Le Roi d'Ys

C’est avec une vive satisfaction que nous constatons l’éclatant succès que le Roi d’Ys, de M. Edouard Lalo, a obtenu, hier soir, à l’Opéra-Comique. Une assistance d’élite a applaudi chaleureusement une œuvre forte, puissante, colorée, qui, conçue il y a vingt ans, mûrie et longtemps caressée par son auteur, terminée complètement il y a deux ans, a enfin trouvé l’accueil qu’elle méritait auprès de M. Paravey, l’intelligent directeur de l’Opéra-Comique. Le public des soirées prochaines, dont l’éducation musicale est aujourd’hui meilleure, ratifiera certainement le jugement favorable dont le Roi d’Ys a été l’objet, à la première représentation. Le succès d’hier, le succès de demain vengeront M. Edouard Lalo des longs déboires et des amertumes répétées. Il serait injuste de ne pas associer aux applaudissements qu’a récoltés le Roi d’Ys le nom de M. Edouard Blau. Son poème met en œuvre une légende bretonne, dont le Temps a déjà eu l’occasion de parler. M. Blau l’a modifiée. Qu’importe ! Telle qu’elle est, elle offrait au compositeur un cadre et un poème excellents. Si le succès du librettiste démontrait enfin que ce sont les légendes naïves et simples qui conviennent le mieux pour les partitions d’opéra, nous serions, pour notre part, doublement heureux. 

Le Roi d’Ys, monté avec un réel souci artistique, forme ainsi, au point de vue des décors et des costumes, un spectacle intéressant. L’orchestre est mené avec une grande maestria par M. Danbé ; l’interprétation est de choix. MM. Talazac, Bouvet, Cobalet et Fournets, Mlles Deschamps et Simonnet ont été très applaudis : M. Talazac et Mlle Simonnet, en particulier, ont été très remarqués dans le quatrième tableau, le plus beau peut-être de l’œuvre entière. 

Le nom de l’auteur a été acclamé par une salle véritablement enthousiaste, formée d’une assistance très brillante… On y voyait M. et Mme Floquet ; Mme Floquet ayant désiré complimenter M. Lalo, M. Floquet est allé chercher sur le théâtre le compositeur et l’a amené dans sa loge, où il a reçu de nombreuses félicitations. On remarquait encore M. et Mme Clémenceau, MM. Poubelle, Ritt et Gailhard, Mlle Calvé, retour de Nice. Vers onze heures, le général Boulanger est arrivé au théâtre, dans une baignoire d’avant-scène, occupée déjà par MM. Paul Déroulède, Arnaud de l’Ariège, Goupil. 

À la sortie, deux ou trois personnes, reconnaissant le général, ont lancé quelques bravos. L’écho a répondu : « Lalo ! »