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Conservatoire. Exécution de la cantate

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CONSERVATOIRE IMPÉRIAL DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION.
Inauguration de la salle restaurée. Exécution de la cantate. Ouverture composée par M. Dubois. LES RIVAUX D’EUX-MEMES, comédie. 

La grande salle du Conservatoire, dans laquelle la Société des Concerts a élu domicile, et dont la construction date du premier Empire, jouissait à bon droit de la réputation d’être la meilleure salle musicale de Paris. — C’est un Stradivarius, disait-on souvent pour caractériser son admirable sonorité, qualité d’autant plus précieuse que plus on la désire et plus on la cherche, moins on semble avoir chance de la rencontrer. Mais cette salle si bonne, n’était à beaucoup près ni aussi jolie ni aussi commode ; il devenait indispensable de la restaurer, de la rajeunir, sans en altérer les conditions acoustiques. C’est ce qui vient d’être fait avec autant de convenance que de goût, par les soins de M. Lance, le nouvel architecte du Conservatoire. On aurait peine à imaginer quelque chose de plus élégant, de plus frais, de plus lumineux que la décoration générale de cette vieille enceinte, naguère encore si enfumée, si obscure, et aujourd’hui radieuse comme un jour de printemps. Un coup de baguette, frappé à propos, a opéré ces merveilles : partout la vapeur circule, le gaz brille à larges flots ; dans les loges, des fauteuils élégants ; au parterre, des stalles moelleuses ont remplacé les antiques banquettes. En un mot, la métamorphose est aussi complète qu’il était possible de le désirer. 

Une circonstance heureuse se présentait pour l’inauguration de la salle remise à neuf, et M. le ministre des beaux-arts n’a pas manqué de la saisir. Depuis que ce n’est plus par jugement de l’Institut que sont décernés les grands prix de Rome, l’exécution de la cantate, bannie de la tribune du Palais des Quatre-Nations, cherchait quelque part un asile. L’année dernière, on avait cru pouvoir lui ouvrir les portes du grand Opéra. C’était lui faire beaucoup d’honneur, mais on reconnut bien vite qu’une simple cantate, quel que fût le talent de l’auteur, n’était pas de force à se produire sur une scène habituée aux chefs-d’oeuvre de premier ordre : de plus, on comprit qu’un public qui paie ses places fort cher devait peu se soucier de l’ouvrage d’un élève, malgré la couronne qui ceignait son front.

À l’Institut, l’audition de la cantate était gratuit, et cet avantage ne pouvait se retrouver qu’au Conservatoire, où d’ailleurs tout était en rapport avec la nature de l’œuvre. C’est au Conservatoire que les élèves font leur éducation, et le prix l’emporté par eux ne les met pas tout à fait en dehors de l’école, dont la Villa Médicis n’est en quelque sorte que la continuation. 

Par ces motifs et bien d’autres encore, on décida que la cantate couronnée serait exécutée au Conservatoire, et cette année une séance solennelle a été organisée à cet effet. M. le maréchal Vaillant, ministre de la maison de l’Empereur et des beaux-arts, y assistait dans la loge d’honneur, et près de lui siégeaient MM. Auber, Camille Doucet, le comte de Nieuwerkerke et plusieurs membres de l’Institut. 

Le programme commençait par une ouverture dont l’auteur est M. Dubois, lauréat de 1861, élève de M. Ambroise Thomas, comme le lauréat de cette année. On remarque dans cette ouverture une inspiration très-distinguée, un sentiment poétique, rappelant quelquefois Weber et Mendelssohn ; quelques parties du morceau sont peut-être un peu développées, mais il se termine avec chaleur, avec éclat, et l’ensemble de cet essai symphonique a produit un excellent effet sur l’auditoire, qui l’a salué de ses bravos. 

Les Rivaux deux-mêmes, cette vieille, mais toujours amusante comédie de Pigault-Lebrun, venaient ensuite, et les élèves des classes de déclamation l’ont fort agréablement rendue ; dans le nombre on a remarqué MM. Boucher, Coquelin, second du nom, Mlles Hassenhut et Dunoyer.

Renaud dans les jardins d’Armide, la cantate de M. Camille du Locle, mise en musique par M. Lenepveu, avait pour interprètes Mlle Roze et M. Capoul, de l’Opéra-Comique, et M. Petit, du théâtre Lyrique, jeune trio de chanteurs qui ont parfaitement rempli leur mission. Rarement nous avons entendu cantate aussi bien faite et d’un intérêt musical aussi soutenu que celle de M. Lenepveu. L’orchestre y joue un rôle, non moins que les voix, et son intervention, traité d’une main habile, ajoute au drame musical beaucoup de force, de coloris, d’expression. 

M. Camille Du Locle a bien fait de choisir pour son œuvre des personnages connus et des situations éprouvées : il a réduit en quelques scènes les deux derniers actes d’Armide de Quinault, et il y a trouvé plus qu’il ne lui fallait pour le cadre si restreint d’une cantate, où l’auteur n’a le temps de rien expliquer, de rien développer. Il ne lui restait plus qu’à écrire des vers brillants, passionnés, harmonieux, en prenant le Tasse pour modèle, et nous le félicitons d’y avoir réussi. Citons à l’appui de l’éloge ces vers chantés par Renaud, qui vient d’entendre de loin la voix d’Armide :

C’est l’enchanteresse :
Tout parmi ces bois
Frémit d’allégresse
Aux sons de sa voix !
La rose nouvelle
S’ouvre pour la voir,
Parfumant pour elle
La brise du soir.
Tout ici l’admire,
Et comme mon cœur
Tout ici soupire
D’amoureux bonheur.

Les trois jeunes artistes qui remplissaient les rôles de Renaud, d’Ubalde et d’Armide se retrouvaient chez eux en revenant dans cette salle où ils ont obtenu leurs premiers succès, succès qui les ont conduits au théâtre. Jamais les uns et les autres n’avaient été plus en voix : mais Capoul doit surtout se garder de forcer la sienne. Les belles notes graves de Petit ont charmé par leur ampleur, et Mlle Roze a mérité surtout d’être applaudie dans ce passage charmant :

Hélas ! La beauté, l’amour,
Hélas ! Les plus douces choses
Se fanent comme les roses
Et ne durent qu’un seul jour.

Georges Hainl, encore un élève du Conservatoire, celui-là, mais d’époque un peu moins récente, dirigeait l’orchestre, dans lequel figurait le personnel de la Société des Concerts. La séance de jeudi dernier était donc, à tous égards, une vraie fête de famille.

P.S.

Personnes en lien

Librettiste, Journaliste

Édouard MONNAIS

(1798 - 1868)

Compositeur

Charles LENEPVEU

(1840 - 1910)

Compositeur, Organiste

Théodore DUBOIS

(1837 - 1924)

Permalien

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date de publication : 21/10/23