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Chronique. Le triomphe d'un "jeune"

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CHRONIQUE
Le Triomphe d’un « Jeune »

Ce « Jeune », c’est M. Lalo, dont l’opéra, le Roi d’Ys, vient d’être représenté à l’Opéra-Comique avec un retentissant succès, constaté et justifié ici même par notre très compétent collaborateur Francis Thomé.

Ce superbe drame musical est le début lyrique de M. Lalo ; c’est son maiden opera, diraient les Anglais. Honneur donc au glorieux débutant, qui ne saurait manquer d’aller haut et d’aller loin, désormais.

Seulement… Ah ! dame, il y a un seulement ! Il faut que ce débutant se dépêche. S’il veut aller loin, il aura besoin d’aller vite, attendu que la première représentation de son opéra a coïncidé hier avec le soixantième anniversaire de la naissance de l’auteur.

Et dire que M. Lalo était connu et classé, depuis trente ans au moins, dans le monde musical comme un compositeur hors ligne, comme un homme d’avenir…

Ah ! on la lui a baillé belle avec l’« homme d’avenir ! » Précisément parce qu’il était homme d’avenir, plein de talent et quelqu’un, tous les excellents confrères et maîtres, arrivés ou en passe d’arriver, lui ont mis des bâtons dans les roues.

De chaudes poignées de mains à peine étreintes, prodiguées à foison et même hors de propos… mais, à l’instant psychologique, un bon petit croc-en-jambe sournois, administré à propos : voilà, en musique, les mœurs artistiques et confraternelles d’aujourd’hui !

C’était peut-être aussi celles d’hier. Ce sera vraisemblablement celles de demain et ça continuera ainsi jusqu’à la fin des siècles.

Mais aussi pourquoi M. Lalo s’avisait-il d’être quelqu’un. Être quelqu’un c’est la marque des prédestinés au martyre. À moins qu’ils ne soient des lutteurs athlétiques, ou des politiques bien roublards.

L’opinion publique est unanime à associer au triomphe de l’auteur du Roi d’Ys M. Paravey, le jeune (vrai jeune) directeur de l’Opéra-Comique.

M. Paravey est arrivé de Nantes à Paris, accompagné d’une excellente réputation de décentralisateur. Sur son théâtre nantais, il avait, à ses périls et risques, monté plusieurs œuvres inédites et s’en était bien trouvé. Le public aussi, l’art également. Dès son installation à l’Opéra-Comique, il fit cette profession de foi : « Je veux être le directeur extravagant et révolutionnaire qui cherchera la pierre philosophale des chefs-d’œuvre inconnus, ils sont moins rares qu’on ne le croit. Je gagerais qu’il y a dix Carmen dans le tas de partitions que mes prédécesseurs ou collègues ont dédaignées. »

Dix Carmen, c’est peut-être dire beaucoup. L’avenir, seul, contrôlera cette parole généreusement hyperbolique, flatteuse, d’ailleurs, pour notre amour-propre national.

Provisoirement, tout au moins, la première du Roi d’Ys ne lui inflige point un démenti.

*

Il y a peu de mois, j’ai accompli une excursion aux parages de l’extrême Finistère, où la mer recouvre les ruines authentiques d’une cité disparue, que la tradition dit s’être appelée la ville d’Ys. C’est vers le sixième siècle de notre ère qu’elle aurait été engloutie par les flots.
Tous nos confrères ont constaté que le drame de M. Ferdinand Blau s’écarte notablement de la légende originale.

La ville d’Ys, d’après les traditions populaires, s’élevait dans le vaste bassin qui forme aujourd’hui la baie de Douarnenez. C’est là que vivait le roi Grallor, dans un palais qui était une des merveilles de la terre et au milieu d’une cour brillante à laquelle présidait sa fille Dahut ou Ahès.

Ce nom d’Ahès est demeuré attaché à une localité voisine, célèbre non pas légendairement, mais bien historiquement, à une petite ville où la princesse Ahès avait, parait-il, une maison de plaisance et qui s’appelle en breton Ker-Ahès (le séjour d’Ahès). En français, c’est Carhaix, la patrie de Malo Corret de Latour d’Auvergne, le premier grenadier de France.

Or, la princesse Ahès était une fieffée drôlesse, une coquine, de la pire espèce. « Elle s’était fait, dit la légende, une couronne de ses vices et avait pris pour pages les sept péchés capitaux ». Prévenant, dans ses dépravations monstrueuses, la Marguerite de Bourgogne de la Tour de Nesle, elle faisait conduire chaque soir, au fond de sa retraite, un jeune étranger qu’un homme noir lui amenait masqué. Le temps s’écoulait en folles orgies jusqu’au point du jour. Alors la princesse disparaissait ; le masque de l’étranger se resserrait au moyen d’un ressort jusqu’à l’étouffer. Et l’homme noir, montant à cheval avec le cadavre, s’enfonçait dans les montagnes et l’allait précipiter dans un gouffre du Huel-Gouat.
Grallon avait résolu plusieurs fois, devant Dieu, de punir les crimes de sa gredine de fille. Mais l’indulgence paternelle l’avait toujours emporté dans son cœur. Sa faiblesse fut cause d’une catastrophe. La princesse Ahès, s’étant emparée par ruse de la clé d’argent que Grallon portait suspendue à un collier et qui seule pouvait ouvrir l’écluse de la digue protégeant la cité, ouvrit le chemin à l’Océan déchaîné. Elle espérait s’enfuir en terre haute, laissant son auguste père et tous ceux qui blâmaient ses désordres et en demandaient le châtiment se débrouiller comme ils le pourraient dans une immense submersion nocturne et soudaine.

Mais le flot, fouetté par la colère divine, courut plus vite que l’infâme. Son père, qui s’enfuyait à cheval, la fit monter en croupe. Vaine tentative ! les volutes de la lame furieuse devançaient déjà le coursier au galop quand une voix, celle de Saint-Guénolé, se fit entendre : « Roi, abandonne à la justice de Dieu le démon en croupe derrière toi ! » Au même instant les bras de la princesse maudite, qui étreignaient son père, se détendirent. La mer l’emporta et se retira sur-le-champ, comme satisfaite de cette proie.

*

M. Ferdinand Blau a intercalé dans ce cadre épique une action dramatique de son cru — suivant en cela l’exemple de Richard Wagner, qui, poète et musicien, a largement emprunté à notre cycle breton — Lohengrin, Parsifal, Tristan et Yseult appartiennent à l’époque celtique d’Arthur et de la Table-Ronde. Mais Wagner ne s’est nullement gêné pour accommoder à sa fantaisie les types des héros bretons et leurs aventures. II ne s’est point piqué de demeurer fidèle à la légende.

Si vous êtes allé à Douarnenez, vous avez dû voir, presque en face de l’embouchure de la rivière qui forme ce port ravissant, une lie verdoyante. L’île Tristan. Elle a reçu son nom du vaillant chevalier de la Table-Ronde, qui partagea avec la blonde Yseult le philtre, le boire amoureux destiné au roi Marc’h.

Marc’k n’est pas, dans la légende originale, le noble et généreux roi Marke du drame de Wagner, qui pardonne aux deux amants victimes de la fatalité de l’amour. C’est une sorte de Midas armoricain, un homme aux longues oreilles velues, aux oreilles de cheval, qui faisait mourir ses barbiers de peur que leur indiscrétion ne révélât sa difformité bestiale.

L’un d’eux, cependant, fut épargné, après avoir juré de se taire. Mais, oppressé par son secret, il alla le confier aux sables de la grève. Trois roseaux poussèrent en cet endroit. Les bardes en firent des anches de hautbois, qui redirent : « Marc’h, le roi de Plomarc’h, a des oreilles de cheval. »

Une plante non moins merveilleuse que ces roseaux fut celle qui naquit sur le tombeau de Tristan et qui, grimpant le long des murs du monastère, redescendait en touffes de fleurs embaumées sur la tombe d’Yseult. Trois fois l’imbécile Marc’h, qu’avaient offensé leurs amours, en fit arracher les racines. Mais toujours la plante obstinée reparaissait avec l’aurore et mettait aux deux sépulcres son trait d’union de verdure et de fleurs.

Marc’h, en breton, signifie cheval ; et notre mot français marcher dérive du breton, auquel nous n’avons pas d’ailleurs emprunté, pour désigner l’animal de marche par excellence, c’est-à-dire le cheval, le radical celtique. Mais c’est assez de linguistique comme cela. […]

H. Astier.

Personnes en lien

Compositeur

Édouard LALO

(1823 - 1892)

Œuvres en lien

Le Roi d’Ys

Édouard LALO

/

Édouard BLAU

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date de publication : 04/11/23