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Théâtre du Palais-Royal. La Vie parisienne

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THÉÂTRE DU PALAIS-ROYAL
LA VIE PARISIENNE
Bouffonnerie musicale en quatre actes et cinq tableaux, paroles de MM. Henri Meilhac et Ludovic Halévy, musique de Jacques Offenbach.
(Première représentation le 31 octobre 1866.)

Avec Offenbach, la musique envahit peu à peu toutes nos scènes de vaudeville, et le genre mixte inauguré par les Bouffes-Parisiens achève de détrôner la clef du caveau. À notre point de vue, il n’y a pas à s’en plaindre ; les flons-flons de nos pères ont fait leur temps, et l’on ne peut que gagner, dans une certaine mesure, à les voir remplacés par des refrains jeunes et alertes qui ont, du moins, l’attrait de la nouveauté, et qui ne sont pas stéréotypés d’avance dans la mémoire des auditeurs. Jusqu’ici Offenbach est à peu près le seul qui ait conquis, à ce jeu, la faveur du public ; mais d’autres viendront sans doute, formés par son exemple et jaloux de reculer les bornes posées par son initiative. En attendant, il faut bien reconnaître qu’il est aujourd’hui sans rival pour combiner un succès avec des éléments qui existent à peine, et pour tirer un merveilleux parti, même des voix les plus réfractaires. Qui se serait attendu à subir la représentation d’une œuvre lyrique interprétée par Hyacinthe, Lassouche, Priston, Gil-Perès et tutti quanti, sans un notable dommage pour des oreilles sensibles ou pour des nerfs impressionnables ? Et pourtant ce miracle, Offenbach vient de l’accomplir.

Mais avant d’apprécier la part énorme qui lui revient dans la résolution de ce problème, essayons d’établir le bilan de ses collaborateurs littéraires. Quand nous disons littéraires, c’est faute d’une expression plus exacte pour préciser une chose qui n’a de nom dans aucune langue, et afin de fixer comme il convient une ligne de démarcation entre le musicien et ses complices. Il faut évoquer les souvenirs d’une romance célèbre de la Belle Hélène pour qualifier selon leurs mérites les excentricités, tranchons le mot, les cascades dont se compose la Vie parisienne. Sous ce titre, qui annonce une étude satirique des mœurs actuelles, n’allez pas chercher des aperçus fins et ingénieux, des traits mordants et spirituels ; vous vous tromperiez étrangement, car tel n’a pas été le but des auteurs. C’est de la haute fantaisie poussée jusqu’à l’insanité ; c’est un monde à l’envers qui n’a pas son pareil, même au sein des orgies délirantes du carnaval. Le point de départ de cette facétie extrabouffonne est à peu près humainement possible. Il s’agit d’un jeune gandin, le vicomte Raoul de Gardefeu, qui a fait, au débarcadère du chemin de fer, la rencontre d’un baron suédois, escorté de sa moitié, jeune femme sur laquelle le gandin a jeté son dévolu. S’insinuer dans les bonnes grâces du baron de Gondremark, se donner à lui pour un guide et proposer à cet étranger de lui faire les honneurs de la ville de Paris, tout cela est facilement conçu et mis à exécution par l’amoureux Gardefeu. Mais ici commencent les bizarreries et les extravagances. Pour attirer la baronne dans ses filets, le gandin, métamorphosé en guide, l’installe chez lui, avec son mari, en leur faisant accroire qu’ils sont dans une dépendance du Grand Hôtel, puis il leur improvise une table d’hôte avec son bottier, avec sa gantière, avec une colonie d’Allemands embauchés par ces derniers. Le premier pas franchi, il leur montre Paris à sa manière, les mène au bazar Bonne-Nouvelle sous prétexte de les conduire au musée d’artillerie, leur ménage une invitation chez un de ses amis, transformé en amiral suisse, et qui donne une fête panachée de valets et de servantes travestis. Mais comment et pourquoi les suivre à travers cette mascarade de mardi-gras, qui se termine par une réunion de tous les personnages dans un salon du café Anglais, et par un duel au couteau, où git à coup sûr la seule intention de bonne comédie que l’on puisse rencontrer dans cette folle débauche ? La vérité est que, grâce aux excellents comiques du Palais -Royal, l’odyssée grotesque du baron de Gondremark arrive au dénoûment sans encombre et provoque un rire continuel. Les gens de goût peuvent bien en gémir, mais en se tenant les côtes pour ne pas faire contraste avec les profanes qui forment la majorité.

Hâtons-nous de respirer et de reprendre haleine pour louer sans réserve l’heureux et habile compositeur qui a si bien réussi à dégager son individualité de cet assemblage de lieux communs antilyriques. Étant donné une pièce vulgaire et des interprètes négatifs pour la plupart, on ne saurait trop s’étonner de la facilité avec laquelle Offenbach s’est tiré à sa gloire de ce mauvais pas. Point de morceaux longuement développés, mais une foule de petits motifs étincelants de verve et de gaieté ; des couplets, des rondeaux, des polkas, des tyroliennes, et parfois un duettino gracieux ou un ensemble entraînant, tels sont les éléments dont il s’est servi et qu’il est parvenu à coordonner de la façon la plus surprenante pour subjuguer son public. C’est un tour de force dont il lui sera tenu compte dans la longue liste de ses triomphes. Ne pouvant nous rappeler tous les détails de cette partition aux mille facettes miroitantes, nous nous bornerons à citer, parmi ceux qui nous ont le plus frappé, le finale du premier acte, dont l’entrain fait passer des fourmis dans les jambes des spectateurs ; la lecture d’une certaine lettre en rondeau, que nous signalons comme le morceau le plus fin et le plus distingué de la pièce ; une tyrolienne allemande, populaire dans le pays, et dite de la façon la plus spirituelle par Mlle Zulma Bouffar : elle a eu les honneurs du bis ; l’air à boire du troisième acte et les couplets de la Colonelle ; le récit de la baronne, au quatrième, versifié d’une manière charmante ; les couplets du garçon de café, ainsi que l’ensemble final du cinquième tableau ; n’oublions pas non plus les couplets du Brésilien et de la gantière, qui ont été bissés, et qui ne sont pas un des morceaux les moins réussis de la partition. Maintenant, chercherons-nous des chanteurs dans cette troupe du Palais-Royal, étonnée d’une semblable prétention ? Pourquoi pas ? Avec un peu de bonne volonté, nous y trouverions d’abord Mlle Zulma Bouffar, qui, à vrai dire, n’est là que pour la circonstance, et qui s’est plus d’une fois distinguée aux Bouffes-Parisiens. C’est elle qui porte la plus grande responsabilité de la partition d’Offenbach, et nous devons constater qu’elle n’est pas au-dessous de sa tâche. Vient ensuite Brasseur, qui, indépendamment de son talent à se travestir, chante fort bien la chansonnette, et enfin Mlle Honorine, à qui la lecture de sa lettre a valu une ovation très-méritée. Les chœurs sont, en outre, très-suffisants, et l’orchestre marche à merveille sous la conduite de son digne chef.

Quant à Hyacinthe, Gil-Pérès, Priston, Lassouche, à Mmes Thierret, Montaland, Paurelle, Massin, etc., ils ne nous en voudront pas si, sans parler de leurs voix, nous nous contentons d’affirmer que leur présence dans l’opéra bouffe d’Offenbach n’a pas nui à son succès, bien au contraire.

D.

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date de publication : 21/10/23