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Opéra-Comique. Reprise de Psyché

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OPÉRA-COMIQUE
Reprise de Psyché, poëme de MM. Michel Carré et Jules Barbier, musique de M. Ambroise Thomas. 

Dans ce livre étrange, original et amusant de « Métamorphoses » ; où l’on voit le jeune et beau Lucius, véritable héros de roman, courir les aventures sous la figure et avec les longues oreilles d’un baudet, l’imagination du lecteur se repose sur un épisode délicieux. Apulée a mis dans la bouche d’une servante de voleurs l’histoire d’une fille de roi aussi belle que difficile à marier. Ce conte de bonne femme est arrivé jusqu’à nous : c’est la fable de Psyché

Les amants de l’Antiquité, seuls, ont lu l’Âne d’Or ; mais vous pouvez arrêter dans la rue le premier passant venu ; de plus, je vous accorde que cet homme ne saura pas lire : eh bien ! j’ai d’avance gagné mon pari : le nom de Psyché a très certainement frappé l’oreille de ce passant, qui plus sûrement encore, ignore et ignorera toujours la légende de la bru de Vénus, de sa rivale en beauté.

C’est par foules qu’il faut compter les imitateurs qui, sur les pas d’Apulée et touchés par la baguette d’or de son imagination, ont reproduit sous toutes les formes de l’art, vers, prose, musique, couleur, marbre, pinceau ciseau ou crayon, ce vieux roman éternellement nouveau des « amours de l’Amour »

À son flambeau quelquefois il se brûle,

a dit La Fontaine, appliquant la loi du talion à ce « mauvais sujet » de l’Olympe dont il voulut être, lui aussi, l’un des historiens, en s’inspirant et en s’éloignant du conte d’Apulée.

C’est au mois de janvier 1857 que MM. Michel Carré, Jules Barbier et Ambroise Thomas firent jouer à l’Opéra-Comique Psyché, en conservant à leur ouvrage la coupe du dialogue parlé et chanté, qui est la tradition de ce théâtre de plus, deux rôles à physionomie bouffonne, Antinoüs et Gorgias, l’un efflanqué l’autre pansu, étaient chargés d’égayer un sujet dont la variété consiste à lever ou à baisser la rampe pour faire succéder le Jour à la nuit après chaque tête-à-tête d’Éros avec Psyché. Les deux rôles comiques ont disparu : cela est peut-être regrettable, non que je prétende soutenir qu’ils fussent excellents ; mais bons, ou seulement passables, ils devaient tout au moins reposer l’oreille des spectateurs trop constamment bercés par le concert féminin des sopranos et des mezzo-sopranos. Mercure a beau se multiplier pour faire descendre sur la clef de fa un plaisir musical uniformément perché sur les clefs de sol et d’ut première ligne, le « messager des dieux » ne réussit qu’à changer d’habit, ce qui n’est pas une diversité dramatique d’un caractère bien réjouissant. Qu’il troque son caducée contre la fausse barbe d’un prêtre de Jupiter pour lancer l’oracle qui doit perdre Psyché ; qu’il joue l’emploi des traîtres pour le compte de Vénus, ou celui des valets aux ordres de la belle maîtresse d’Éros ; qu’après avoir dirigé une bacchanale infernale et insulté au malheur de sa victime, il se ravise et entr’ouvre les cieux pour placer l’immortalité de celle que Jupiter consent au dénoûment à marier à son petit-fils, ce dieu à tout faire est toujours l’inévitable Mercure. 

M. Ambroise Thomas, voulant donner plus d’importance au rôle de Psyché, qui n’était à l’origine que le second de la pièce, a remanié et agrandi les proportions premières de sa partition. L’œuvre a maintenant les proportions des grandes œuvres lyriques. Mais le compositeur, tout entier à ce travail qui rajeunissait chez lui les sources de l’inspiration, n’a pas songé que la transformation qu’il faisait subir à son œuvre nécessitait un cadre grandiose qui lui manque sur notre deuxième scène de musique, et qu’il était illogique, en laissant Psyché à l’Opéra-Comique, d’avoir commencé par faire tout ce qu’il fallait pour l’en faire sortir. Ce que j’ai fortement désapprouvé, à la reprise de la Statue, de M. Reyer, c’est-à-dire le rentoilement musical de l’ouvrage à l’aide de récitatifs substitués à la prose dialoguée, je ne puis le trouver bon et le louer dans les modifications analogues que vient de recevoir l’opéra de M. Ambroise Thomas. Je dis que les deux compositeurs se sont à cet égard également trompés, et pour deux raisons qui auraient dû les frapper l’un et l’autre.

Les générations d’auditeurs qui se sont succédé à l’Opéra-Comique, de Dussi à Meyerbeer, ce qui, entre les Deux chasseurs et la laitière et l’Étoile Nord comprend une foule de révolutions musicales en France, ce public-là a des souvenirs qu’il faut lui rappeler sans cesse et des habitudes de distractions théâtrales qu’on ne lui fera point perdre sans lui faire perdre le chemin de son théâtre favori. Insensiblement il a pu aller de Grétry et de Dalayrac à Berton, à Méhul une fois à Cherubini pour revenir ensuite et plus passionnément vers l’auteur de Cendrillon et de Joconde. Boieldieu lui a fait ensuite oublier Niccolo ; le succès du Maçon, contemporain du grand triomphe de la Dame blanche, lui a fait goûter par l’accoutumance le charme des mélodies spirituelles d’Auber. Il n’a pas compris d’abord les formes plus savantes et plus touchantes du génie d’Hérold, et sans l’éclatant coup de fortune du Pré-aux-Clercs, il ne se fût point épris peut-être d’un amour d’arrière-saison pour Zampa. Quoi qu’on fasse et quoi qu’on ose, il ne sera jamais prudent d’élargir beaucoup le cercle de ses plaisirs au-delà des sensations que lui ont successivement données, sans remonter plus haut que 1830, Fra-Diavolo, le Chalet, l’Éclair, le Domino noir et les Diamants de la Couronne. Voilà ma première raison ; elle s’applique généralement, en faisant la part du style propre à chaque compositeur, aux hommes et aux œuvres.

Ma seconde raison est particulière à la couleur, du sujet de Psyché, tel que l’ont compris MM, Carré et Barbier, et tel que l’a d’abord traité Ambroise Thomas en renfermant son inspiration dans le cadre de l’opéra-comique. Le dialogue faisait utilement diversion à l’accent des sentiments rêveurs et voilés de la fable mythologique, où domine le ton d’une mélopée un peu traînante. Remplacer ce dialogue par une déclamation notée, c’était courir le risque d’enlever la barrière rythmique qui sépare l’air du récitatif, et faire que le spectateur se dise avec un commencement d’inquiétude « Où finit l’un et où commence l’autre ? » Toutes les ressources de l’art d’orchestrer ont été employées par Ambroise Thomas pour jeter l’imprévu des épisodes symphoniques à travers l’inévitable monotonie du dialogue déclamé. À cet égard, les délicats et les gourmets, ceux que le détail musical intéresse comme une volupté exquise, ont été servis à souhait ; il n’en pouvait être de même du public, dont on ne prévient la satiété qu’en variant l’objet de ses émotions que lui importe que l’orchestre se peuple si la scène est vide ?

« —Pourquoi, sera tenté de me répondre le compositeur, n’aurai-je point traité en grand opéra le sujet de Psyché ? C’est ainsi que l’ont compris Striggio, en Italie, au siècle dernier, et en Allemagne une demi-douzaine de compositeurs, pour le moins, à la tête desquels il faut placer Winter. Si la Psyché de Molière, de Corneille de Quinault et de Lulli n’était qu’un ballet-mélodrame, la Psyché de Fontenelle, et du même Lulli, représentée sept ans plus tard sur la scène de l’Académie royale de musique, était tout ce qu’il y a de plus grand opéra. »

Même en posant la question sur le terrain des précédents, elle ne saurait embarrasser la critique, ni la mettre en contradiction avec elle-même. Les formes de l’opéra-féerie, si élastiques soient-elles par le défilé des tableaux juxtaposés que le genre autorise, ne sauraient se passer d’une action dramatique telle quelle. Où est l’action, c’est-à-dire la marche progressive de l’intérêt, dans le poème de MM. Carré et Barbier, remanié par le seul M. Barbier ? Des appareils de lumière électrique jouant sur la perspective des décors ou sur des groupes de comparses chantant ou dansant ; des fêtes paradisiaques dans la royale cour de l’époux invisible ; des bacchanales de fantômes ivres au pays des ombres, le vent Borée détruisant un peuple pour venger la mère, le vent Zéphire caressant les jupes de Psyché pour être agréable au fils ; des barcarolles, des chansons, des refrains à boire, des valses ballées et chantées, il y a de tout cela dans la pièce, et il faudrait applaudir à tant de brillants accessoires s’il y avait une pièce… mais elle reste encore à faire. Psyché, mariée à Éros, eut une fille qu’on nomma la Volupté. N’est-il pas à craindre que le poëme de M. Barbier, qui est un garçon, ne soit appelé l’Ennui ? 

La musique écrite par M. Ambroise Thomas méritait une autre destinée que son association malheureuse avec les paroles rimées par les collaborateurs du musicien. La Psyché d’Apulée était portée par l’aile de Zéphire jusqu’à la couche de son divin époux c’est par le boulet du galérien que la partition de M. Ambroise Thomas est rivée au poëme de MM. Carré et Barbier. J’ai pu signaler et reprendre, dans l’œuvre sortie de la pensée et de la main d’un maître, cette uniformité de style et de couleur qui fait parfois échouer la rêverie dans la somnolence ; j’en ai déduit les raisons un peu longuement peut-être mais cette réserve faite me met à l’aise pour le reste. Ce n’est pas en sortant de deux auditions (répétition générale et première représentation) qu’il faut se hasarder à juger une composition de cet ordre ; conçue avec une grande élévation de pensée et écrite avec une rare fermeté de main tout ce qu’il est permis et loyal de faire, c’est de la parcourir à vol d’oiseau, ou à vol de zéphire, pour parler la langue du pays.

Je vais donc me borner à citer en courant, à glaner entre les gros épis, imitant en cela la vivacité d’impression du public. C’est une page bien courte, mais d’une résonnance séraphique et suave, que la phrase avec sourdines des violons se liant au chœur d’introduction : Vénus, fille de l’onde. Ce chœur est d’une belle simplicité ; la sonorité en est comme soulevée par un vent venu de Grèce. Toute cette préface de l’œuvre est traitée avec ampleur dans l’entrée du roi : Amis, calmez vos craintes ! avec poésie dans l’air de Psyché écrit pour Mlle Heilbron : Ah ! si j’avais jusqu’à ce soir ton divin pouvoir ! Mais deux pages, entre toutes les autres, se sont détachées dans ce premier acte : l’une grande et puissante d’effet (le finale) l’autre passionnée, la romance d’Éros : O toi, qu’on dit plus belle que Vénus aux doux yeux !

Le deuxième acte se maintient malheureusement dans la lumière tempérée et le nuage – nuage un peu grisâtre – du ciel mythologique : il en faut excepter toutefois le joli chœur syllabique en sol et le rire éclatant des nymphes : Quoi ! c’est Éros lui-même ? et, dans une gamme toute française, n’en déplaise au dieu des voleurs et des Grecs, la jolie chanson de Mercure avec son refrain : La déesse de Cythère se désespère d’avoir un si grand garçon. Ce voile d’uniformité, d’unité, si l’on veut dans le style du maître et dans la couleur de l’ouvrage, flotte, en les dérobant, sur les trois derniers actes de Psyché. C’est grand dommage car il doit y avoir là-dessous bien des choses délicates ou touchantes qu’il faudrait louer. À travers cette vapeur de la lassitude du public, il s’est pourtant aux trois quarts détaché un trio dramatique plein de force et de passion, au quatrième acte chanté par Psyché, Éros et Mercure. Mais ce radeau de sauvetage, arrivant à la dernière heure, ne pouvait tout sauver !

Les deux rôles principaux de Psyché étaient confiés à deux artistes qui, toutes deux jeunes et dans la sève du talent, arrivaient là, précédées et favorisées par une popularité conquise sur une autre scène. Mademoiselle Heilbron, qui est une grande musicienne, possède un beau soprano métallique ; Madame Engalli, qui n’est pas... (mais qu’importe ?) est douée d’un mezzo-soprano pour lequel la nature a seule tout fait jusqu’ici. Si vous consentez à ne demander à cette voix tout en chair que des élans vigoureux ou câlins, qui la font ressembler à un rossignol saignant sous la serre d’un épervier, elle vous donnera des sensations qu’un art plus correct ne saurait produire. Quand une phrase est bien attrapée par l’Engalli, faites-lui grâce du reste quand la chanteuse ne réussit pas à voler, elle tombe : elle s’échappe d’un air par la fenêtre ou en roulant jusqu’au bas de l’escalier. Ce qui n’empêche point que, l’Engalli n’ait de l’action sur la foule, qui lui a redemandé la belle romance d’Éros.

Le chœur des Nymphes, qui a obtenu un si grand succès, était chanté par les jeunes élèves du Conservatoire, et l’éclat de cette exécution est un grand honneur pour l’école. Si M. Morlet, qui joue et chante avec intelligence le rôle de Mercure, n’a point mis sur cette création cette griffe d’originalité qui est ineffaçable, il a pourtant dit avec grâce et légèreté les couplets où il raille Vénus menacée de devenir grand’mère.

Bénédict. 

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date de publication : 23/06/24