de soprano et en variant la monotonie ? Il n’y a, en quelque sorte, que celle de Mercure qui tranche avec les voix de femme : Mercure, c’est Battaille, chanteur éminent, comédien rempli d’intelligence, et qui fera bien de le prouver en s’efforçant d’ennoblir un rôle que les auteurs ont un peu trop rabaissé. Quant à Sainte-Foy, Prilleux, Mlle Revilly et Mlle Boulart, le contingent qu’ils fournissent à la pièce est, hélas ! bien modeste, et nous ne pouvons que les féliciter de leur zèle.

Psyché attirera-t-elle la foule ? Nous le souhaitons pour le théâtre qui, depuis longtemps, a concentré tous ses soins sur cette œuvre importante, et dont les efforts méritent d’être largement récompensés.

D. A. D. SAINT-YVES.

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date de publication : 21/10/23