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Cinq-Mars de Gounod

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Un opéra nouveau de M. Gounod est un événement musical. Je n'ai donc pas besoin de vous dire que la première représentation de Cinq-Mars avait excité au plus haut point la curiosité.

On m'a parlé de treize mille demandes de places ; je vous laisse à penser ce qu'il y a eu de déceptions.

La salle de l’Opéra-Comique a d'ailleurs été, le 5 avril, singulièrement complaisante et hospitalière ; une baignoire a contenu ce soir-là jusqu'à douze personnes.

J'ai vu des assemblées plus brillantes de plus belles toilettes, plus de dentelles, de plumes et de diamants ; je n'en ai pas vu de plus sérieuse, de plus attentive, de mieux disposée à goûter et à admirer l'œuvre d'un maître.

Mais ce n'est pas des auditeurs que j'ai à parler, c'est de la pièce. MM. Poirson et Gallet ont emprunté leur livret à ce beau roman d'Alfred de Vigny qui fut un des plus grands succès littéraires de notre temps. Vous comprenez qu'ils ont été dans la nécessité de laisser de côté bien des épisodes, de supprimer bien des personnages du livre. Faire chanter Richelieu eût été trop hardi ; les auteurs ne se sont pas permis une si grande licence ; on n'aperçoit pas même un bout de la soutane du grand cardinal ; avec l'Éminence grise, il y avait moins de ménagements à garder, et MM. Poirson et Gallet n'ont pas craint de mettre en scène le père Joseph.

[Résumé de l’action]

Tel est le drame sur lequel M. Gounod a écrit sa nouvelle partition.

On ne saurait, vous le comprenez, apprécier l'œuvre musicale dans tous ses détails après une seule audition, et je ne puis guère que signaler les endroits qui ont produit le plus d'impression sur le public de la première soirée.

L'ouverture, très-courte, est simple et claire ; le chant qui suit les premières mesures est d'un style très-élégant.

Au premier acte, le récit chanté du martyre de saint Gervais et de saint Protais, a beaucoup de grandeur, et l'ensemble : Vivre ou mourir, qu'importe ! est plein d'une ferveur religieuse singulièrement émouvante ; dans le duo d'amour entre Cinq-Mars et Marie, la phrase de la jeune fille : Non!... non, rappelez-vous encor ces jours de fête!... est d'un charme pénétrant.

La chanson du deuxième acte : Gardons Ninon et MarionEt que le cardinal en crève ! a de l'entrain, de l'allure et elle est bien de son temps. La musique du ballet du pays de Tendre où dansent les Petits Soins, les Billets doux et les Jolis Vers sont aussi tout à fait dans le goût de l'époque. La grande scène de la conspiration, qui suit le ballet, est traitée avec beaucoup d'ampleur et d'aisance ; l'orchestration en est puissante et sonore ; l'adjuration de de Thou est d'un très‑beau mouvement.

Le couplet dit en trio par Cinq-Mars, Marie  et de Thou au moment où les deux jeunes gens vont entrer dans la chapelle : Oui, je veux que devant l'autel !... a beaucoup de chaleur. Le finale du duo du quatrième acte est d'un élan superbe, les notes lugubres de l'orchestre au moment où les gens de justice et le père Joseph vont entrer dans la prison font avec l'explosion de joie de Cinq‑Mars lorsqu'il croit voir s'ouvrir devant lui un avenir d'amour et de bonheur, un contraste saisissant ; la réminiscence du récit de la mort des deux jeunes chrétiens chantée au premier acte, est très-émouvante et produit un grand effet.

La mise en scène de Cinq-Marsest des plus brillantes. Le décor de la forêt de Saint-Germain est pittoresque au possible.

Les costumes du ballet, réglé par Mlle Marquet, sont les plus riches du monde et en même temps d'un goût achevé : que ces Billets doux sont galants ! que ces Petits Soins sont coquets et que ces Jolis Vers sont jolis !

Le rôle de Cinq-Mars et celui de Marie de Gonzague sont chantés par deux artistes qu'on n'a pas entendus encore à l'Opéra-Comique : M. Dereims a une voix qui porte bien et il sait la lancer ; très-ému, je crois, dans les premiers actes, il s'est rassuré ensuite et il a enlevé ses derniers morceaux avec beaucoup de brio. Une agréable figure sied bien à un ténor, et M. Dereims a reçu du ciel cet avantage, il faut qu'il y ajoute ce qui lui manque jusqu'ici : l'élégance de la tenue.

Mlle Chevrier a, je crois, devant elle un heureux avenir d'artiste ; sa voix est d'un timbre charmant, elle a du goût, du sentiment et joue bien ; avec cela de la beauté ; voilà bien des raisons de gagner aisément la faveur du public. Stéphanne est excellent dans le rôle de de Thou ; il a dit à merveille son adjuration du deuxième acte. Giraudet a très-bien chanté, d'une belle voix pleine et sûre, le rôle de l'Emminence grise, et habilement composé le personnage. Mme Franck‑Duvernov, qui remplit le rôle de Marion-Delorme, vocalise avec une prodigieuse agilité dans l'air du pays de Tendre, et Mlle Lévy, dont la voix est très‑bonne, dit on ne peut mieux les couplets du berger.

GÉROME

 

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Charles GOUNOD

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date de publication : 18/09/23