Théâtre impérial de l'Opéra-Comique. Psyché
THÉÂTRE IMPÉRIAL DE L’OPÉRA-COMIQUE.
Psyché, opéra-comique en trois actes, paroles de MM. J. BARBIER et MICHEL CARRÉ, musique de M. AMBROISE THOMAS.
La scène de Favart vient de nous raconter une histoire où le merveilleux se mêle à l’élément dramatique, où les émouvantes péripéties de la vie intime viennent se combiner avec les grands intérêts du ciel et de la terre. Je ne sais si le fait est arrivé ; mais la plupart des particularités de cette histoire ont été constatées, sinon par des témoins oculaires, du moins par des hommes assez bien placés dans le monde pour que leur témoignage ne pût être révoqué en doute : Apulée, Corneille, Molière, Lafontaine, Quinault, Chompré (licencié en droit), Demoustier et plusieurs centaines d’autres.
Voici les principaux personnages qui concourent à l’action et figurent dans le drame historique de MM. Barbier et Carré.
Vénus, autrement Cypris, fille du Ciel et de la Terre, ou, selon quelques uns, de la Mer. (Elle ne figure pas personnellement dans la pièce, mais son action n’en est que plus influente ; on la voit apparaître au dénouement.) Vénus est la déesse de la beauté. Quelques personnes prétendent qu’elle doit le jour à Jupiter et à la nymphe Dioné. La plupart affirment qu’elle fut formée de l’écume de la mer. Tous les dieux la trouvèrent si belle qu’ils voulurent l’épouser ; mais ce fut Vulcain qui l’emporta. Vénus, qui ne pouvait souffrir son mari, à cause de sa laideur, eut un grand nombre d’adorateurs, notamment le dieu Mars. Vénus était constamment accompagnée des Grâces, des Jeux et des Ris. On lui bâtit des temples partout : les plus superbes étaient ceux d’Amathonte, de Lesbos, de Paphos, de Gnide, de Cythère et de Chypre. On la représente ordinairement avec Cupidon, son fils, sur un char traîné par des pigeons ou par des cygnes, ou même par des moineaux quand les cygnes et les pigeons manquent. (Voyez Cupidon.)
Mercure, fils de Jupiter et de Maïa. Il était dieu de l’éloquence, du commerce et des voleurs, et le messager des dieux. Jupiter lui avait attaché des ailes à la tête et aux talons afin qu’il exécutât ses ordres avec plus de vitesse. Il faisait aussi très-volontiers les commissions de Vénus, qui lui était fort attachée. On le représente ordinairement tenant un caducée à la main. C’est une baguette qu’il avait reçue d’Apollon. Un jour il rencontra sur le mont Cythéron, près de Thèbes, deux serpents qui se battaient. Voulant les séparer, il mit entre eux la baguette qu’il tenait à la main ; les deux serpents s’y attachèrent, et Mercure porta toujours dans la suite, en mémoire de cette rencontre bizarre, une baguette autour de laquelle s’entrelaçaient deux serpents. C’est ce qu’on appelle un caducée. L’histoire attribue à ce dieu une foule de traits pendables, grâce à son métier de commissionnaire de l’Olympe. En somme, c’était un vilain homme.
Éros. Les Grecs appelaient ainsi Cupidon. (Voyez Cupidon.)
Cupidon, ou l’Amour, était le fils de Mars et de Vénus. On le représentait sous la figure d’un enfant toujours nu, même en hiver ; quelquefois avec un bandeau sur les yeux ; tenant un arc et un carquois rempli de flèches ardentes. Il fut fort aimé de Psyché. (Voyez Psyché.)
Psyché. C’est un mot grec qui signifie âme. Psyché était fille d’un roi inconnu. Elle était d’une beauté tellement merveilleuse qu’on en vint au point de la comparer à Vénus : aussi cette déesse en conçut-elle une violente jalousie, et cette jalousie se compliqua d’un redoublement de colère quand Vénus vit son fils Cupidon épris de cette charmante princesse. Pour apaiser le courroux de Vénus, les grands prêtres s’assemblèrent, on consulta l’oracle, et la malheureuse Psyché fut condamnée à être précipitée du haut d’un rocher pour devenir la proie d’un monstre. Mais Cupidon la fit enlever, et un Zéphire la transporta dans un lieu de délices, où Cupidon l’épousa. Vénus, de plus en plus jalouse, la persécuta avec un surcroît d’acharnement, et le dieu Mercure collabora puissamment à ces actes de rancune tout à fait indignes d’une dame aussi haut placée. – Décidément le dieu Mercure était un vilain homme. – Bref, la pauvre Psyché fut tellement persécutée qu’elle en mourut. Par bonheur Jupiter, qui avait d’excellents moments, lui rendit la vie et lui donna l’immortalité en compensation de ses malheurs.
Mais ce n’est pas tout : Psyché, de même que Cendrillon, avait deux sœurs aînées : Bérénice et Daphné. Fières par habitude et coquettes par goût, d’esprit très-ordinaire, et d’humeur très-jalouse, c’étaient de ces beautés qu’on rencontre partout, qu’on n’aime point, mais qu’on épouse. Elles étaient riches. Aussi convinrent-elles à deux princes voisins, qui, suivant l’usage, les épousèrent, de concert avec leurs créanciers.
Antinous et Gorgias (c’étaient les noms des deux princes) auraient pu, par la nature de leur esprit, autant que par leurs manières terrestres et toutes réalistes, compromettre la trame si sérieusement tissée entre le ciel et la terre ; mais (les dieux soient loués !) tel est l’ascendant des graves personnages qui s’agitent autour de ces deux princes prosaïques, qu’ils se maintiennent dans les bornes de la plus parfaite convenance. Un instant on aurait pu craindre qu’ils ne troublassent par quelques lazzis sublunaires, la solennité de ce drame olympien : c’était dans la scène où un philtre diabolique leur fait perdre la mémoire et embrouille leurs discours ; heureusement cette crainte n’est pas justifiée, et l’action marche avec toute la dignité commandée par le sujet.
M. Ambroise Thomas, qui a modulé sur sa lyre tous ces grands événements, s’est acquitté de son poétique sacerdoce en digne fils d’Apollon, en favori d’Euterpe, en membre de l’Institut. Il a marié les mélopées olympiennes aux richesses de l’art moderne. Le mode phrygien, qui préside aux passions fougueuses, violentes, et le mode dorien consacré aux sensations calmes, aux mouvements gracieux, alternent fort habilement et se prêtent un mutuel appui. Une instrumentation des plus élégantes, divinement ciselée, – parfois même tourmentée – comme la pauvre Psyché, – domine l’ensemble. Peut-être les éphores de Sparte auraient-ils condamné M. Ambroise Thomas à retrancher deux cordes de sa cithare. Mais n’oublions pas que nous sommes à Paris, et en définitive les mélopées de Psyché n’ont rien de bruyant, bien qu’elles soient plus compliquées assurément que celles modulées jadis par Terpandre et Timothée.
Psyché renferme notamment des chœurs qu’Apollon ne désavouerait pas, et que le vieil Olympe aurait pris chaudement sous son patronage.... s’il les avait compris.
Parmi les morceaux que le public de 1857 a particulièrement applaudis et dont plusieurs ont été bissés, il faut citer les premiers couplets de Psyché ; le duo entre Éros et Psyché, avec accompagnement de roulement de tonnerre, symptôme de la colère de Vénus ; le beau final du premier acte ; le chœur des femmes au second acte ; le grand air d’Éros, les couplets spirituels de Mercure : Vénus se désespère d’avoir un aussi grand garçon ; le duo d’amour et l’invocation au sommeil.
Mentionnons surtout le chœur de la fête de Pan qui ouvre le troisième acte : il a de la vigueur et de l’originalité. Un quatuor bouffe a été également fort goûté.
Et enfin l’œuvre se termine par les imprécations d’Éros, qui acquiert une valeur réelle par la façon dont cette mélopée est dite par Mme Ugalde.
Constatons en passant que l’opéra de Psyché est privé de toute espèce de ténor, – tant cette denrée devient de plus en plus rare. – Pour avoir un semblant de ténor il a fallu prendre un soprano, – je veux dire une femme, – et en faire un homme, – ou plutôt un Amour (ce qui n’est pas la même chose).
Le seul ténor de la pièce c’est Mme Ugalde, qui chante et joue supérieurement le rôle d’Éros, personnage capital de l’œuvre. Elle déploie une verve, une expression, un sentiment dramatique, un brio, qui ont étonné même ses plus anciens admirateurs. Aussi a-t-elle récolté d’enthousiastes bravos.
Mlle Lefebvre, qui partage avec Mme Ugalde les honneurs de la partition, est une gracieuse et charmante Psyché. Elle sait captiver son auditoire jusqu’au dénouement. Ses duos avec Éros, son grand air du second acte, lui ont conquis toutes les sympathies du public.
Battaille, dont les qualités physiques ne répondent peut-être pas entièrement au type de légèreté qu’il est chargé de traduire, est néanmoins un Mercure des plus fringants. Il dit plusieurs de ses couplets d’une façon à la fois spirituelle et câline, et les interprète avec cette onctueuse malice qui décèle l’artiste éminent.
Mlles Revilly, Boulard, MM. Sainte-Foy, Prilleux, méritent une mention honorable.
Restent les costumes et surtout les décors, qui sont de toute beauté. La mise en scène est d’une fidélité exemplaire, elle est littéralement fabuleuse. Le dernier tableau représente les dieux et leur état-major réunis et on ne peut plus artistiquement massés dans leur Olympe. Cette apothéose finale est d’un effet ravissant, et suffirait seule au succès de Psyché. Le Cirque... même olympique, n’aurait pas mieux fait.
J. LOVY.
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Ambroise THOMAS
/Jules BARBIER Michel CARRÉ
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date de publication : 15/10/23