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Déjanire de Saint-Saëns

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PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS

OPÉRA : — Déjanire, tragédie lyrique en quatre actes, de Louis Gallet et M. Camille Saint-Saëns, musique de M. Camille Saint-Saëns. 

Avec une joie de vénération affectueuse le public vient d’acclamer la dernière œuvre de Saint-Saëns. 

J’emploie « dernière » dans le sens de la plus récente, car malgré ce qu’il en dit, je ne croirai jamais que puisse arrêter son travail le maître à qui nous devons cette tragédie lyrique, puissante, inspirée, droite, qu’est Déjanire

On en a raconté l’histoire, j’y reviendrai brièvement. Pour une tragédie mêlée de chœurs de son ami Louis Gailet, Saint-Saëns avait composé une partition exécutée avec un fort grand succès aux arènes de Béziers ; il eut plus tard l’idée de la convertir en opéra ; Gallet n’était plus là, ce ne fut point un obstacle : Saint-Saëns fréquente heureusement avec plusieurs Muses, il écrit, compose, dessine ; en quelques semaines il eut mené à bien un opéra non point dans le style moderne, mais plutôt dans celui des grands classiques comme Quinault et sa musique s’en ressent, elle a par instants des saveurs de Gluck. 

Les Grecs anciens pratiquaient avant nous la théorie de l’irresponsabilité : de tout ce qui les gênait ils accusaient les dieux et le destin leur maître ; l’innocente et belle Hélène n’est point coupable de ses fantaisies car Vénus trouve plaisir à faire cascader sa vertu ; si dans Déjanire Hercule se conduit médiocrement c’est la faute de Junon qui se venge envers lui de ce qu’Alcmène, sa mère, a commis avec Jupiter de fâcheux contre son bonheur conjugal. 

Donc, prenons-nous-en à la seule Junon si Hercule, après avoir massacré Eurytos, roi des Oechaliens et père de la timide Iole, devient éperdument amoureux de cette dernière, puis, naïf, déclare qu’il lui doit de l’épouser comme dédommagement du tort qu’il lui a fait en égorgeant son père. 

Déjanire se voit par le fait envoyée dans Calydon à ses chères études de broderie et ne l’entend pas ainsi ; elle adore Hercule son époux et se refuse à en céder la disposition. 

Elle débute par la violence puis entre en composition avec Iole ; après tout l’on peut s’accorder : la jeune personne aime Philoctète et souhaite vivement que Déjanire la débarrasse de son encombrant époux : la reine lui confie un coffre et un secret, l’un complétant l’autre. 

Lorsque le centaure Nessos – restons Grec, ô Zeus ! – fut frappé par Hercule pour avoir tenté d’enlever Déjanire qu’il aimait, il remit, comme un talisman, sa tunique à l’objet de sa flamme ; il suffirait qu’elle revêtît son mari pour que sa passion pour elle, si elle venait à faiblir, reprît aussitôt toute son activité, et Déjanire, en brave fille, l’a cru ; de très bonne foi elle engage Iole à parer Hercule du vêtement fatal. 

Certes fatal : Hercule, méprisant la Convention de Genève, qui ne devait intervenir que bien plus tard, il est vrai, s’est servi contre Nessos d’une arme prohibée ; il a tué son rival avec une flèche empoisonnée dans le sang de l’hydre de Lerne et la tunique du blessé s’est imprégnée du venin. Peut-être voudra-t-on voir là une légende symbolique de l’antiquité ? En séance solennelle de l’Institut, un érudit, malencontreusement, a dépouillé l’adorable Phryné du plus joli de son souvenir en niant le moyen d’audience employé par son avocat Hypéride ; très récemment, un autre a présenté l’exquise Sapho comme une sorte de brave maîtresse de pensionnat ; un troisième savant assimilera – qui sait ? – la vengeance de Nessos à celle de Féron contre François Ier et prétendra que le centaure, affligé de quelque gale mauvaise, la communiqua à Hercule par l’entremise de Déjanire. 

Quoi qu’il en soit, à l’Opéra, Hercule, paré de la tunique, est pris de douleurs violentes à la surface externe de l’épigastre ; il pousse des hurlements affreux. Son père, Jupiter, à sa demande, le foudroie et le rideau ne se baisse pas sans que nous l’ayons vu transporté dans un Olympe d’aspect point trop majestueux.

L’illustre maître composant le livret suivant son désir de musicien a réservé une place importante aux ensembles qu’il a réussis merveilleusement ; ceux qui terminent le 2e et le 3e sont particulièrement admirables. 

On sent que le souci de la belle écriture n’existe plus pour lui depuis longtemps, on ne saurait entendre rien de plus clair, de plus facile et en même temps de plus savant que ses harmonies. La déclamation est large, noble, justement appropriée, et quand il s’abandonna à une idée mélodique, elle est toujours d’une parfaite distinction. 

Déjanire peut être placée auprès de chefs-d’œuvre les mieux venus. 

Mme Félia Litvinne porte le poids écrasant du rôle de Déjanire. C’est elle qui, volontairement, ou conduite par le destin, détermine tous les événements du drame ; la superbe artiste s’est acquittée de sa tâche en noble tragédienne lyrique, et sa voix magnifique a fourni toute leur expression aux accents vigoureux et tendres tour à tour de Déjanire.

Mlle Gall, dans Iole, s’est montrée sympathique, émouvante, douée d’un organe souple et agréablement sonore ; on a applaudi aussi M. Dangès et Mlle Charny dans les personnages beaucoup moins importants de Philoctète et de Phénice. 

Sur des motifs, charmants, Mlles Delsane, B. Kerval, Blanche et Suzanne Mante avec une partie de leurs compagnes, ont gracieusement dansé le divertissement du 4e acte. 

Georges Boyer 

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(1835 - 1921)

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date de publication : 18/09/23