Cendrillon
CENDRILLON
C’est après trente représentations non interrompues de cet ouvrage, que nous en rendons compte. Jamais réussite ne fut mieux constatée, c’est presqu’un succès de Mélodrame ; mais comme les grands succès ne sont pas toujours la preuve du grand mérite, et que nous devons, aux vrais amateurs de l’art musical, le résultat de nos observations, nous ne craignons pas de blesser l’amour-propre du compositeur en analysant les défauts de cette production.
Il importe peu au vainqueur couronné qu’on discute sur la manière dont il eut mérité de l’être ? Mais il importe beaucoup aux artistes et aux amateurs éclairés de savoir jusqu’à quel point on doit compter sur le bonheur et sur l’appui des circonstances favorables, toujours indépendantes du vrai talent, car celui-ci perce même après avoir d’abord échoué ; on pourrait en citer un grand nombre d’exemples ; mais il suffit de rappeler quel fut le sort de la Phèdre et de l’Athalie de Racine ; ces deux immortels ouvrages furent à leur naissance privés de succès, aujourd’hui ils honorent l’esprit humain. Bonheur sans mérite, vaut mieux que mérite sans bonheur, on ne le sait que trop ; mais si l’un est l’objet de nos vœux, l’autre est l’objet de nos hommages.
Cendrillon ne pouvait paraître sous des auspices plus favorables. La primeur des talens d’une jeune et jolie personne en qui tout intéresse, sa naïveté, ses grâces touchantes, sa surprenante intelligence, entraînent vraiment tous les suffrages ; lorsque cette aimable actrice est sur la scène on ne s’occupe que d’elle seule, on s’en occupe même quand elle en est absente, et le plaisir qu’elle a inspiré captive encore au point de faire oublier tout ce qui est faible. Enfin la réunion de deux chanteuses d’un talent vraiment rare, et dont malheureusement le compositeur abuse trop souvent, comme nous le dirons bientôt, achève de séduire. Toutes ces circonstances jointes à l’originalité du poème, qui nous paraît assez bien coupé pour la musique, ont donc dû entraîner le public à couronner les auteurs en même temps que la jeune actrice. Mais le musicien a-t-il bien mérité cette faveur ? l’ouverture n’est qu’une espèce de symphonie concertante de cor et de harpe, qui font entr’eux un assaut de traits et de passages que la disparate des deux instrumens rend pénibles et bizarres ; ils courent sans cesse l’un après l’autre sans jamais pouvoir se joindre, et lorsqu’ils le font, ce n’est que pour se repousser mutuellement ; mais cette petite lutte peut divertir un moment les amateurs de la difficulté à vaincre. L’introduction, très-bien imaginée par le poète, est aussi très-bien rendue par le compositeur dans la première partie, le mariage des deux sujets formés par le duo des deux sœurs et la chanson de Cendrillon, est d’une bonne facture, mais le compositeur n’a pas su soutenir son haleine pour remplir le troisième sujet que lui avait fourni le poète ; le Pauvre qui demande l’hospitalité. Son chant n’est qu’un accompagnement sans caractère, sans expression, sans déclamation et sans motif ; et, au lieu de se joindre aux deux autres, il ne sert qu’à les embrouiller et à leur nuire ; il en résulte que l’effet du morceau de musique qui devrait aller en croissant, finit, au contraire, par être faible, lâche et insignifiant.
La brillante exécution des deux chanteuses, Mme Duret et Mlle Regnault, étonne, ravit et satisfait l’oreille ; mais, dans tout ce qu’elles chantent, le compositeur a si fort prodigué les traits et les roulades, que la satiété la plus désolante vient bientôt refroidir l’auditeur qui s’écrie :
Aimez-vous la muscade ? on en a mis partout.
On est vraiment fâché de ne pouvoir remarquer dans tout ce qu’elles chantent, une seule phrase de mélodie bien sentie ; l’auteur n’en a fait que des machines à passages, et dès qu’on les voit paraître, dans les trois actes, on se met sur ses gardes pour essuyer une grêle de traits, qui, plus ménagés, eussent fait plaisir par la difficulté toujours vaincue et embellie d’une voix charmante. Ce que chante le jeune Prince nous a paru d’une mélodie qui se rapproche un peu de l’ancien chant français, et assaisonné d’un refrain dont la réminiscence est facile à saisir ; mais le public est fait à ces réminiscences, et il les applaudit toujours comme un chant facile qui, sans savoir comment, se trouvait déjà dans sa tête.
Le morceau du sommeil de Cendrillon, rappelle l’ouverture ; le même dialogue existe entre le cor et la harpe, qui accompagnent le chœur des génies ; mais hélàs ! ces génies ne sont pas sorciers pour la mélodie, et si leur chant est fait pour endormir, ce ne sera jamais sans commencer par nous faire bailler. Satiété, ennui, voilà ce que nous avons éprouvé par leur divine influence. Quelques moments après, un chœur de courtisans se fait entendre ; ce chœur ne vient-là que pour faire du bruit, et ce but est bien rempli ; on croit être à l’Opéra. Mais nous aurions bien voulu que l’auteur nous dispensât d’entendre, trois ou quatre fois dans ce chœur, une dissonance gratuite ; nous l’appellons gratuite parce qu’elle n’est motivée par rien, ni par la situation, ni par la déclamation, ni par l’expression ; nous savons bien que c’est un tritonqui est produit par un ré naturel ajouté au grave à l’accord parfait de mimode majeur, mais jamais triton n’a déchiré les oreilles de cette manière, parce que, comme nous venons de le dire, il a été mis là gratuitement et sans aucune intention, à moins que l’auteur n’ait eu celle de se faire remarquer, car peut être a-t-il raisonné ainsi : « Ce chœur ne produira qu’un bruit vague et sans effet ; réveillons-donc le public en l’assommant, afin qu’il s’aperçoive que j’aime à m’évertuer. » En ce cas, il a tout fait pour ne pas manquer son effet, car il a mis cette note dissonante partout, jusques aux cors, quoique cette note soit étrangère au ton dans lequel ils sonnentpendant ce chœur, et nous sommes portés à croire qu’il a employé d’autres cors en ré, tout exprès pour frapper plus fort. Qu’Apollon lui pardonne le mal qu’il a fait à nos oreilles ! Mais nous sommes justes, et nous devons aussi rendre compte du plaisir qu’il nous a fait goûter dans la scène où Cendrillonchante et danse ; le motif de son rondeau est charmant, rempli de grâce et de gaîté, toujours soutenu, toujours bien ramené, et nous avons véritablement joui de ce moment très-agréable.
Le troisième acte commence par un grand air que chante Mlle Régnault. On y retrouve la même facilité, le même talent de la difficulté vaincue, mais on éprouve aussi la même satiété, et l’auteur est vraiment impitoyable à son égard ; il semble l’avoir condamnée à rouler sans cesse pour tout régime.
Le duo entre le Prince et Cendrillon est assez agréable, mais nous en attendions un plus grand effet : il nous semble que l’auteur n’a pas bien saisi la situation que le poète lui avait fournie lorsque le Prince fait part à Cendrillon des regrets qu’il éprouve d’avoir perdu son amante, et qu’il se plait à se rappeler ses grâces, sa bonté, sa douceur, ses talens ; nous espérions que le musicien auroit employé une partie des phrases musicales dont Cendrillon elle même s’était servi pour charmer le Prince dans l’acte précédent, et que l’amour a dû imprimer facilement dans sa mémoire ; nous nous promettions ce plaisir avec d’autant plus de raison que le compositeur a commencé ce duo par le même ton, et par le même rythme, et cette idée ménagée avec les a parte de Cendrillon, eut amené certainement un des plus beaux effets dramatiques produits par la musique. Mais notre attente a été trompée, le poète avait présenté l’ébauche, le musicien a négligé de l’achever, ou n’a pas su la peindre. Le reste amène le dénouement et n’a rien de remarquable.
Si ces réflexions, dictées par la sincérité et par l’amour de l’art, sont vues par le compositeur sous leur véritable aspect, elles lui aideront à mieux connoître ses forces, à se défier d’une grande facilité, qui entraîne à la négligence, et il se rendra digne non seulement de succès moins éphémères, mais des éloges toujours désirables des artistes célèbres, et d’une assez bonne place dans la postérité.
C***.
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/Charles-Guillaume ÉTIENNE
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date de publication : 01/11/23