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Hulda

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HULDA
LÉGENDE SCANDINAVE D’APRÈS BJŒRNSTJERNE BJŒRNSON, POÈME DE M. CHARLES GRANDMOUGIN, MUSIQUE DE CÉSAR FRANCK, REPRÉSENTÉE AU THÉÂTRE DE MONTE-CARLO LE 4 MARS 1894.
(Par télégramme de notre collaborateur Alfred Bruneau.)

Au début, deux accords longuement et lugubrement mineurs, frappés par tout l’orchestre, annoncent la sombre tragédie. Comme un glas funèbre, en trois tons différents, ces accords tomberont dans la symphonie préliminaire, sonnant l’appel de la Fatalité, tandis que, par le magique pouvoir des harmonies, un paysage de froide Norwège, où siffle l’aigre vent du nord, où s’abattent les lourdes tempêtes de neige, se dessine en des contours de sonorité vague.

C’est le soir. Hulda et sa mère attendent Hustawick, qui, avec ses fils, chasse sur la montagne. L’épouse et la fille, pleines de la tristesse qui descend du ciel, sont inquiètes. Il est une famille, rivale de la leur, dont la haine est terrible, et, lorsque la vengeance des Aslaks s’exercera, rien n’en pourra détourner le cours. Et voilà que, dans un superbe récit, le caractère indomptable et quasi diabolique de Hulda commence à s’indiquer. Alors que les paroles restent quelconques et trop peu explicatives, la musique s’élargit, s’élève, préparant le drame. Mais la mère veut prier, et de son cœur simple s’élève une mélodie vraiment sublime de grandeur et de beauté, qui, passant par la bouche de la fille et se développant sur des chromatiques de l’orchestre, inséparables des événements futurs, prend bientôt une allure de sauvage invocation à quelque dieu maudit, dispensateur de deuils et de haines.

En une délicieuse modulation instrumentale, un appel a glissé sur la mer. C’est le chant, frais et léger, des matelots, qui, par l’alternance du mineur et du majeur, apporte une mélancolie en même temps qu’une joie et un espoir.

Maintenant, de stridentes sonneries de trompettes vibrent au loin, et le cri féroce des Aslaks, meurtriers d’Hustawick et de ses fils, retentit en une formidable clameur de victoire. Tandis que les cuivres de l’orchestre crachent des harmonies de sang et de carnage, les ténors et les basses hurlent, au-dessus des lignes, le bonheur suprême des tueries héroïques, et, quand Gudleik ordonne à Hulda de le suivre en son palais, celle-ci, prenant la nature à témoin et invoquant encore les esprits malfaisants, du fond de son cœur fatal à tous les hommes, sur le chromatisme symbolique des instruments profère l’inflexible anathème qui appellera sur la race des Aslaks la ruine et la mort.

Au jour du mariage de Hulda et de Gudleik, par la beauté terrible de la vierge ennemie est établie la désorganisation de la famille. Sur le fond gracieux d’une chanson de jeunes filles, cousant de blanches fourrures d’hermines, se détache le bruit des querelles et des disputes nées de la rivalité des quatre frères. Leur mère, Gudrun, leur impose silence dans le plus haut et le plus noble langage musical. Mais Hulda connaît aussi les douleurs du cruel amour qu’elle sème autour d’elle. Dans un monologue d’admirable impression, elle dit sa tendresse farouche pour le chevalier Eiolf, et, comme un grand oiseau sombre, son cri de brûlant désespoir monte, dominant toute la scène nuptiale, qui se développe en des chants de jeunes garçons et de fillettes pour aboutir au jeu des épées, superbe page symphonique et chorale ou les rythmes martelés s’entrechoquent curieusement.

À ce combat simulé prennent part Gudleik et Eiolf. Hulda leur rappelle que le prix du tournoi sera donné de sa main. Alors, sous la puissance magique du regard pervers, la lutte commence entre les deux hommes, véritable cette fois, terrible et mortelle, car Gudleik expire bientôt, frappé par Eiolf, et les voix, avec l’orchestre, prononcent l’oraison funèbre de l’époux, après que l’épouse a jeté au meurtrier des siens le sauvage adieu triomphant.

Au sommet d’une terrasse crénelée, en des bruits lointains d’angelus, de pipeaux, de bergers et de clochettes de troupeaux, tandis que le soir tombe lentement, Hulda rêve, et son dur cœur se fond sous la majesté attendrie de la nature. Une adorable symphonie, de tranquillité divine, semble venir du ciel comme un pardon consolateur et encadre un tableau d’amour d’irrésistible pénétration, de poésie sereine et splendide. Il n’est dans toute la musique dramatique rien de plus haut, de plus noble, de plus simplement beau que cet acte, d’une idéale pureté d’inspiration. Au mystère de l’heure chérie, en l’enveloppement des harmonies pastorales, Hulda évoque les monts silencieux, les glaciers scintillants, les lacs baignés de brume. Elle appelle Eiolf, et voici les amants, réunis dans ce merveilleux décor de tendresse et d’oubli, décidant de partir ensemble et de fuir loin des pays de souffrance, de haine et de remords.

Mais Eiolf est coupable, étant fiancé depuis longtemps à la douce et blonde Swanhilde, qui se meurt de cet abandon. Dans une fête nocturne au grand parc royal, un ballet allégorique est dansé devant la cour : il représente la lutte de l’Hiver et du Printemps. La marche avec chœurs qui le précède, les différents morceaux du ballet lui-même sont d’une originalité étonnante, d’une puissance pittoresque incomparable. Le triomphe du Printemps, préparant la fin du drame, y est exprimé de façon grandiose et superbe, tandis qu’une volupté irrésistible, une langueur délicieuse émane de cette scène, qui l’emporte encore sur la précédente et qui ne peut être opposée à aucune autre du même genre dans quelque ouvrage que ce soit.

Alors que le jardin est devenu désert, Eiolf et Swanhilde se retrouvent, et Hulda, cachée derrière un arbre, se voit arracher par sa rivale celui qu’elle croyait avoir conquis pour toujours et qui, grâce au renouveau des choses, s’est brusquement réveillé de son rêve d’hiver.

Les frères de Gudleik aideront à la vengeance. L’orchestre fait deviner l’épilogue tragique en faisant sonner, comme un rappel de la mort, les deux sinistres accords mineurs du prélude. Toute une joie champêtre s’y mêle : gaietés instrumentales et refrains de paysans, échos de la vie qui recommence. Sur une falaise dominant la mer, Hulda a placé les Aslaks en embuscade, car Eiolf va venir pour l’adieu suprême. Dès que le mot de signal est prononcé, paraissent les trois justiciers qui, au nom de Gudleik, frappent le meurtrier de leur frère. Ils vont immoler aussi Hulda ; mais la tueuse d’hommes veut mourir de son plein gré, et, après avoir maudit une dernière fois la terre et évoqué les esprits diaboliques qui furent les inspirateurs de son existence douloureuse, après l’égorgement des Aslaks par les serviteurs d’Eiolf accourus, elle se recule vers le gouffre et se précipite dans l’immensité purificatrice des flots.

Pris en lui-même, ce libretto appellerait les plus sérieuses réserves. Il n’a pas la farouche grandeur de l’ouvrage de Bjœrnstjerne Bjœrnson dont il est tiré, et il est écrit dans une langue incolore, peu suggestive, d’assez inquiétante monotonie. Mais les regrets s’évanouissent devant un fait indéniable : c’est que, malgré son allure vieux-jeu, ses défauts évidents, il a donné la vie à une partition de noblesse, de magnificence, de somptuosité souveraines.

Dans la musique de Hulda, comme dans toutes les autres œuvres du maître, la personnalité de César Franck resplendit ainsi qu’un éblouissant soleil, annonciateur de créations nouvelles et de victoires prochaines. Par sa forme, d’apparence classique en l’emploi fréquent des chœurs et des ensembles, il se pourrait que ce beau drame lyrique déconcertât l’intransigeance distinguée de quelques ignorants. La ligne orchestrale ne se développe point en retours de thèmes, en transformations ni enchevêtrements de motifs, mais dans l’union intime des voix et des instruments ; le moindre dessin sert de commentaire utile, le trait le plus effacé joint sa signification symphonique à l’effet de la parole et les harmonies sont toujours d’une extraordinaire richesse descriptive, tandis que le chant, expressif et clair, par la seule force de l’inspiration, atteint à des hauteurs prodigieuses.

Il faut donc féliciter grandement M. Raoul Gunsbourg d’avoir pris l’initiative de faire connaître cette admirable partition et de l’avoir montée avec tout le soin qu’elle mérite. La représentation qui se termine marque une date significative dans l’histoire de la musique. C’est un honneur que d’avoir su y attacher son nom.

M. Gunsbourg a trouvé en M. Jehin un collaborateur précieux, aussi bien pour l’étude des rôles que pour la mise au point de l’orchestre, qui a été remarquable de vigueur et de précision.

Les interprètes sont excellents. Madame Deschamps-Jehin est une superbe Hulda, de voix vibrante et de geste tragique, et madame d’Alba personnifie avec beaucoup de grâce et de charme la jolie Swanhilde. M. Saleza est un Eiolf de belle carrure, au chant mâle et passionné. M. Lhérie montre de l’expérience et de la conviction ; mesdames Mounier, Risler, Signa, MM. Fabre, Borie, Desgoria méritent aussi des éloges.

Dans le ballet, l’Hiver et le Printemps apparaissent sous les traits de mesdemoiselles Zucchi et Bella. Elles donnent un caractère saisissant à ces scènes de pantomime d’une si attirante et si curieuse originalité.

La partition de Hulda, commencée le 25 novembre 1879 et terminée le 18 septembre 1882, a attendu près de douze ans l’heure de gloire. Aujourd’hui que César Franck est mort, son génie s’impose, et les couronnes qu’on oublia de jeter sur l’humble tombe qui fut la sienne s’amoncellent déjà autour de l’œuvre immense qui, éternellement, lui survivra. De cette salle ruisselante de dorure et de luxe où le drame de Franck trouva la première hospitalité et le premier succès, où, par l’entrebâillement des portes, entre deux accords austères, nous arrive, mêlé aux appels polis des croupiers, aux paroles étouffées des joueurs, le bruit symbolique de l’argent, mon esprit se plaît à évoquer l’image de l’homme de tendresse naïve, de pauvreté bonne et simple que j’ai connu, et, au milieu des pensées singulières qui me viennent de ce contraste, je salue de toute mon admiration, de tout mon souvenir ému la fière et noble figure de celui qui, par la suprême puissance de la foi et du travail, vient de faire résonner, sous les voûtes du théâtre-temple de Monte-Carlo, l’hymne triomphale de la Musique et de l’Art.

ALFRED BRUNEAU

[...]

GIL BLAS A MONTE-CARLO
HULDA

La salle de Monte-Carlo avait ce soir son aspect des grandes premières : politique, arts, finance, tous les mondes étaient représentés.

Dans les loges, le prince Albert et la princesse Alice, les grands-ducs de Russie, la grande-duchesse de Mecklembourg, le comte Bertora, le baron et la baronne de Farincourt, M. et Mme Georges Bornier ; et dans les fauteuils, où habits et smokings alternent avec l’éclat des toilettes et le scintillement des bijoux : le comte Gastaldy, le chevalier Lombard, le comte d’Orémieux, MM. Georges Franck, fils de l’auteur, qui a présidé aux répétitions, Edmond Dolfus, Cahen d’Anvers, Alfred Stevens, Van Dyck, Capoul, Choudens, madame Borgstrom, duc et duchesse de Leuchtenberg, baron et baronne de Stael-Hostein, M. et madame Emmanuel François, général et madame la vicomtesse Carrey de Bellemare, M. et madame Louis Ganne, nos confrères Léon Kerst, Darcours, Bauër, Stoullig, Leborne, Tiersot, Gabriel Pierné, madame Severine, madame Suzanne Pic, commandant et madame Carbiliet, M. et mademoiselle de Batourine, M. et madame Basilewsky, la comtesse de Morena, M. et madame Millo, madame Gallais, M. et madame Xantho, etc., etc.

Une ovation, avec rappels, fleurs, vient d’être faite à madame Deschamps-Jehin et à M. Saleza, qui ont été électrisants de passion dans leur duo final du troisième acte.

Musicalement, ce duo mérite de prendre rang à la même hauteur, entre celui de Lohengrin et celui de Tristan et Yseult.

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date de publication : 31/10/23