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Critique musicale. Reprise de Cendrillon

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CRITIQUE MUSICALE
[...] Reprise de Cendrillon [...]

L’Opéra-Comique a repris Cendrillon qui, lors de son apparition en 1810, avait littéralement fait fanatisme, comme disent les Italiens. Non-seulement l’œuvre fit le tour de l’Europe, mais tout devint à la Cendrillon, la couleur des étoffes, la forme des robes, les coiffures, les toques de bal, les pantoufles. Tous les théâtres voulurent avoir leur Cendrillon ; on fut inondé d’imitations et de parodies aujourd’hui oubliées.

L’œuvre d’Etienne et de Nicolo avait été reprise pour la dernière fois en 1845. En ce temps, on croyait rendre service aux vieux compositeurs en retouchant leurs œuvres et en chargeant l’instrumentation. Adolphe Adam refit Cendrillon comme il avait refait Richard Cœur-de-Iion. Cependant, à l’audition de ces arrangements, on ne peut s’empêcher de se dire que la naïveté et le charme de l’œuvre y perdent. La musique de Boieldieu a échappé à ces manipulations, je ne saurais dire par quel hasard. Dans Cendrillon, A. Adam abrégea l’ouverture que Nicolo avait eu la singulière idée d’écrire pour orchestre avec cor solo et harpe concertants.

Adam en supprima l’allegro et allongea un peu l’andante qui sert d’introduction. Il rafraîchit selon les besoins les morceaux de chant ; rendit les parties des instruments à cordes plus brillantes, et celles des instruments à vent plus nourries ; de plus il ajouta des trombones et des trompettes ou plutôt des cornets à pistons dont Nicolo n’avait pas songé à faire usage. Il y avait deux airs de bravoure, dont le premier peut être remplacé par un autre publié séparément. Adam les rejeta tous les trois pour en mettre un de sa façon. Cela commence par un motif de polka, allegro maestoso, et continue par un déluge de vocalises. Cette platitude a été gravée dans une nouvelle édition de la partition pour piano et chant.

M. Carvalho a conservé l’arrangement d’Adam, mais en supprimant son air de bravoure pour en rétablir un de Nicolo, Etienne a placé l’action de la pièce en Italie, sans indiquer de date ; à l’Opéra-Comique on a choisi l’époque de Louis XIV, avec les costumes du temps, malgré l’anachronisme produit par un tournoi où le prince Ramir reste vainqueur et amène deux chevaliers vaincus devant la dame de ses pensées.

La pièce d’Etienne peut paraître aujourd’hui un peu trop simple ; la musique a été traitée par certaines personnes de surannée. L’habitude et la mode sont pour beaucoup dans les jugements de ce genre ; il est incontestable que la musique de Nicolo ne ressemble guère à celle de Fra-Diavolo, quoique Auber ait commencé par imiter Nicolo et Boieldieu.

Généralement on préfère à Cendrillon, Joconde, et Jeannot et Colin. Il y a dans ces deux dernières partitions des faiblesses et du remplissage comme dans Cendrillon. D’un autre côté, il y a dans Cendrillon des morceaux d’un comique simple et franc, d’un sentiment naïf et juste et où le texte n’est point négligé comme dans les œuvres de l’école moderne. Je signalerai au premier acte le quatuor avec la chanson populaire de Guilleri, la romance de Cendrillon au second acte, le chœur dans la coulisse (dont Adam a fait un quatuor), l’air d’Alidor, le duo de la dispute et les couplets de Cendrillon au troisième acte, le trio des trois sœurs et le duo de Cendrillon et du prince.

Les chanteurs ne sont plus habitués aujourd’hui à une musique aussi simple, sous réserve des morceaux de bravoure que le sujet admettait. Ce n’est pas à dire que l’exécution à l’Opéra-Comique soit sans mérite. Mlle Potel, malgré sa petite voix, est une très bonne Cendrillon. Mme Franck-Duvernoy a fait des progrès ; elle et Mlle Chevalier rendent brillamment les rôles des sœurs de Cendrillon, mais dans les passages de bravoure la justesse des intonations n’est pas toujours irréprochable. Nicot a réussi dans le rôle du prince, quoi qu’il le rende par instant un peu trop sentimental.

Villard s’était fait remarquer au Cirque d’hiver dans le Désert, de F. David ; c’est un baryton avec un fort joli registre de fausset, qu’il n’a pas pu employer dans Cendrillon. Il tiendra une place honorable à l’Opéra-Comique. Je l’engage à émettre sa voix avec plus de fermeté la sonorité mollasse et un peu chevrotante qu’il lui donne, finirait par la rendre molle et chevrotante tout de bon. Legrand est un excellent comédien, que nous avions vu à l’ancien Théâtre-Lyrique. Il prend le rôle de Dandini trop au sérieux c’est un rôle de trial qui convenait parfaitement à Sainte-Foy. Thierry joue avec sa rondeur et sa bonhomie habituelles.

On a placé l’action sous Louis XIV afin de pouvoir intercaler un ballet dans le goût de cette époque avec musique du même temps. Si ce système prévalait, il faudrait, pour le Pré aux Clercs et les Huguenots, remonter à Catherine de Médicis, pour la Juive au temps de Charles VI, et pour Robert le Diable bien plus haut encore. Cette observation faite pour l’honneur des principes, je conviens que le ballet intitulé les Quatre Saisons est fort joli et bien réglé ; les pas de l’été et de l’automne ont surtout été bien applaudis. La musique arrangée par M. de Lajarte est formée d’airs extraits, presque tous, de sa collection de vieux airs à danser (chez Durand et Schoenewerk.)

L’éditeur a réuni dans un petit recueil spécial les airs intercalés dans Cendrillon ; seulement ils ne sont pas tous du temps de Lully ; un espace de près de cent ans sépare le premier du dernier, mais comme ils sont bien choisis on n’y prend pas garde. Ce sont une pavane et des canaries de Lully, des rigodons de Desmarets, une passacaille de Mion, des forlanes de Gossec, puis une jolie gavotte attribuée à Lully et que j’ai déjà dit n’être pas de lui enfin, la musique d’un pas d’action dont on a oublié d’indiquer l’auteur.

Le manuscrit autographe de l’arrangement de Cendrillon, par Adam, se trouve à la bibliothèque du Conservatoire. La veuve du compositeur a fait don à cette bibliothèque de tous les manuscrits de son mari qu’elle possédait. Il y en a une trentaine, soigneusement conservés et fort bien reliés, parmi lesquels se trouvent les partitions des ballet qui n’ont jamais été publiées. […]

J. Weber.

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date de publication : 03/11/23