Aller au contenu principal

La Soirée théâtrale. À propos du Roi d'Ys

Catégorie(s) :
Éditeur / Journal :
Date de publication :

LA SOIRÉE THÉÂTRALE
À propos du Roi d’Ys

C’est ce soir, lundi, que l’Opéra-Comique donne la première représentation du Roi d’Ys. À ce propos, il nous a paru intéressant de dire quelques mots de la fameuse légende à laquelle M. Blau, le librettiste, a emprunté le sujet de l’œuvre nouvelle dont M. Lalo a écrit la musique. 

Qu’était-ce que le royaume d’Ys ? De quel roi d’Ys s’agit-il ? Et quelle est la légende dont il est le héros ? 

Ne cherchez pas sur les cartes ; le royaume d’Ys a disparu sous les flots. Les pêcheurs de la baie des Trépassés, à la pointe de la Cornouailles armoricaine, prétendent apercevoir, lorsque la mer est calme, à travers les eaux transparentes, les ruines d’une antique cité : c’est la ville d’Ys, « dont Paris était fière d’être l’égale ». 

Cette péninsule de Cornouailles, entre la pointe du Raz au sud et la pointe du Van au nord, est une des parties les plus désolées et les plus grandioses de la Bretagne. Nulle végétation, une terre nue, stérile, des rocs noirs, des écueils formidables sur lesquels la mer en furie se brise avec un bruit de tonnerre. C’est la région de la mort. C’est là que se trouve l’enfer de Plogoff, abîme en forme d’entonnoir, dans lequel les flots s’engouffrent avec un bruit épouvantable ; c’est là que se déroule la baie des Trépassés, « fertile en naufrages », et où « les matelots entendent souvent les plaintes des noyés mêlées aux voix stridentes de l’orage » et au grincement des galets qui s’entre choquent sous l’effort des lames violemment agitées. 

Au petit village de Troguer, situé à deux kilomètres au nord de Lescoff, on montre une grande quantité de substructions antiques et une muraille construite en pierres cubiques noyées dans le ciment. Cette muraille porte le nom, de Moguer-Guer-a-Is, c’est-à-dire muraille de la ville d’Is. On montre aussi, non loin de là, une voie pavée qui se perd dans la mer. 

C’est là que la cité d’Ys a été engloutie vers la fin du Ve siècle. 

Le roi qui régnait à cette époque dans ces régions, aujourd’hui couvertes par les eaux, s’appelait Gradlon-Mur, dont nous avons fait Grallon. On peut voir encore de nos jours, à la cathédrale de Quimper-Corentin, une statue équestre de ce monarque, couronne en tête, sceptre en main, manteau royal sur les épaules. 

On a pu même voir le roi d’Ys, en 1884, en plein Paris. Si vous parcourez, dans la collection du Siècle, les articles de notre collaborateur Henry Havard sur le Salon de 1884, vous y trouverez la mention d’un tableau de M. Luminais représentant Grallon fuyant avec sa fille les flots de la mer. 

Ce roi d’Ys est donc pour nous une vieille connaissance. 

L’histoire – pas mal panachée de légende – nous apprend qu’il régna de 485 à 490. Il arrondit son domaine aux dépens des princes ses voisins, repoussa l’invasion des pirates saxons et fonda l’évêché de Quimper. 

Ce roi guerrier avait une grande réputation de bravoure, de loyauté, de justice. Les méchants le craignaient ; les bons l’adoraient ; les faibles ne faisaient jamais un vain appel à sa générosité ; il suffisait qu’une cause fût juste pour qu’il la prît en mains. 

Ce modèle des preux eût été le plus heureux des rois s’il n’avait eu pour fille une créature abominable, souillée de tous les crimes et dont les débauches font époque dans l’histoire. La princesse Dahut était un mélange obscène de Messaline et de Margueritte de Bourgogne. Elle les dépassa en corruption. Cette goule insatiable décima la population mâle. Tous les gars du pays d’Ys, chevaliers ou manants, pages ou varlets, qui excitaient sa concupiscence, étaient attirés dans sa tour de Nesles bretonne ; puis, son caprice satisfait, elle les faisait jeter, à défaut de Seine, à la mer. 

La légende nous la représente comme une beauté extraordinaire, d’une séduction diabolique, avec des yeux admirables, qui rendaient fous. 

On comprend l’exécration dont la princesse était l’objet. Les femmes, obligées de cacher leurs maris, étaient furibondes. Le scandale devint tel, que la fille de Grallon fut insultée en pleine rue et qu’elle ne pouvait sortir du palais sans soulever des tempêtes de malédictions. 

Un jour, la princesse, publiquement outragée et ne se possédant pas de fureur, ouvrit, dans le but d’ensevelir la ville d’Ys sous les eaux, les écluses qui retenaient la mer. Elle n’avait pas fait ce raisonnement très simple qu’elle allait être la première victime de sa gredinerie. Il est possible qu’elle eût agi sous l’empire d’une exaltation qui lui ôtait l’usage de ses sens, ou bien, croyait-elle, dans son orgueil insensé, que la mer n’oserait toucher à la fille du roi Grallon. 

Quoi qu’il en soit, l’imprudente allait périr, lorsque son père, montant un coursier fougueux, la prit en croupe et partit ventre à terre. 

Ce fut une course échevelée. Le cheval, rasant à peine le sol, volait avec une rapidité vertigineuse ; mais il avait beau précipiter son allure, la mer précipitait la sienne et blanchissait d’écume ses jarrets d’acier, détruisant tout sur son passage. 

Éperdus, les fugitifs pressaient le galop de leur monture, qui ployait sous son double fardeau. Au milieu de la tempête, à la lueur des éclairs, c’était une vision diabolique que celle de ce cheval dévorant l’espace, ayant, collés à sa croupe, ces deux êtres humains qui suivaient avec épouvante la marche de la mer. Ils allaient, allaient, allaient, mais les eaux allaient non moins vite, grondantes, furieuses, enveloppant le groupe fantastique d’une poussière d’embrun… 

Le coursier s’épuisait ; ses jambes fléchissaient. Un miracle seul pouvait sauver les fugitifs. Le roi Grallon était plein de dévotion, comme tous les coupe-jarrets de son temps et du nôtre. Il adressa au ciel sa plus ardente prière et fit le vœu, si les saints du paradis le sortaient de ce mauvais pas, de brûler en leur honneur cinq cents cierges de cire blanche. 

La perspective d’une aussi brillante illumination flatta l’amour-propre des saints, et l’un d’eux, saint Corentin, premier évêque de Quimper, mort récemment, lui cria du haut du ciel ; « Débarrasse-toi du démon que tu portes en croupe, car c’est lui qui par ses désordres a at tiré la colère du ciel ! » 

La princesse s’aplatit sur sa monture. Le bon roi Grallon fit semblant de n’avoir pas entendu la mauvaise plaisanterie du saint et, poussant un soupir, ne souffla plus mot. 

Mais les flots irrités, déferlant avec fureur, firent un bond prodigieux en avant. Le coursier, pris d’une terreur folle, s’élança avec une telle impétuosité qu’il reprit pied. Mais ce fut pour un instant. La mer gagna bientôt sur lui. 

La voix de saint Corentin répéta le même commandement. Le roi continuant à rester sourd, la mer, au troisième commandement, parut se soulever et se rua sur le cheval qu’elle enveloppa de toutes parts. C’en était fait ! 

Grallon, les larmes aux yeux, arracha la coquine de la croupe du cheval et la jeta, hurlante de peur, dans ces mêmes flots où elle avait fait périr les plus beaux mâles de la cité d’Ys. 

Le cheval, allégé de la gueuse, partit comme un éclair ; mais c’était bien inutile, les flots s’étaient arrêtés. La mer venait de conquérir un vaste domaine, elle le conserva. 

Quant à Grallon et à son quadrupède, ils gagnèrent Douarnenez, quelques heures auparavant situé dans les terres et depuis lors assis sur les bords de l’Océan, dans cette magnifique baie qui porte son nom. 

Telle est la légende du roi d’Ys. Maintenant quel est le parti qu’en a tiré M. Blau ? 

C’est ce que nous saurons ce soir. 

Adrien Barbusse.

Personnes en lien

Homme de lettres, Journaliste

Adrien BARBUSSE

(1841 - 1907)

Compositeur

Édouard LALO

(1823 - 1892)

Œuvres en lien

Le Roi d’Ys

Édouard LALO

/

Édouard BLAU

Permalien

https://www.bruzanemediabase.com/node/67305

date de publication : 01/11/23